Plus près de toi, Patience...

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Bon, d'accord, je vais commencer ce chapitre en faisant un aveu : j'ai hâte que ce stage se termine.

Quel retournement de situation, n'est-ce pas ? Vous avouerez que j'ai fait du chemin depuis mon admiration initiale pour finir sur une impatience bien connue du plus grand nombre : vivement que ça se termine.

Cette semaine, j'ai eu une révélation. J'ai passé la plupart de mes stages à me dire que, peut-être, en dépit de mes aspirations professionnelles, je pourrais rencontrer un service que je pourrais considérer comme étant tout aussi intéressant que la chambre mortuaire.
Ma troisième semaine de stage s'est soldée sur une conviction profonde : je déteste prendre en charge des patients vivants.
Ça y est, c'est officiel, c'est décidé. Du moins, ma certitude ne s'en retrouve que plus établie. D'autant plus que j'ai passé ces derniers jours à me souvenir d'une anecdote que m'avait raconté ma référente à mon entretien individuel : elle connaissait une infirmière qui officiait au bloc opératoire, parce que "comme ça, elle n'a pas à parler aux patients". Ça m'avait un peu surprise sur l'instant, mais je me rend compte que le choix d'un service peut effectivement tenir sur une raison aussi simple. Cette infirmière avait préféré le bloc parce qu'elle ne voulait pas interagir avec les patients. Pourquoi n'en serait-il pas de même pour moi ?
Donc voilà, mon stage au sanatorium semble avoir confirmé ce que je pensais faire de mon diplôme.

Alors, attention, pas de malentendu. En dépit du cafouillage à l'arrivée, l'équipe y est très bien, et l'on y apprend de nombreuses choses.
Ce stage reste un excellent terrain de stage. Mais les conditions de travail y sont effroyablement frustrantes.

Oui, j'emploie le terme de "frustrantes", car c'est bien la frustration qui domine, quand je fais le bilan.

Quand les aides-soignantes m'avaient dit que le service était particulier et que je ne verrais rien de pareil nulle part ailleurs, j'étais loin de me douter que ce serait aussi vrai.

J'en viens même à me réjouir, qu'il n'y en ait pas de pareil ailleurs. Parce que si tel était le cas, la cause du manque de personnel soignant ne se verrait pas attribuée aux calculs comptables des établissements hospitaliers.

Et là, vous vous dites, "mais qu'est-ce qui s'est passé pour qu'elle dise un truc pareil ? "

Peut-être, effectivement, que je grossis un peu le fil. Après tout, il y a quand même des soignants, des médecins, des bénévoles pour y travailler, dans ce service. Certes, il leur arrive de perdre patience, et ils/elles expriment leurs frustration plus d'une fois. Mais personne ne s'est enfui en courant, ce qui, en soi, est déjà quelque chose.
Mais peut-être aussi, qu'en tant que stagiaire, je sais que mon temps sur place est voué à se terminer, m'octroyant ainsi le luxe de la critique facile.

Bref, que se passe-t-il, là-bas ? Quel est le problème ?
Le problème réside chez les patients.
Ou, pour être plus exacte, rendons à César etc..., certains patients.

Il y a des patients dont on entend à peine parler. Au moment des transmissions, leur situation est souvent résumée d'un laconique "Mr/Mme Machin, ça va ". Ce sont des patients qui suivent scrupuleusement leur traitement, ont compris son intérêt et sont très attentifs à leur santé. Il arrive qu'il y ait des petits troubles, mal à la tête, aux dents, au ventre, anxiété, ce genre de choses. Mais en général, ils ne font aucune vague.

Et puis, il y a les autres. Et quand je parle de frustration, je sais de quoi je parle.

C'est une question que je me suis souvent demandée, et que je finirai très certainement par poser à l'équipe, car j'ai souvent eu beaucoup de mal à comprendre comment ces gens pensent.
Ce sont des personnes malades. Ils sont dans le service pour se soigner. On est là pour les aider à aller mieux, on leur donne des médicaments pour aller mieux. Et des médicaments qui coûtent une sacrée blinde, il y en a un, une seule gélule vaut facilement 300 euros.
Et ils ne veulent pas prendre leurs médicaments.
Ou alors, ils les prennent, mais choisissent ceux qu'ils veulent prendre. Plusieurs fois, aux transmissions, vous entendrez "il a pris son Truc, mais il a refusé le Machin". Anecdote véridique, une infirmière de nuit a raconté comment elle a dû forcer un patient à prendre sa gélule après qu'il ait fait mine de la mettre dans sa bouche pour la cacher ensuite dans sa poche. Tout ça devant l'infirmière. Pour ensuite prétendre que oui, il a bien pris sa gélule. Que l'infirmière retrouve dans sa poche en y mettant la main. Il a fait le coup deux fois de suite, au point que l'infirmière a dû littéralement lui mettre la gélule elle-même dans la bouche.
Il y a également ce patient qui accepte de prendre un certain médicament, parce qu'il fait rougir les urines, et qu'il sait que les infirmières vont venir lui faire des tests d'urines à l'improviste pour vérifier leur couleur. Il ne prend même pas le médicament parce qu'il veut aller mieux, il le prend pour avoir la paix.
Ou alors, ces patients en isolement air, qui doivent porter un masque en permanence quand ils sortent de leur chambre, et que l'on retrouve en train de fumer ou à la terrasse de la cafétéria, sans porter de masque.
D'ailleurs, fumer quand vous êtes tuberculeux, c'est sans l'idée la plus foireuse que vous puissiez avoir. Mais il y a beaucoup de patients pour qui ça leur passe très loin au dessus de la tête. Et encore, quand ils se contentent de consommer du tabac. Il y en a qui ont pour préférence des substances un peu moins enthousiasmantes...

Ces patients, à la rigueur, sont plus frustrant pour les infirmières et les médecins. Leur mauvaise volonté et leur mauvaise foi met en péril tout le protocole de soin. Un patient s'est même vu recevoir la visite du directeur de l'hôpital en personne, car sa négligence était devenue inadmissible.

Pour les aides-soignantes, c'est autre chose. La source de frustration est différente, mais tout aussi frustrante.

99,9% des patients du service sont des personnes en diverses situations de précarité. Ce sont généralement des SDF et/ou des migrants sans papiers. Ce sont des gens qui n'ont rien, parfois pas même des vêtements, ils sont nourris, logés, blanchis, soignés... et ils se permettent d'être exigeants. 
Je le dis et le répète, il y a des patients très gentils et très discrets. Et il y en a d'autres qui vous demandent des choses à tout-va sans même un mot de politesse, vous font une pendule parce qu'il n'y a pas de mayonnaise sur le plateau repas, refusent leur plateau parce qu'ils n'ont pas encore eu leurs médicaments et viennent ensuite se plaindre que c'est froid. Ces patients se croient chez eux, c'est ce qu'ils veulent, quand ils veulent, comme ils le veulent, et vous êtes leur larbin.
Plus d'une fois, je me suis retrouvée à me croire femme de chambre d'hôtel. 

Je me souviens avoir souvent entendu les infirmières parler des patients géorgiens. Elles avaient eu, à une époque, toute une ribambelle de Géorgiens. Aujourd'hui encore, elles restent horrifiées par le souvenir qu'elles en ont : mal élevés, malpolis, injurieux et qui crachaient par terre.
Elles prient le ciel pour ne jamais plus avoir de nouveau une telle situation dans le service.

Et moi, je prie le ciel pour ne plus jamais avoir à travailler dans tel service. 

Dans le fond, donnez-moi des patients décédés, ce sera très bien.

Journal D'une Elève Aide-Soignante [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant