24 - Deux facettes inconciliables (2/2)

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— Si tu ne me dis pas de toi-même ce que tu es, je vais être obligé d'employer la force que tu détestes tant, souffla-t-il à son oreille en guise d'avertissement.

Yu frissonna aussitôt. Elle n'avait plus le choix. Elle devait le lui dire. Peut-être que la mention de sa malédiction suffirait à l'empereur et qu'il serait trop choqué pour demander à le voir de ses propres yeux et risquer ainsi d'attirer le malheur sur lui.

— Je ne suis qu'une simple créature humaine, Votre Majesté, souffla-t-elle, tremblante. Je n'aurais pas pu vivre aussi longtemps dans un monastère si j'étais effectivement un démon, ou si j'étais un fantôme.

— C'est vrai, admit Keishi.

Il était toujours agacé qu'elle garde ses yeux fermés, comme si elle refusait qu'il puisse lire dans son âme. Ou était-ce à cause des usages et du protocole qui disaient qu'il ne fallait surtout pas regarder dans les yeux d'un membre de la famille impériale, surtout l'empereur ?

— C'est ta dernière chance, Yu. Ma patience arrive à son terme. Je ne suis pas Akio. Je veux la vérité. Toute la vérité, et rien que la vérité.

Craignant d'en perdre le courage, la jeune femme ne prit même pas le temps d'une inspiration et répondit aussitôt, un peu précipitamment :

— Je suis maudite !

Sur le coup, mu par un réflexe inculqué pendant l'enfance, Keishi la lâcha et fit un pas en arrière. Yu s'affaissa légèrement sur elle-même, tremblante, le souffle court, terrifiée. Elle l'avait dit. L'empereur allait à présent la chasser comme une lépreuse ou l'égorger comme les déserteurs. Elle ne pourrait même pas revoir Akio une dernière fois.

Keishi la fixait avec méfiance et crainte. Il ne savait plus trop s'il devait la croire ou non. Si c'était vrai, il risquait beaucoup. Elle pouvait le maudire, même contre son gré, et détruire l'empire de Drakkon de l'intérieur. Avait-elle ensorcelé Akio pour pénétrer dans le palais et s'en prendre à lui, l'empereur ? Son jeune frère n'avait d'yeux que pour elle...

Décidant d'en avoir le cœur net, en dépit des risques qu'il prenait, il tendit la main, agrippa le masque par le bord avant que Yu ne puisse lui retenir le bras, et il tira sèchement dessus, de toutes ses forces. De toute la force qu'elle détestait tant, avec violence. Elle poussa un cri de surprise et d'horreur et, bousculée par ce contact violent, bascula en avant, emportée par l'attraction du jeune homme sur le masque. Le lien de cuir ne se brisa pas, mais il glissa facilement par le haut, révélant son visage.

Yu eut le réflexe de fermer les yeux, de toutes ses forces, mais elle le savait, elle l'avait vu. Il était déjà trop tard.

Elle bascula contre Keishi sans avoir le temps de reprendre son équilibre et il la prit par les épaules.

— Ouvre les yeux, ordonna-t-il.

Comme avec Akio, elle refusa. Tôgo n'était pas là pour la forcer à obéir, cette fois. Il la secoua violemment. La tête de la jeune femme oscilla dangereusement comme une lanterne de papier dans la tempête.

— Ouvre les yeux ! OUVRE-LES !

La nuque douloureuse et les larmes aux yeux, Yu fut bien contrainte d'obéir, poussée par une force supérieure à sa volonté. L'empereur était tout-puissant. S'il voulait briser sa vie, la tuer, il le pouvait, même si elle était la maîtresse du Pavillon de la Lune. Akio l'avait dit lui-même, il n'avait aucun pouvoir sur son frère, et encore moins pour la sauver de lui.

Keishi se figea, ses mains enserrant toujours les frêles épaules de la jeune femme, le cœur battant la chamade. C'était bien ce qu'il avait cru voir. Des yeux de la couleur du jade le plus pur. Des yeux maudits. Paradoxalement, il fut aussi frappé par la beauté surréaliste de Yu. Il ne pouvait nier qu'elle était la plus belle femme qu'il eut jamais vue. Beauté rehaussée par ces yeux lumineux et uniques, rendus limpides et clairs par ses larmes. Tant et si bien qu'il demeura là, ébahi, à la regarder sans dire un mot, sans la lâcher.

Drakkon - I - Le masque du dragonWhere stories live. Discover now