...Pour mieux repartir en stage

32 1 0
                                    


Et en plus, on n'a pas vraiment beaucoup de trucs, pendant la semaine de cours. Tout ça pour revenir en stage la semaine d'après, et cette fois, pas de retour à l'IFPM le vendredi. On a un bloc de quatre semaines complet.

L'Ehpad, donc. Très différent d'un service hospitalier, mais ça, on s'en doute déjà, même s'il reste quelques similitudes. Les tournées des infirmières avant les repas, par exemple. Celles des AS pour les toilettes, aussi.
La différence notable, c'est que la plupart des résidents sont là depuis des années, ce qui permet un meilleur niveau de connaissance de la personne. On est loin de Marie Lannelongue et de ses patients qui partent au bout de deux jours. Ce sont des patients tous âgés, avec différents degrés d'autonomie.

J'avais rendez-vous le lundi à 9h du matin. Déjà, j'apprends que la responsable de stage est absente jusqu'au 27 du mois. Pour l'accueil et la présentation du stage, je crois donc que je repasserai. A la place, c'est une infirmière qui s'est contentée de me remettre un petit papier sur lequel était imprimé mon planning de stage et de me faire le tour rapide des lieux.
Bon, il faut bien admettre, c'est pas dégueu. C'est même assez joli. C'est spacieux, lumineux, assez coloré. L'établissement comporte une salle de restauration commune, un salon de coiffure, une salle d'arts plastiques, un Pôle d'Activité et de Soins Adaptés (PASA) avec des activités sociales et thérapeutiques destinées aux résidents, un Accueil De Jour (ADJ) avec des activités sociales et ludiques destinées à des personnes venues de l'extérieur, une bibliothèque, une cour intérieure avec jardin et mobilier d'été, sans compter la ribambelle d'aides-soignantes, d'infirmières, de psychologues, de psychomotriciens présents pour veiller à la santé des résidents.

Bon, aussi bien agencé/décoré/humanitude soit-il, ça reste un Ehpad. Et qui dit Ehpad, dit manque de personnel. C'est une réalité, malheureusement. La plupart des AS sont en contrat pro. Les autres sont en CDD. J'avoue me demander comment on peut appliquer l'humanitude dans ces conditions.

Je suis affectée à un étage comportant 28 chambres individuelles. Elles ont toutes une salle d'eau, un grand placard mural, un lit médicalisé, des meubles, une télévision, et même un mini-frigo. Les résidents peuvent même ajouter de petits meubles à eux, comme un fauteuil ou une petit commode, et mettre des cadres et des décorations aux murs. Autant dire qu'ils sont bien mis. Il y a une salle à manger pour ceux qui ne vont pas à la salle de restauration, et en une semaine, j'ai vu tourner 3 infirmières et 6 AS.

Pour une première semaine, j'ai eu un peu droit à tout. Et ce qu'on vous apprend dès le départ, c'est à vous méfier. De qui ? Des résidents, figurez-vous.
Parce que, dixit les AS avec qui j'ai pu travailler, quand les résidents voient une nouvelle tête, ils en tirent immédiatement parti. C'est assez impressionnant le nombre de personnes qui, subitement, ne savent plus se lever, se laver, se raser tout seuls. Je me suis faite avoir une fois, un résident m'a demandé de lui raser le visage parce qu'il disait ne pas savoir le faire. Bonne poire, je l'ai fait, jusqu'à ce qu'une AS arrive en se demandant ce que je fabriquais, et renvoie le résident dans ses quarante mètres en lui rappelant qu'il savait parfaitement se raser lui-même.

Les résidents sont tous très différents. Il y en a des très autonomes, qui peuvent se déplacer/laver/nourrir seuls, et des pas du tout autonomes, qui doivent être suppléés dans tous les aspects de leur vie. Il y en a des très cohérents, et des qui souffrent de démence. Une aile de l'établissement est d'ailleurs dédiée aux patients Alzheimer.

Il y a, par exemple, Mme M. Très cohérente, très orientée, mais peu mobile et doit se déplacer en fauteuil roulant. C'est une dame que l'on doit amener à la douche, mais qui se lave seule. Fait du tricot à ses heures perdues.
Il y a Mr D. Breton. Hémiplégique gauche. Assez orienté et cohérent, mais souffre parfois de confusion et d'oublis. Nous demandera où est son portable qui se trouve juste devant lui. 
Il y a Mme H., Mme V. et Mme A. Pas du tout autonomes. Pas du tout orientées, pas du tout cohérentes, pas du tout mobiles et clouées en fauteuil roulant. Doivent recevoir la toilette au lit, ainsi qu'une aide au repas avec des aliments hachés et mixés, et de l'eau gélifiée.
Aussi Mr Q. Un profiteur, ce monsieur. C'est lui qui m'a fait lui raser le visage. Mobile et autonome, mais souffre de troubles de l'estime personnelle et d'un possible état dépressif. Est convaincu que personne ne l'aime, et ça ressort sous forme d'agressivité. Une bénévole qui était avec lui a dû le recadrer après qu'il ait traité les demoiselles de l'accueil de "sales négresses".
Egalement Mr L. Orienté, cohérent, autonome, mais très anxieux. Dès qu'on va le voir, il s'imagine qu'on va lui annoncer l'heure de sa mort. Doit être rassuré en permanence.
Mme R., elle, elle m'impressionne. Orientée et cohérente, parle très bien, un petit bout peu mobile (on doit l'aider pour ses transferts), mais charmante. Le truc qui casse la baraque ? Elle a 117 ans ! Ouaip, 117 bougies, et toujours en forme.
Je pourrai également vous citer Mme B., mais je n'aurais pas grand-chose à dire sur elle. Cette dame m'a fait beaucoup de peine. Maigre au possible, prostrée dans son lit, percluse de douleurs. Ne mangeait plus, ne bougeait plus et, au bout d'un moment, n'émettait quasiment plus le moindre son. Elle est décédée ce jeudi. Elle devait fêter ses cent ans le mois prochain. Mais quand je vois l'état dans lequel elle était, c'est bien mieux pour elle.
Il y a aussi Mme F. La terrible Mme F. Elle me fait peur, celle-là. Arrive à se déplacer à pieds, mais circule surtout en fauteuil. Troubles comportementaux et état dépressif. Caractère agressif, cherche à pincer/griffer/frapper/mordre/cracher/insulter. Chaque toilette au lit est un vrai festival. Sainte Patience !  

D'ailleurs, c'est au sujet de Mme F. que j'ai rédigé mon rapport d'étonnement. Mardi, alors que c'était seulement mon deuxième jour, j'ai assisté l'AS pour sa toilette au lit. Laissez-moi vous dire que je m'en souviendrai longtemps.
Je vais d'ailleurs publier ce rapport d'étonnement. Il n'est pas encore achevé, il me manque deux éléments, mais croyez-moi, ce que j'ai vécu vaut le coup d'être raconté. Car si on imagine bien volontiers l'image de l'AS avec une petite mamie toute douce et toute gentille, la situation inverse est toute aussi vraie...

Journal D'une Elève Aide-Soignante [TERMINÉ]Where stories live. Discover now