15 - Le Maître des Mots (1/2)

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Près d'un mois s'était écoulé depuis cette nuit-là, et Yu ne voyait pas le temps passer. Akio était très occupé dans la journée. Ils ne pouvaient se voir que le soir. Par conséquent, Yu devait meubler ses absences, et jusque-là elle avait été bien occupée à visiter les moindres recoins du domaine. Elle avait même eu le droit de pénétrer dans le Pavillon du Soleil alors que le prince ne s'y trouvait pas. En revanche, elle n'avait fait que jeter un œil dans le Jardin du Soleil sans y mettre un seul doigt de pied. Senlinn la suivait comme son ombre, prenant garde à empêcher sa maîtresse de commettre un impair irréparable par inadvertance.

Yu avait passé beaucoup de temps à lire les poèmes dont Akio voulait lui faire cadeau. Elle les trouvait tous magnifiques et très inspirants. Ils lui avaient donné envie d'en écrire à son tour. Quand elle voulait changer d'activité, elle se mettait à chanter en jouant de son erhu en prenant Senlinn comme auditoire. Quelques oiseaux venaient aussi écouter, perchés partout où ils le pouvaient autour d'elle. Elle avait aussi écrit une lettre à Tôgo, en espérant que les conditions de voyage fussent bonnes et que le moine puisse y réponde avant le départ du messager de ZhiLan. Si c'était le cas, elle aurait une réponse dans les jours à venir.

Malgré ce qui s'était produit la nuit de l'arrivée de Yu au Pavillon de la Lune, sa relation avec Akio n'avait pas souffert et, au contraire, ne cessait de s'améliorer. Il avait définitivement arrêté de la vouvoyer et l'appelait par le nom qu'elle préférait. Elle-même n'éprouvait pratiquement plus aucune hésitation à l'appeler par son prénom. Au moins, elle continuait à le vouvoyer, pour le moment. Ils dînaient ensemble, passaient du temps dans le kiosque sur l'eau à regarder les lanternes et parler de choses et d'autres pour apprendre à se connaître.

Yu ressentait toujours cette passion dévorante qui consumait tout son être lorsqu'elle était avec lui, d'autant plus qu'elle n'avait pas à se cacher, en sa présence. Au contraire, il la libérait. Il la libérait dans sa tête. Un à un, il faisait sauter tous les verrous derrière lesquels on l'avait emmurée depuis son enfance. Néanmoins, cette passion instinctive et viscérale, primitive, devenait progressivement autre chose. C'était un sentiment comparable au bourgeon d'une fleur qui nécessitait de beaux jours et du temps pour éclore. C'était ce qu'Akio lui donnait. Elle ne doutait donc pas que, avec le temps, il devînt une belle fleur.

C'était de l'amour, doux et réconfortant, comme retrouver son foyer après une longue absence. Elle voyait en lui toute la lumière nécessaire à combattre ses ténèbres, et elle voulait donner une chance à cette personne qui avait été la première en dehors du monastère à lui tendre la main. Elle voulait voir celle qu'elle était en train de devenir grâce à lui, libre, reconnue, aimée.

Mais malgré le temps qu'elle avait passé au palais, en présence du prince, elle n'avait toujours pas aperçu ne serait-ce que l'ombre de l'empereur. Elle en avait parlé avec Akio, redoutant le jour où il lui faudrait le rencontrer, craignant qu'il ne juge sévèrement sa différence. Le prince ne pourrait pas toujours la couvrir, elle devrait s'assumer un jour ou l'autre. Mais le jeune homme l'avait rassurée en lui disant que son frère ne s'intéressait pas à elle, tout comme il ne s'était pas intéressé aux « conquêtes » précédentes de son cadet. Il n'avait certainement pas compris la relation plus profonde que ces deux-là entretenaient. Il n'y avait donc pas à s'en inquiéter pour le moment.

Yu n'avait pas non plus visité le palais encore, passant le plus clair de son temps dans le domaine du prince. Mais voilà, après un mois à inspecter les moindres recoins, ce qui se trouvait au-delà du mur d'enceinte du domaine commençait à l'intriguer et attiser dangereusement sa curiosité. Sans en parler à Akio, sur un coup de tête, elle avait décidé de sortir d'elle-même, une Senlinn affolée dans son sillage.

— Dame Yu ! s'exclama la servante, effarouchée. Il n'est pas encore trop tard pour faire demi-tour. Mieux vaut attendre Son Altesse pour s'aventurer par ici. Il existe certainement des zones interdites !

Drakkon - I - Le masque du dragonWo Geschichten leben. Entdecke jetzt