Ça va le faire !

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Voilà maintenant trois semaines que je suis en psychiatrie, et j'avoue ne pas trop savoir comment en faire le bilan, entre positif et négatif.

Après, quand je dis "positif" ou "négatif", ce n'est pas que le stage se passe bien ou mal. Mais la situation du service a subi de grosses fluctuations, et indirectement, ma propre situation.

Pour ce qui est du planning, j'ai découvert les joies des horaires d'après-midi. C'est comme ceux en Ehpad : l'après-midi, on fiche presque rien, à part les transmissions de 13h30 (qui se font rarement à l'heure), le goûter de 16h et le dîner à 19h.

J'ai très peu travaillé avec ma tutrice, cette deuxième semaine, comme elle était du matin. Du coup, j'ai partagé mon temps entre les deux autres AS.

Là où, cependant, il y a eu le plus d'évolution, ce sont les patients. En particulier la petite jeune de 19 ans-mais-elle-en-fait-10-de-plus, dont j'ai appris aux transmissions du lundi l'attitude absolument exécrable pendant le week-end, piquant des crises, insultant les soignantes, donnant des coups de pieds dans les portes et étant de façon générale absolument ingérable.
Je n'ai pas eu affaire personnellement à ses sautes d'humeur. J'ai appris très vite la nécessité d'une politesse à toute épreuve face aux comportements des patients. Mais j'ai souvent entendu les éclats de voix des soignantes devant la recadrer plus que de raison. 
De la même façon que les patients de Bligny, cette patiente m'est vite sortie par les trous de nez. Autant, je la trouvais rigolote au début, autant elle est devenue au cours de la semaine suivante un véritable poison ambulant. Et c'est tout particulièrement ma tutrice qu'elle a choisi comme nouvelle tête de Turc, cherchant la provocation, puis allant gémir que Natacha était méchante avec elle.
Elle a fini par parvenir à ses fins quand, le mardi de la semaine suivante, j'ai appris son arrêt maladie. La patiente avait poussé la provocation encore plus loin, allant jusqu'à brandir un couteau devant une infirmière (elles se sont mises à trois pour la désarmer) et menacer de mort une deuxième. Et le dernier lundi où j'ai pu voir ma tutrice, cette dernière apparaissait particulièrement épuisée. Son absence, le lendemain, ne m'est pas vraiment apparue comme une surprise, mais j'étais déçue par ce gâchis. Elle payait à elle toute seule le laxisme du reste de l'équipe qui préférait ronger son frein plutôt que prendre des mesures.
Cet arrêt maladie, je pense, aura été l'électrochoc permettant enfin à l'équipe de se rendre compte qu'il fallait absolument faire quelque chose. Surtout quand ça a été au tour d'une infirmière de se mettre en arrêt maladie, alors qu'elle venait juste de rentrer de vacances.
Toutes ses permissions ont été suspendues, elle a été cantonnée au pyjama, et transférée en chambre médicalisée. Elle est maintenant confinée dans une aile fermée du service, et n'a droit qu'à une heure de sortie pour les repas. Et encore, la seule raison pour laquelle elle est autorisée à sortir de l'aile, c'est parce que le patient de la chambre d'isolement, confiné du même côté qu'elle, est autorisé à sortir de sa chambre, et que les soignantes craignent qu'il ne lui en mette une. Le pauvre patient, qui va pourtant de mieux en mieux au point qu'on allonge de plus en plus ses sorties, même lui n'en peut plus d'elle.
Aux dernières nouvelles, il est question d'une chambre d'isolement ou d'un transfert dans un établissement plus habitué aux cas difficiles. Les médecins et les soignantes sont épuisés, démunis, et à court de solution. Je ne suis là que depuis trois semaines, je ne peux absolument pas dire que je sais ce qu'ils ressentent, mais j'en ai vu assez pour le comprendre.

Face au départ de ma tutrice, j'ai dû avoir un autre tuteur. Ce sera Hugues, qui revient juste de vacances.

Un rêve de tuteur. Un tempérament très calme, une voix agréable, et des explications à la pelle. Les caprices du planning ont fait que j'ai travaillé avec lui que deux jours, mais si tout se passe bien, je devrais passer ma dernière semaine avec lui et lui permettre de m'évaluer correctement.

Etrangement, je le sens bien, ce stage. J'ai eu l'occasion d'impressionner les infirmières, ce jeudi. Il n'y avait pas d'AS, ce jour, hormis un intérimaire. Et comme le pauvre garçon ne connaissait pas le service, c'est moi qui ai dû faire le plus gros du travail. Pour être honnête, ça m'a fait drôle de devoir être la personne qui donne les explications. Et quand j'ai fini ma journée, j'ai eu droit aux compliments des infirmières qui m'ont dit que j'avais bien géré et que j'étais au taquet.

J'ai aussi l'impression d'avoir fait des progrès, au niveau relationnel. Bon, il faut être honnête, c'est le type de prise en charge principal, il faut encore voir ce que ça donne avec un patient dépendant. Mais j'arrive mieux à entrer en contact avec les patients qu'en début de formation. Je me rends cependant bien compte qu'il faut savoir éviter d'en faire trop. Vous leur tendez la main, ils vous prennent le bras. L'une des patientes, un petit bout de femme accro aux cigarettes au point qu'on doit la rationner, vient toujours me chercher moi quand elle a besoin de chouiner. Elle n'est pas méchante, mais ses larmoiements perpétuels ne tournent qu'autour de deux sujets : ses cigarettes et son bouton génital. Elle ne mange quasiment rien, est obsédée par son poids au point de demander sans arrêt à se faire peser, et a, depuis peu, développé une étrange obsession pour le papier toilette (elle demande un nouveau paquet tous les jours). Mais d'après les médecins, elle n'a jamais été aussi bien...

Ce qui caractérise les patients en psychiatrie, c'est que beaucoup sont dans la séduction. Ils cherchent à séduire les soignants, pour diverses raisons. Ils vous font des compliments, vous disent que vous êtes jolie, ravissante, qu'ils vous aiment, bref, ils vous flattent. Un jour, une patiente me clame son amour, comme elle le fait habituellement. Puis elle me demande si je l'aime en retour. Sans même y réfléchir, un peu spontanément, je me suis entendue lui répondre : "Je ne suis pas là pour vous aimer, je suis là pour vous aider." Je n'ai absolument pas la moindre idée si c'était la bonne chose à répondre. Mais je pense tenir là l'ébauche d'une idée qui mérite contemplation.

Il ne me reste plus qu'une semaine de stage. Je vais être en après-midi, en plus, je suis ravie. Mais comme dit Bourvil : "Faut ce qui faut.

Journal D'une Elève Aide-Soignante [TERMINÉ]Where stories live. Discover now