Le début de la fin

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C'est très dur de finir un stage dans lequel on s'y sent bien. J'ai connu des stages où je n'avais qu'une envie, c'était que ça se termine, pour partir à la fin sans même me retourner. Et puis, il y a eu ce stage, duquel je n'avais vraiment pas envie de partir. Mais alors, pas du tout.

Je m'y sentais comme chez moi. Je faisais littéralement partie du service. Je m'entendais bien avec toute l'équipe, y compris la responsable. Ça rend la fin du stage encore plus frustrante.

J'ai passé la semaine à voir arriver cette fin. À voir arriver le jour où je reviendrais à mon ancien poste et son déprimant tohu-bohu. Je n'avais pas envie de retourner là-bas. Et c'est une pensée d'autant plus déprimante que si poste à pourvoir en chambre mortuaire il y avait, je pourrais être prise sans la moindre difficulté.

La chambre mortuaire où je fais mon stage fait partie d'une organisation appelée "La Collégiale". Et si ce mot vous dit quelque chose, c'est normal. La "procédure collégiale" est la procédure mise en place par des médecins visant à prendre une décision médicale pour un patient incapable d'exprimer sa volonté. Dans le cas des chambres mortuaire de La Collégiale, imaginez que les responsables et cadres sont l'équipe médicale, et que les chambres mortuaire sont les patients. Ils se réunissent une fois par mois, et exposent les difficultés qu'ils ont pu rencontrer, afin de décider d'une solution. C'est également le moment pour eux d'échanger sur leur personnel, et notamment sur les ouvertures de poste. Il n'est pas rare de voir les cadres exprimer leur opinion sur leurs stagiaires du moment. Un cadre de Créteil, qui avait pourtant été très convaincu par un CV, a ainsi vu le candidat qu'il briguait démonté par une autre cadre qui l'avait eu en stage et qui avait été très déçue par sa prestation.

Ma responsable a donc été amenée à parler de moi à la Collégiale. Et les retours qu'elle m'a fait m'ont surprise moi-même. Tous les cadres présents ce jour-là, avec qui j'avais fais un stage de FAE, se souvenaient de moi. Même celle qui m'avait vue il y a cinq ans. Elle a même demandé "Elle travaille toujours au [XXX] ? " C'est dire l'impression que j'ai faite. J'avais eu de bonnes évaluations à mes stages, mais j'ignorais avoir laissé un tel souvenir.

J'ai failli avoir des ouvertures. Des opportunités d'embauche. Mais elles se sont toutes soldées par des déconvenues. Non pas par inadéquation de mon profil, mais la faute à pas de chance. Ma responsable m'avait informée de trois chambres mortuaires qui cherchaient quelqu'un. La première ne cherchait finalement personne, la seconde ne cherchait que ponctuellement pour remplacer un arrêt maladie, et la troisième était de l'autre côté de la région. Un agent de police venu pour poser des scellés m'avait même parlé d'une quatrième, mais quand j'ai appelé, le nouveau soignant avait déjà commencé la veille... Pas de bol.

La semaine a été calme. Les patients qui se sont accumulés pendant les vacances, et dont les familles ont repoussé la prise en charge à cause des fêtes, sont partis doucement mais sûrement.

J'ai assisté à un prélèvement de cornée. Encore une découverte pour moi. Je trouve ça intéressant d'assister à des soins "annexes". Autopsie, thanatopraxie, prélèvements de cornée... Au moins, on sait à quoi ça ressemble, comment ça se passe, et quand on en discute, on sait de quoi on parle. J'aimerais beaucoup assister à un prélèvement d'organes. Qui sait ? J'aurai peut-être un jour cette chance.

