43 - Le Pavillon Pourpre (1/2)

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De retour au Pavillon d'Argent, on servit à Yu un délicat repas à base d'un peu de riz, de poisson et de légumes mijotés. Le repas était délicieux, mais sans Akio pour partager ces plats avec elle, la jeune femme ne leur trouvait aucune saveur particulière malgré les yeux exorbités de Senlinn.

Elles avaient visité leur nouveau foyer ensemble, la servante lui expliquant que Yu y régnait en maîtresse absolue et qu'en tant qu'intendante, elle-même était chargée du bon fonctionnement de la maisonnée. C'était une place très distinguée pour un domestique, surtout pour une étrangère ecthrosienne comme elle.

Yu s'en ouvrit à elle tandis qu'elles se déplaçaient à présent en direction du Pavillon Pourpre.

— Je pensais ne jamais te revoir, murmura-t-elle tout bas pour que personne ne l'entende. Comment es-tu arrivée au Pavillon d'Argent en qualité d'intendante ? Qui s'occupe de mes carpes au Pavillon de la Lune ?

— C'était un ordre de Sa Majesté l'empereur, expliqua Senlinn après une hésitation, jetant des regards tout autour d'elle. Des gardes sont venus au domaine de Son Altesse Akio et on remit un rouleau scellé à Rona et Chun, les deux intendants du domaine princier. C'était un ordre signé de Sa Majesté m'ordonnant de poursuivre mon service auprès de ma maîtresse au Pavillon d'Argent.

Yu se tourna vers elle, bouche bée, ce que la servante ne vit pas.

— Keishi a fait ça ?

Senlinn jeta des regards apeurés autour d'elle et pencha légèrement la tête vers Yu pour qu'elle soit la seule à l'entendre.

— Ne prononcez pas son nom avec tant de désinvolture lorsque vous quittez vos appartements, Votre Majesté.

Ce nouveau titre, qui avait remplacé le « Dame HuaYu » et dont même Senlinn l'affublait, était aussi une nouveauté à laquelle elle devait se faire. Dorénavant, son rang était égal voire supérieur à celui d'Akio. Elle était la kōgō Kōmyō. Cela lui paraissait grotesque.

L'ecthrosienne reprit :

— Mais oui, Sa Majesté l'empereur à fait cela, pour vous, et il m'a nommée intendante. Grâce à cette position, je peux m'assurer que votre cadre vie vous convient au mieux, à défaut que votre vie soit ce dont vous avez rêvé...

Elle regretta ses mots au moment où ils franchirent ses lèvres, mais Yu ne releva pas. Elle ne pouvait chasser Akio de ses pensées, mais actuellement, elle avait d'autres soucis plus directs et plus immédiats à régler. Elle s'apprêtait à affronter les femmes du Pavillon Pourpre : les concubines de Keishi. N'ayant pas l'habitude de la compagnie, elle devait déjà faire un violent effort pour ne pas fuir en courant, ce qui lui prenait toute son énergie.

Aucun homme ne rentrait dans cette enceinte ; des soldats eunuques montaient la garde à l'extérieur, tandis que l'intérieur était surveillé par quelques femmes en armure munies de hallebardes dont c'était la vocation. Les domestiques non plus ne pouvaient pas aller et venir à leur guise, même si elles étaient des femmes : ce qui entrait au Pavillon Pourpre n'en sortait pas. Les seuls individus autorisés à y entrer et sortir à leur guise étaient l'empereur et, à l'occasion, son épouse l'impératrice.

Yu n'était pas là par plaisir ou par choix. En tant que kōgō, elle ne pouvait plus échapper aux usages comme elle était parvenue à le faire en résidant, cachée, au Pavillon de la Lune. À présent que son existence était publiquement reconnue, elle devait se plier aux usages du palais et de la cour, et cela commençait – après le fait d'avoir une armée de domestiques sous les ordres de Senlinn, sa nouvelle intendante – par une volée de dames d'honneur, aussi nommées dames de compagnie. Keishi avait beau avoir insisté pour que Yu fasse valoir son rang à tout bout de champ, il était des entorses qu'elle ne pouvait se permettre. Maintenir son visage caché derrière un masque était déjà un exploit en soi. Sa venue dans cet endroit, parmi les plus secrets du palais, avait donc un but précis : choisir sa première dame de compagnie parmi les concubines de son mari.

Drakkon - I - Le masque du dragonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant