Il était un stage...

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Il était une fois, dans un paisible institut de formation, étudiait une simple élève. C'était une brave jeune femme, qui trimait courageusement pour obtenir pour obtenir son diplôme d'aide-soignante. Or, un jour, par un caprice du hasard, elle fut envoyée loin, très loin, dans les méandres d'un service de chirurgie cardiaque. La malheureuse élève était bien perdue. Elle ne connaissait rien en cardiologie. Comment allait-elle réussir sa quête et ramener en son sein la validation de stage tant convoitée ?

Ca me rappelle ce meme sur Tumblr, opposant une puissance insurmontable à une pauvre âme qui passait par là, en demandant qui l'emporterait. Une petite pique à ce cliché de fictions où l'on voit souvent un bouseux partir sur les chemins, devenir un héros par on ne sait quel miracle scénaristique, et renverser une force millénaire sur laquelle les plus grands héros de tous les temps se sont cassé les dents. Voir "Le Hobbit/Seigneur des Anneaux" et consorts.

Bref, cette pauvre élève, c'est moi. Et la force millénaire, c'est ce bon Dieu de stage en chirurgie cardiaque, que je ne sais même pas par quel bout prendre. Deviendrai-je une héroïne ? Renverserai-je l'adversité de mon ignorance totale du sujet ? Mènerai-je un jour à la baguette le patient chiant de la chambre 25 ? L'amour triomphera-t-il ? Hollywood refera-t-il un jour de grands films de cinéma ? La suite en images. Ou plutôt en texte. Bref.

Mon stage en chirurgie cardiaque adulte, donc. Qui a bien commencé, d'ailleurs. Vous vous souvenez que l'on m'avait demandé de venir à 7h45 pour les transmissions, n'est-ce pas ? Ce qui m'avait un peu étonnée, parce que mes deux camarades de promo, dans le même hôpital, commençaient à 9h. Eh bien, j'aurais dû commencer à 9h aussi. C'est bête, hein ?

Je me présente à 7h45, la bouche en coeur, bonjour, je m'appelle Alexandra, je suis la stagiaire aide-soignante, et tout, et tout, et je tombe sur une équipe bien surprise de me voir arriver si tôt. Apparemment, l'infirmière en chef (car il semblerait que ce soit elle que j'ai eu au téléphone) s'est un peu trompée dans ses directives. Ah, bon... Cool. J'aurais pu rester une heure de plus au lit.

Je me retrouve donc à assister aux transmissions, auxquelles je ne comprends rien de rien.
Les transmissions, c'est quoi ? C'est simple : à 7h45, c'est la fin du service de l'équipe de nuit, et le début de celui de l'équipe du matin. L'équipe de nuit communique donc ses observations et les soins apportés aux patients du pôle. Par exemple : "la patiente X a fait de la tachycardie à 1h, on lui a donné tel médicament, elle a très bien réagi au traitement", ou "on a scopé le patient Y  à 3h, ses constantes étaient...". C'est le résumé patient par patient, qui permet à l'équipe du matin de prendre la relève en sachant ce qui s'est passé dans le pôle en son absence. Une nouvelle transmission est ensuite faite entre l'équipe du matin et l'équipe du soir, puis entre l'équipe du soir et l'équipe de nuit, et ainsi de suite. Chaque nouvelle équipe sait donc où elle en est avec les patients. C'est une étape obligatoire, dont l'importance est cruciale : imaginons qu'un patient ait fait, disons, un infarctus au cours de la nuit. Il est sous traitement pour le stabiliser. Si la nouvelle équipe n'en est pas informée, comment sait-elle qu'il faut donner tel médicament à ce patient ? Les transmissions sont les garantes d'une bonne continuité des soins.
Sauf que ce premier jour, je me mets à entendre des termes que je n'avais jamais entendus avant, et que je suis en peine de comprendre. Ce que j'ignorais alors, c'est que pour ce premier stage, je n'étais pas censée chercher à comprendre les transmissions.

Ce premier stage correspond, en fait, à l'application des premiers modules étudiés en institut, à savoir l'accompagnement de la personne, l'ergonomie et l'hygiène des locaux hospitaliers. Cela veut dire les toilettes des patients, leurs repas, leur confort au quotidien et l'hygiène de leurs chambres. Rien de plus, et rien de moins. J'étais censée me prendre deux patients, et m'en occuper.

Malheureusement, pour cette première semaine, c'était un peu raté. D'abord, parce qu'il y a eu ces bon Dieu de problèmes climatiques qui ont déréglé les transports en commun et, par le fait même, les effectifs des équipes. Ensuite, parce que les patients du pôle n'arrêtent pas de bouger. Ils restent, tout au plus, entre un jour et trois jours. Difficile de les suivre correctement dans ces conditions, on a à peine commencé à comprendre leur rythme de vie, ils sont déjà partis. 

Le seul qui s'accroche, dans ce bon Dieu de pôle chirurgie, c'est le patient de la 25. Le patient CHIANT de la 25. Je suis arrivée le lundi, il était déjà là ; et quand je suis repartie le jeudi soir, il y était encore. Et il avait rendu l'équipe soignante complètement chèvre.
Imaginez un vieux. Un chouineur, un chichiteur. Un qui n'arrête pas de gémir et de se plaindre. "Je suis fatigué", "c'est dur, vous savez", "je ne peux pas me lever", à demander à ce qu'on l'aide pour se lever/s'asseoir/s'habiller/se laver/manger/toute la clique. Et tout ça, alors que ? Il est parfaitement capable de se débrouiller. Un profiteur de première, un qui n'a juste pas envie de se fouler, et qui joue les martyrs pour qu'on lui mette la cuillère dans la bouche. Il rechigne à manger son plateau repas, il réclame un sandwich à la place, on lui accorde un sandwich, il ne mange pas le sandwich. Vous voyez le genre.
Sainte patience... Celui-là, quand je reviendrai lundi, il a intérêt à être parti.

J'ai donc fait quoi, dans ce pôle ? J'ai refais des lits de patients qui restaient, j'ai désinfecté des chambres de patients qui partaient, j'ai répondu à des coups de sonnette, mais je n'ai eu aucun patient attitré. J'ai picoré des petites missions, ici et là, mais pas de quoi tenir un stage de cinq semaines.
Les journées se ressemblent, c'est presque une routine. Tournée du matin, "comment avez-vous dormi ? Vous avez tout ce qu'il vous faut pour la toilette ? Vous avez besoin d'aide pour la toilette ?". On vous dit oui, on vous dit non, on vous dit merde, mais au niveau d'une aide-soignante, c'est toujours la même chose.
La seule chose nouvelle dans ce stage, c'est l'apprentissage des constantes. Ce qu'on appelle les "constantes", c'est pouls/tension/température. Je sais lire un scope, poser les pinces, mais, d'une part, je serais incapable de savoir ce que les résultats veulent dire, et d'autres part, je ne suis pas encore censée en être à relever les constantes.

Du coup, quand je suis retournée à l'institut le vendredi pour le bilan, c'était très mitigé. 
Trop dispersée : l'idéal aurait été que je m'octroie une chambre ou deux, et que je m'occupe exclusivement des patients de ces chambres plutôt que papillonner d'une chambre à une autre. Pour optimiser mon stage, je devrais faire deux toilettes par jour.
Trop précipitée : mon défaut majeur dans cette première semaine. Je n'ai pas assez pris le temps de rester en retrait et d'observer. J'ai vu les aides-soignantes faire les choses une fois ou deux, et j'ai prétendu me lancer, avec pour résultat les aides-soignantes qui devaient retourner voir le patient parce que j'avais oublié des choses. J'ai demandé à apprendre les constantes, alors que je n'en suis pas encore là. J'ai voulu faire trop, trop vite. La peur de devenir le boulet de service, je suppose. Quand vous êtes dans une équipe qui voit partir cinq patients et en voit arriver sept, avec des médecins qui continuent d'envoyer des patients en se fichant qu'il n'y ait plus de lit, et qui doit se battre au téléphone pour trouver des places, vous n'avez pas envie de bêtement demander ce qu'est une TAVI. L'équipe, de toute évidence, a plus urgent à faire, alors on apprend, vite, et pas forcément bien.
Lundi, je vais devoir prendre sur moi de faire asseoir ma référente, et de lui demander de me confier une ou deux chambres du pôle. Je vais devoir aussi prendre sur moi de comprendre un peu mieux le fonctionnement du service, comme lire le livret d'accueil remis aux patients à leur arrivée. Ne pas savoir que, pour obtenir la télévision dans sa chambre, il faut aller à la cafétéria du rez-de-chaussée, c'est un peu bête. Et je vais devoir également prendre sur moi d'apprendre quelques abréviations élémentaires, comme les "ATC", les "coronaro", les "TAVI". Parce que quand vous lisez les transmissions sur un patient, que vous tombez sur "un épisode TV à 5h", et que vous confondez une Tachycardie Ventriculaire avec un programme télé, ce n'est plus un grand moment de solitude, à ce niveau.

Journal D'une Elève Aide-Soignante [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant