Fin du premier mois !

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Finir le premier mois, je ne sais pas pour vous, mais je trouve que c'est une sorte de grand moment. C'est comme si on avait franchi une étape. Alors que j'écris ces lignes, m'est brusquement venue en tête l'image de la fin de période d'essai d'un contrat d'embauche. Je pense pouvoir donc identifier l'origine de mon opinion sur les fins de premiers mois.

Le bilan ? Je me dis que ça peut le faire. Bon, on ne nous l'a pas caché, le rythme et la charge de travail vont s'intensifier, mais je trouve la chose un peu logique, on va commencer à étudier des notions un peu plus pointues. D'ailleurs, le prochain module que l'on risque d'aborder, c'est "état clinique de la personne". On est loin des concepts de l'alimentation du bien portant, ou des valeurs professionnelles, même si le tout forme un ensemble. C'est comme une tour de Kapla : vous enlevez une planchette de base, le reste s'écroule.

C'est sur ces considérations comparativo-philosophico-machin que je peux affirmer m'être très bien dépatouillée de mon premier mois de formation.

Je me suis, d'ailleurs, tellement bien dépatouillée, que j'ai réussi haut la main mon évaluation d'ergonomie. Ma note ? 19,25/20 ! Ouais, m'sieur !
J'ai manqué le 20/20 à deux broutilles : sur une manipulation, mon dos n'était pas complètement droit, et sur l'autre, j'ai mal placé mes épaules et tiré sur mes lombaires plutôt que pousser sur mes quadriceps. Mais ce sont des erreurs que je ne suis plus prête de refaire.
Dans la classe, il y a eu deux 20/20. La première n'était pas une surprise, c'est une fille extrêmement compétente, et je n'ai pas le moindre doute quant à ses chances d'être diplômée. La deuxième, personne ne l'a vu venir. La veille de l'examen, elle angoissait beaucoup. Le jour J, elle était en panique, convaincue d'avoir raté. Comme quoi, l'angoisse est un très mauvais indicateur.

Voilà donc qui est fait. Je n'ai plus qu'à transformer l'essai.

Lundi prochain, je vais entamer mon premier jour d'un stage de cinq semaines. Je vais travailler en service de chirurgie cardiaque, dans certainement l'un des, si ce n'est LE, meilleurs établissements dans ce domaine. Le genre d'établissement, en fait, qui fait réfléchir un recruteur à deux fois et plus, avant de jeter ton CV à la poubelle, tu vois le genre ? Le genre de terrain de formation extrêmement prestigieux, que la coordinatrice des stages nous fait une syncope si la collaboration est rompue pour cause de mauvais(e) stagiaire...
Bref, en un mot comme en cent, je n'ai pas le droit à l'erreur.

Mais je crois que la coordinatrice, en dépit de sa peu avenante première impression, m'a un peu à la bonne, d'une certaine façon. En tout cas, elle ne choisit pas les stages au hasard. Déjà, c'est avec elle que j'ai passé mon concours d'admission pour intégrer l'institut. C'est donc à elle que j'ai exposé mes projets et mes motivations. Elle connait donc mon profil. Et c'est en accord avec ce profil que, pour mon deuxième stage en mars/avril, elle m'envoie dans une MAS. Une MAS, c'est une Maison d'Accueil Spécialisée. Y sont accueillis des personnes adultes polyhandicapées, sur une base de grave handicap mental. Ce sont des gens en état de "grande dépendance" qui ont besoin d'une aide permanente et personnalisée pour les gestes de la vie quotidienne.
Mais là où ça devient très intéressant, c'est que la MAS où elle m'envoie pratique un concept qui se développe de plus en plus : "l'humanitude".

L'humanitude, c'est quoi ? Déjà, on oublie les pseudo-néologismes à la Ségolène Royal (la "bravitude", hein...), l'humanitude est un concept à part entière. On pourrait presque parler de philosophie.
C'est une approche de soins fondée sur l'adaptation du soignant au patient. En général, dans les établissements de santé, le patient est soumis à l'organisation de l'établissement qui l'héberge ou le soigne. Cela veut dire repas à telle heure, toilette à telle heure, coucher à telle heure, et c'est comme ça et pas autrement. L'humanitude, c'est l'inverse. C'est l'organisation de l'établissement qui est soumise au patient. C'est le rythme du patient, ce qu'il veut, comme il le veut. On est donc très loin des réveils à 7h30 pétantes, pour faire ensuite les toilettes à la chaîne, et hop ! au petit déjeuner, les patients ont trois-quart d'heure pour manger, et s'ils ont pas finis, tant pis, on leur enlève leur plateau quand même parce que la cuisine veut tous les récupérer avant 9h... Véridique. C'est souvent, d'ailleurs, cette approche complètement robotisée, complètement "déshumanisée", qui pousse des infirmières à rendre leur tablier dans la presse.
L'humanitude, c'est une philosophie du lien, du soutien et de l'accompagnement. Le regard est tendre, la parole indispensable, le toucher essentiel, le sourire primordial. A cela s'ajoute le principe de "verticalité". Trop souvent, dans les Ehpad, maisons de retraite, l'ont voit les résidents/patients emprisonnés dans leurs fauteuils, sans possibilité de se déplacer. En humanitude, la station debout est considérée comme riche de bénéfices aussi bien physiques que psychologiques. Les résidents sont encouragés à marcher, à pratiquer des activités (et je ne parle pas de loto, hein), voire même à s'investir dans le fonctionnement de l'établissement. Cela entretien leur autonomie, et surtout, leur bien-être.
Si, donc, vous recherchez une reconversion, allez-voir du côté de l'humanitude. Ca a l'air vachement bien, comme truc.

