Dans le vif du sujet

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Il y a des stages, des services, on arrive et, disons que l'activité n'est pas à son minimum, mais c'est calme. Pas beaucoup de travail, on commence doucement. Et il y a d'autres stages, d'autres services, on arrive en plein boom, et on a à peine le temps de se présenter qu'on est déjà dans le feu de l'action.

Dans mon cas, j'ai eu un peu des deux. L'activité n'était pas forte, mais quelle activité ! Dès la première semaine, j'étais servie.

L'un des soins qui caractérise la chambre mortuaire dans laquelle je suis, c'est la foetopathologie, familièrement appelée "foeto". Quésaco ? En gros, c'est l'examen post-mortem des foetus décédés. Le but est de déterminer pourquoi la grossesse n'a pas abouti. Ce n'est pas un examen obligatoire, il reste au libre choix des parents, mais le diagnostic peut se révéler précieux en cas de grossesse ultérieure.
Comment se fait un examen de foetopathologie ? Deux actions sont possibles : l'examen externe (visant à examiner le corps sans actions invasives) ou l'autopsie (visant à ouvrir le corps et à faire des prélèvements pour analyse). Les deux combinés ne sont pas possibles, c'est soit un examen externe, soit une autopsie. Dans tous les cas, s'il y a examen, une radiographie est obligatoire. Et c'est précisément ces radiographies auxquelles j'ai été amenée à assister d'entrée de jeu.

Quand j'ai fait ma FAE dans ce même service, il y a presque cinq ans, j'avais assisté à la préparation d'un foetus de 22 semaines. Ça avait été un choc, j'avais senti mon esprit se fermer avec une violence inouïe. J'avais gardé, par la suite, un rejet assez marqué des bébés décédés. Je n'avais aucun souci avec les adultes, mais je me sentais peu capable de garder la tête froide face à des tout-petits.

Et pourtant, aujourd'hui, face à l'opportunité d'accompagner l'AS pour faire les radios de deux foetus, il m'a bien fallu me prendre par la main et y aller.
Je n'ai pas caché mon inconfort face à cette perspective. S'il y a une chose qu'il est très important de savoir, dans le médical/paramédical, c'est de ne jamais cacher son mal-être face à une situation. Parler à ses collègues, exprimer ce qui ne va pas, est tout aussi important que soigner des patients. Rappelez-vous : vous ne pourrez pas correctement prendre en charge un patient si ne vous prenez pas en charge vous-même.
La réticence face à la mort périnatale est une chose tout-à-fait normale. L'on ressent un sentiment d'injustice flagrant à voir mourir un être qui n'a même pas eu le temps de vivre. Malheureusement, prendre en charge des bébés fait partie du travail, et il faut bien apprendre à se constituer sa petite carapace.
Bon, entre temps, j'ai un peu dépassé le stade du "voir un bébé mort me bouleverse en tant femme et mère potentielle". J'ai appris à relativiser cet aspect. Mais, je ne vais pas mentir, je vais avoir un peu de mal à dépasser celui du "c'est tout moche, c'est tout rouge, tout mou, tout beurk". Les bébés dont le terme est avancé sont plus faciles, parce qu'ils sont formés. Ils ressemblent – plus ou moins – à des bébés. Mais quand vous avez devant vous une crevette de 8 semaines, 15 semaines, ben mon vieux, c'est pas un cadeau. Ils ont tête, bras, jambes et doigts ; on distingue sur le visage la ligne du nez, de la bouche, et l'emplacement des yeux ; mais la peau n'est pas formée, la chair est encore à vif, les os sont encore complètement cartilagineux. Imaginez un petit alien tout mou et tout rouge, grand d'environs 15/20 centimètres. Maintenant, imaginez-vous le tenir dans vos mains et le manipuler sur une table de radio, à lui coller des bandes de sparadrap aux poignets et aux chevilles pour lui faire garder la bonne position. Dites-vous bien que si vous serrez les doigts trop forts, vous l'écrasez sans problème. 

J'ai assisté à ces radios deux jours de suite. Il n'y a pourtant pas tant de foeto que ça, dans le service, mais je suis arrivée à un moment où il y en a eu quatre d'un coup.

Un autre soin qui caractérise les chambres mortuaires, quelles qu'elles soient, ce sont les soins de conservation.

D'abord, c'est quoi ? Techniquement, on appelle ça la "thanatopraxie" (de Thanatos qui est le dieu grec de la mort, et de praxis qui veut dire "action manuelle") ou "formolisation". Elle consiste en des soins invasifs visant à retarder la décomposition du corps. 

Journal D'une Elève Aide-Soignante [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant