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Et un autre stage de fini, un ! 

Je ne vais pas mentir, je suis bien contente. Certes, c'était un stage très intéressant, et j'y ai appris beaucoup de choses. Mais quand vous voyez les soignants partir en arrêt maladie les uns après les autres, y compris votre propre tutrice, ça porte un coup, mine de rien.

C'est dommage, parce que mon nouveau tuteur était formidable. J'ai adoré travailler avec lui. Je me dis même que je n'aurais pas été contre l'idée de l'avoir depuis le début. Mais il était en congé, le bougre. Et l'adaptation aux contraintes de l'équipe est une faculté également demandée chez une aide-soignante.

Mais je n'ai pas à me plaindre, on m'a beaucoup félicitée sur ma capacité d'adaptation et de gestion. À deux reprises, j'ai dû gérer un peu seule avec des intérimaires. La difficulté avec les intérimaires, c'est qu'ils ne connaissent pas nécessairement le service et son fonctionnement. Il faut donc leur expliquer, leur apprendre, et tout. Et qui a fait ça ? Bibi. L'une des infirmières m'a couvertes de louanges, au point que je ne savais même plus où les ranger.

Il n'empêche que les intérimaires, ce n'est pas si terrible. Surtout si le hasard fait en sorte de vous envoyer LA personne. Je vous jure, je n'aurais pas eu mieux si je l'avais demandée.

Ce lundi, pas d'AS. Mais une intérimaire. Tout de suite, un petit peu plus pro et débrouillarde que l'intérimaire précédent, qui était un peu resté les mains dans les poches. On discute, on fait connaissance, on se met au travail. Puis, au cours d'une désinfection de chambre, elle finit par me questionner sur mon projet professionnel, pourquoi je fais la formation, et tout. Je commence par la mettre en garde, par lui dire que j'ai un projet un peu particulier, que les personnes réagissent différemment, mais je finis par lui parler de la chambre mortuaire. 

Et là, je vous jure. Elle me regarde quelques secondes en silence, puis me répond qu'elle est thanatopractrice. 

Mon visage s'est allongé de stupéfaction, j'ai spontanément articulé un "Non! " ébahi, et on s'est high fivé, quelque chose de bien.

Elle était thanatopractrice. Non pas que j'étais intéressée par ce diplôme, mais j'étais en présence de quelqu'un qui savait parfaitement de quoi je parlais. Elle connaissait même le cadre du service de la Pitié Salpêtrière, avec qui j'avais travaillé lors d'un stage de FAE.

Et attendez, ce n'est pas tout. Non seulement elle était thanato, mais elle avait également travaillé en Bretagne, et projetait d'y retourner. Et en quoi c'est si important, la Bretagne ? Parce que c'est là que je veux aller. Et elle connaît justement quelqu'un à la chambre mortuaire de l'hôpital de Guingamp. 

Laissez-moi vous dire qu'on s'est échangé nos numéros de portable vite fait.

Et pour celles et ceux qui se posent la question, oui, le diplôme de thanato est aussi difficile à avoir qu'on le dit. Au moment de l'examen, la moindre grimace, la tête du patient qui cogne sur la table, vous pouvez plier bagage. Et vous ne pouvez passer l'examen que deux fois seulement. Vous êtes averti(e)s.

Le reste de la semaine s'est fait dans un calme relatif. J'ai eu mon bilan de mi-stage (enfin !) le mardi, à quelques jours seulement de la fin, ce que je trouve un peu ballot. Mais ça a fait que je me suis retrouvée à bûcher sur un exercice que je déteste : la démarche de soins. Parce que choisir des patients à prendre en charge, c'est bien. Etablir une démarche de soins pour personnaliser cette prise en charge, c'est mieux. Je me suis retrouvée devant le logiciel à faire un recueil de données. Moi qui fait des tendinites au poignet à force d'écrire, j'étais ravie.

J'ai eu un break le jeudi, j'ai passé la matinée à l'Accueil De Jour. L'ADJ, c'est là qu'ils font les activités. Il était prévu un atelier peinture, mais l'art-thérapeute ayant dû prêter main-forte à un service en manque de personnel, j'étais seule avec la psychologue qui a dû faire un atelier d'écriture à la place. Elles avaient emmené les patients voir une expo consacrée à Picasso et, outre la fresque picturale sur laquelle ils travaillaient, ils devaient rédiger un texte pour l'accompagner. Chaque patient y avait été de son commentaire, et l'atelier consistait simplement à revoir les écrits et commencer à décider quelles phrases ou parties inclure dans ce texte. L'atelier est passé un peu vite, et je ne vais pas m'en plaindre, j'ai dû me retenir de baffer un des patients qui, en faisant la relecture des textes, ne pouvait s'empêcher de faire des commentaires personnels et de tout ramener à sa petite personne. À la fin, il a rédigé une sorte de poème uniquement compréhensible par lui seul, dans lequel il se prenait pour le nouveau Baudelaire. J'aurais pu être plus indulgente si ce patient n'avait pas été de mon service, et si nous n'avions pas droit à ses envolées pseudo-philosophico-lyriques à longueur de journée. Accès maniaque, quand tu nous tiens.

Puis enfin, le vendredi. Le dernier jour. Ça a été un peu chaud, d'ailleurs, car c'est le jour où on a eu deux départs et une arrivée. Le temps libre était donc un peu un luxe. Mais je ne m'inquiétais pas trop sur mon évaluation. Mon tuteur m'avait déjà fait quelques commentaires généraux sur mes compétences, ils étaient très bons. C'était plus la démarche de soins, qui m'angoissait. Je n'en fais pas autant que je devrais, et c'est un exercice sur lequel je ne suis pas encore au point.

Mon tuteur a finalement pu prendre le temps de remplir ma feuille d'évaluation avec sa collègue, et c'est la meilleure évaluation que j'aie reçue à ce jour. Je suis encore abasourdie par ce succès. 

La démarche de soin, en revanche, il y a encore à travailler. Mon recueil de données était bien réalisé, mais pour ce qui est des 14 besoins, il semble que je cherche encore midi à quatorze heures. J'ai encore tendance à chercher des manifestations de dépendance et des sources de difficultés là où il n'y en a pas. Mais mon tuteur m'a bien aidée sur ce coup-là, il m'a même donné d'excellentes questions à se poser pour réaliser l'exercice. Par exemple, les 4 derniers besoins ont toujours été pour moi une plaie à remplir : "Agir selon ses croyances et ses valeurs ", "S'occuper en vue de se réaliser ", "Se récréer ", "Apprendre ". J'avais souvent tendance à faire des projections, à attribuer des difficultés aux patients. Mais la manoeuvre est finalement tellement simple : le patient est-il en demande ? Y a-t-il quelque chose qui l'intéresse ? S'il n'a aucune demande spécifique, c'est qu'il est comblé et que ses besoins ne sont pas perturbés. Tout con.

La seule chose qui m'embête, dans cette fin de stage, c'est que la révision de ma démarche de soins a pris trop de temps, et qu'il était ensuite l'heure pour moi de partir. J'ai juste eu le temps de me changer, de prendre mes affaires et de dire au revoir à l'équipe. J'aurais vraiment voulu dire au revoir aux patients, mais je n'aurais jamais eu le temps, ils m'auraient bombardée de discours d'encouragement, et je serais partie en retard. Alors je suis partie, dans leur dos, comme une voleuse. Lundi, ils ne me verront pas revenir, et je ne sais pas s'ils auraient voulu me dire quelque chose. C'est mon seul regret.

Lundi, je reprends les cours, et je vais pouvoir triomphalement remettre ma super évaluation à ma cadre formatrice.

Au fait, vous savez quelle note j'ai eue ? 18,53/20 !

Journal D'une Elève Aide-Soignante [TERMINÉ]Where stories live. Discover now