Tout ça pour dire que je piaffe d'impatience d'être en mars. Et on vient à peine de commencer le mois de février...

Il y a cependant un autre stage que je serai tout aussi impatiente de faire. Il n'est pas encore programmé, car étant donné son caractère particulier, il faut que je fasse d'abord une démarche de demande en envoyant une lettre de motivation et un CV. Pour aller où ? En hôpital des armées ! Oui, j'ai l'intention de faire un stage en hôpital militaire. Le stage en psychiatrie, très exactement.
Dommage que Val de Grâce soit fermé, j'aurais été là-bas. Du coup, je pense aller à Bégin. D'abord, parce qu'il est plus rapidement et plus facilement accessible de Percy, mais aussi parce que c'est Bégin qui a récupéré le pôle psychiatrie de Val de Grâce.
J'aime la rigueur. J'aime quand le travail est carré. Peut-être que je fais là état d'une méconnaissance complète des services hospitaliers militaires, mais je suis curieuse de savoir comment on y travaille, comment le travail est encadré, comment il est organisé, qu'est-ce qui différencie un hôpital militaire d'un hôpital public ou privé ? J'avoue aborder ce projet de stage plus à but documentaire personnel que formation d'aide-soignante. Mais il faudra quand même que je dénoyaute le cadre de santé en psychiatrie, la prochaine fois qu'il viendra pour intervenir.

John B. est ce qu'on pourrait appeler un Personnage. Avec un P majuscule, s'il vous plaît. Débarqué à 19 ans comme agent hospitalier en service de psychiatrie, avec les prétentions de son âge à ne plus savoir où les mettre. Un crochet par le service des urgences, où il tourna de l'oeil à la vue d'un patient décédé, le renvoya ventre à terre en psychiatrie. Devenu infirmier, puis cadre de santé, il travaille dans le milieu depuis 30 ans. Et son travail ressemble à tout, sauf à l'image du soignant en psychiatrie que des décennies de culture populaire nous ont gravé dans le crâne.
Car s'il y a un stage qui fait peur, c'est bien celui en psychiatrie. Pourquoi ? Parce que biberonnés aux "Silence des Agneaux", "Donnie Darko", "Shutter Island" et autres "Split", la première image que nous avons du "malade mental" est celle du psychopathe, ou du fou furieux imprévisible qui se jette subitement sur vous pour vous poignarder avec une cuillère parce qu'une voix dans sa tête lui dit de le faire.
Tout d'abord, ce type de profil ne relève pas d'un service de psychiatrie classique. Ceux qu'on appelle les "malades dangereux" sont plus volontiers internés en Unité pour Malades Difficiles, où les conditions d'internement sont quasi-carcérale. Un élève aide-soignant a donc peu de risques d'y faire un stage.
Qu'est-on donc susceptible de voir, en stage psychiatrie ? Des dépressions, des schizophrénies, des névroses, des troubles du comportements... bref, rien de vraiment méchant, et si un patient devait être considéré à risques, on ne laisserait certainement pas un stagiaire l'approcher. D'autant que 90% des patients sont venus de leur plein gré. On se sent tout de suite un peu mieux, là ?
Il n'empêche que c'est une classe d'élèves aide-soignants tétanisés qui a un jour poussé l'institut à appeler John B. en catastrophe, pour leur expliquer que non, ils  ne croiseraient pas l'équivalent d'Hannibal Lecter ou de Tony Meilhon. Et si, en 30 ans de carrière, il n'a reçu "que" trois pains dans la figure, c'était souvent de sa faute à lui.

Quel personnage, ce John B. Un bonheur à écouter. Des anecdotes à remplir une encyclopédie. Comédien à ses heures perdues, il joue également des rôles dans le cadre de mises en situation. Vivant, vibrant, gesticulant, il adore son métier, ça se voit et ça s'entend. Je ne sais pas quand il est prévu qu'il revienne, mais voilà un cours magistral dans lequel vous n'être pas prêt de vous ennuyer...

Mieux, en tout cas, que le cours de brossage des dents. Non, on n'apprend pas à se brosser les dents, mais à brosser celles de vos patients. Parce que vous pouvez avoir des patients tellement dépendant qu'il faut, également, leur brosser les dents.
Imaginez donc une ribambelle de binômes, serviette de toilette autour du cou, en train de mutuellement se brosser les dents. Le pire ? Cracher l'eau de rinçage dans le haricot. Mais je vais être gentille, je vais vous laisser garder le contenu de votre estomac...

Journal D'une Elève Aide-Soignante [TERMINÉ]Where stories live. Discover now