On a eu un patient dont on ne parvenait pas à établir l'identité. Un monsieur slave, qui vivait apparemment chez des amis. Là où le bât blessait, c'était que les photos sur ses passeports ne ressemblaient pas vraiment au visage du patient. Et que l'orthographe de son nom sur les passeports ne correspondait pas complètement à celle sur les dossiers d'hospitalisation. On s'est retrouvés avec les copies de passeports ukrainien, grec, et d'autres datant de presque vingt ans, sans avoir la certitude de la ressemblance. À mon départ, le problème n'était pas résolu, et circulait l'idée qu'il faudrait envoyer le patient à l'institut médico-légal pour identification.

On a eu Mr L., le pauvre monsieur. Je savais que certains services pouvaient se montrer "maladroit" dans la prise en charge de leurs patients décédés, mais des fois, on a de sacrées surprises. Au décès de ce patient, les soignants avaient oublié de lui retirer son oreiller et de l'allonger. Le rigor mortis s'est donc installé dans la position qu'il avait, à savoir demi-assis. Et quand il est arrivé en chambre mortuaire, le haut du buste de ce pauvre Mr L. tenait en l'air tout seul. Et bernique pour le faire redescendre. On peut assouplir les articulations des bras, des jambes, mais le dos, c'est foutu. Je ne serai pas là pour le voir, mais à moins d'avoir le cercueil adéquat, les porteurs vont rigoler pour fermer le couvercle.

Rigoler, d'ailleurs, je l'ai fait toute seule comme une grande. Vous savez ce qu'est un "acte manqué" ? Ce n'est pas une chanson de Jean-Jacques Goldman, mais un concept en psychologie : c'est comment notre inconscient nous fait faire/dire des choses qu'on n'aurait pas faites consciemment. Lapsus, envoyer un sms/mail à la mauvaise personne, oublier un rendez-vous important, panne d'essence sur le chemin d'un repas avec la belle-famille... Bref, on est tous victimes d'étourderies qui en disent plus qu'on ne le pense. Le mien n'a rien d'extraordinaire, mais j'avoue qu'il m'a fait rire. Nous sommes le jeudi 17. Je remplis le dossier d'un patient arrivé le matin même. Date notée sur le dossier ? Mercredi 16. Je n'aurais pas eu autant l'envie de reculer le temps que je ne m'y serais pas prise autrement.

La veille de mon dernier jour, j'ai ramené la galette. J'ai eu de la chance, la boulangerie où j'ai été offrait la bouteille de cidre, c'est chouette. Le dessus a un peu noirci quand on l'a réchauffée au four, mais tout le monde s'est régalé. Une collègue a fait la distribution, devinez qui a eu la fève. Je vous jure que je ne l'ai pas fait exprès...

Et le dernier jour, j'ai ramené les croissants et les pains au chocolat. Certains me diront que je les gâte, et ils auront raison. Mais quand vous passez quatre semaines dans un service que vous adorez, entourée par une équipe avec laquelle vous vous entendez très bien, vous avez envie de marquer le coup. Le service me l'a bien rendu, en me laissant Mr B. comme dernier patient. Et comment ce monsieur me l'a rendu ? En souriant ! Quand j'ai retiré son drap pour le découvrir, j'ai été agréablement surprise par son air apaisé, presque soulagé. Et ses lèvres avaient l'immanquable rictus de la sérénité.

Je n'ai pas pleuré, ce dernier jour. Mais j'ai fais le tour du service, allant jusqu'à dire au-revoir aux patients et aux bébés dans leurs chambres réfrigérées. J'ai eu mon entretien et mon évaluation de fin de stage, je m'en tire avec l'honorable note de 16,39/20. Mon stage est validé.

Lundi, je porterais ma feuille d'évaluation à l'IFPM pour la joindre au dossier, qui partirait à la commission pour délivrer mon diplôme. Là, ma formation serait bel et bien terminée.

Je me suis changée au vestiaire, j'ai pris mes affaires, j'ai salué l'équipe une dernière fois, puis je suis partie. Et avant de refermer la porte sur moi, je me suis autorisée cette dernière salutation :

"Au revoir, chambre mortuaire ! "

Je reviendrai.

Journal D'une Elève Aide-Soignante [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant