3 - Les yeux de jade (1/2)

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Yu avait faim. Ce n'était pas la première fois qu'elle devait se montrer discrète au point de passer inaperçu, mais cela l'était que le monastère accueille tant de monde, et surtout autant d'hommes. Elle se serait bien risquée dans la cuisine pour dérober de quoi manger, néanmoins le risque de croiser un soldat en chemin était inévitable. Peut-être aurait-elle mieux fait de ne pas rentrer, tout simplement. Mais les nuits étaient encore si froides...

Incapable de tenir plus longtemps en place, la jeune femme jeta un œil au-dehors et, constatant que la voie était libre, fila avec son instrument de musique sous le bras. Elle allait récupérer de quoi se sustenter quelque part et se cacher dans un endroit pour continuer à jouer. Elle ne pouvait pas le faire dans sa chambre car elle avait réalisé à quel point le son portait loin. Elle n'en avait jamais eu conscience avant car les moines et moniales étaient des gens discrets et silencieux qui parlaient peu, et ils ne lui avaient jamais reproché sa musique. Cependant, tout à l'heure, elle avait entendu les conversations des soldats et avait constaté que les bruits portaient beaucoup plus qu'elle ne pensait. Si quelqu'un avait tendu l'oreille, il aurait certainement entendu son erhu. Elle devait être plus prudente.

Vive comme dans son enfance, Yu traversa le couloir et se rendit dans la cour où, heureusement, il n'y avait pratiquement pas de soldats, seulement un troupeau de chevaux se reposant tranquillement. Elle se faufila entre eux, sans crainte, pour se cacher, mais sa maladresse légendaire lui valut de chuter, s'étalant de tout son long sur le sol de terre battue. Ce faisant, elle lâcha son erhu qui tomba lui aussi dans un bruit creux et dissonant.

Alertés par le bruit, les soldats campés dans la cour pour monter la garde accoururent aussitôt, cherchant la provenance du bruit.

— Cherchez partout ! Nous ne devons rien laisser passer ! cria un soldat.

Yu, recroquevillée sur le sol, s'assurant que son masque cachait bien son visage, resta immobile, ne sachant que faire. Si elle bougeait ne serait-ce qu'un doigt de pied, les soldats la verraient.

— C'était peut-être un moine, suggéra l'un d'eux.

— Ils sont pratiquement tous avec Son Altesse, contra l'autre. Vérifiez quand même, on ne sait jamais.

Yu se mordit la lèvre avec force. Que devait-elle faire ?

Soudain, comme s'ils avaient senti sa détresse, tous les chevaux se mirent à hennir en même temps, gesticulant dans tous les sens mais sans jamais la piétiner, créant un formidable capharnaüm. Comprenant que c'était leur façon à eux de couvrir sa fuite, elle ramassa son instrument de musique et s'enfuit en courant, échappant sans difficulté aux soldats qui ne virent d'elle qu'un pan de tissu orangé.

Une fois à l'abri, elle s'adossa à un mur pour souffler et calmer les battements affolés de son cœur. Jamais elle n'avait eu aussi peur de sa vie. Pas depuis ce petit garçon qui l'avait surprise dans la clairière, lorsqu'elle était enfant. Puis, lorsqu'elle se fut calmée, elle prit la direction de la cuisine où, avec un peu de chance, elle ne croiserait que des moines.

La jeune femme n'en trouva qu'un et il lui servit gentiment un bol de riz et du poisson grillé avant de lui faire signe de partir se cacher au plus vite. Elle ne se fit pas prier, le remercia, et s'évapora dans la nuit.

Akio n'arrivait pas à se concentrer sur ce que ses hommes et les moines lui disaient. Il ne parvenait pas à se retirer l'air de erhu de la tête, ni la mystérieuse jeune fille maudite qui en jouait. Il ignorait que le monastère de ZhiLan abritait une enfant porteuse d'une telle malédiction, et il était plutôt surpris. La logique aurait voulu que les villageois tuent l'enfant, mais ils ne l'avaient pas fait, la remettant aux moines. Tôgo ne lui avait pas dit quelle malédiction l'avait frappée à la naissance ; il était donc intrigué de savoir de quoi il retournait vraiment.

Drakkon - I - Le masque du dragonTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon