Mars, et ça repart

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Pourtant, je ne suis pas une acharnée du Mars. C'est sûr que c'est bon, mais quite à choisir, je préfère le Twix, ou mieux encore, le Snickers.

Sauf que voilà, pour l'analogie, c'est du Mars.

Parce que c'est reparti, du moins j'aime à le penser, et cette fois sur les bons rails.

Ma toilette ratée de Mme K., la semaine dernière, m'a poursuivie tout le week-end. J'étais incapable de penser à autre chose. Et j'en suis arrivée à une conclusion définitive : j'avais bel et bien un problème d'égo.
Ce n'est pas de l'auto-flagellation, c'est un constat. J'ai passé trois semaines à mal travailler parce que j'étais plus préoccupée à "faire ma pro" qu'à réellement apprendre à travailler. Et quand je me suis vautrée... Non, laissez-moi reformuler ça. Quand je me suis écrasée comme une merde avec la toilette de Mme K., j'ai compris qu'il était définitivement temps que je me sorte l'énorme chose qui me servait de tête du cul.
Mieux vaut tard que jamais, c'est sûr. Mais cela veut aussi dire qu'il ne me reste plus que huit jours pour renverser la vapeur.

Lundi, j'ai donc un peu repris depuis le début. Il était question, à l'origine, que je fasse une visite au bloc opératoire pour assister à des coronarographies et des TAVI. Mais la chose attendra.
A la place, j'ai pris ma place de stagiaire et suivi les aides-soignantes dans leur tournée du matin. Et c'était bien mieux comme ça.

Je ne vais pas mentir, j'ai vu le changement assez rapidement, et les aides-soignantes aussi. Je ne dis pas que je suis subitement devenue excellente, mais j'ai fais en quatre jours plus de progrès qu'en trois semaines. Ce n'est pas parfait, mais l'amélioration était définitivement là. Le plus important, et c'est une aide-soignante qui me l'a expliqué, n'est pas de se demander "qu'est-ce que les autres soignants vont penser de ce que je fais ?", mais de se demander "qu'est-ce que je suis en train de faire ?". Ce n'est pas l'opinion des autres qui importe, mais celle que je me fais de mon propre soin, quelle aide-soignante j'ai envie d'être.

J'ai fais des aides à la douche, j'ai eu l'occasion deux fois de refaire une toilette au lit. Il y a eu quelques fautes au début, notamment des fautes d'hygiène, comme laisser trainer un pan de serviette par terre en séchant un patient. Mais j'ai mieux su prendre note des remarques qui m'ont été faite, et aux douches suivantes, la serviette ne traînait plus par terre. Faire une toilette au lit sans se faire un listing préalable ? De l'histoire ancienne. Mais c'est là que je prends ma bassine pour changer l'eau de la toilette, et que je me rends compte que la porte de la salle de bain est fermée. Obligée de reposer la bassine pour ouvrir. La fois suivante, la porte de la salle de bain était bien ouverte. Prendre des bonnes résolutions ne se fait pas clefs en main. Mais, je ne vais pas mentir, c'est extrêmement gratifiant de se voir ne pas refaire les mêmes erreurs.

Par contre, pourquoi j'ai ce chic de choisir des patients avec "caractéristiques" ? On va les appeler comme ça. 
La semaine dernière, c'était Mme K. avec son isolement contact, ses 112 kgs et son sale caractère. Cette semaine, c'était Mme L., incontinente fécale, avec un prolapsus rectal et un rectocèle.

Je n'avais jamais vu un prolapsus de ma vie, personnellement.

Un prolapsus, c'est quoi ? C'est ce qu'on appelle aussi la "descente d'organes", et une complication gynécologique féminine. Dans le bassin, vessie, urètre, utérus, vagin, rectum sont soutenus par des ligaments qui les maintiennent en place. Quand ces ligaments lâchent, les organes tombent sous leur propre poids, et ressortent par les orifices. Dans le cas du vagin/utérus, on parlera d'un "prolapsus vaginal" ; dans le cas du rectum, ce sera un "prolapsus rectal".
Cette pauvre Mme L. avait, tout simplement, entre dix et quinze centimètres de rectum ressortis par l'anus. Elle était, en prime, incontinente fécale, ça voulait dire qu'elle ne pouvait pas retenir ses selles.
Faire la petite toilette à une patiente atteinte d'un prolapsus, c'est un grand moment qui demande extrêmement de délicatesse. Car on ne toilette pas la muqueuse rectale comme on toilette n'importe quelle autre partie du corps. Pas de savon, les gestes doivent être très doux, le mieux est de tapoter doucement avec un gant jetable mouillé. On ne frotte surtout pas, et puis quoi, encore ? A moins que vous ne vouliez l'envoyer bondir au plafond, cette pauvre dame.
Le rectocèle est plus discret, parce que c'est un problème interne. Mais en s'effondrant, le rectum devient une masse compacte qui vient presser contre la paroi vaginale au point de la déchirer et de passer par le trou. C'est le concept même de l'hernie.
En prime, on lui avait posé une sonde urinaire. Cette malheureuse patiente cumulait les handicaps de tous les côtés. Presque, elle s'excusait d'être dans le service, tant elle se sentait diminuée. Elle prenait une médication pour un symptôme dépressif, signe qu'elle n'avait vraiment pas le moral. Alors quand je lui ai fais sa toilette et que, par le simple fait de lui parler, j'ai réussi à lui faire oublier, ne serait-ce qu'un instant, qu'elle était une patiente hospitalisée, ça a été une immense joie et une immense fierté.

Ma deuxième patiente de la semaine, c'était Mme L. N.. Sa caractéristique, c'était qu'elle était très malvoyante. Elle distinguait des ombres et des couleurs, mais son champ de vision se limitait à ça. C'était donc une patiente qui, bien qu'elle soit autonome pour certaines choses, devait être aidée assez souvent.
C'était une petite dame adorable, avec une petite voix toute douce. Elle avait un petit appareil accroché au cou qui lui donnait l'heure, une sorte de petite horloge parlante.
Elle était très mobile, mais devait être guidée dans ses déplacements ; elle mangeait toute seule, mais demandait à savoir ce qu'il y avait dans ses assiettes et à ce qu'on lui coupe ses aliments ; elle se lavait très bien toute seule, mais devait être supervisée pour éviter un incident résultant de sa malvoyance.
Mme L. N. était un petit bout de dame âgée, un vrai bonheur d'aide-soignante. Je l'ai eue en charge pendant deux jours.

Elle sont toutes les deux parties le même jour, le jeudi. Une le matin, une l'après-midi, chacune dans son hôpital respectif. Et j'ai étrangement senti cette journée comme une page qui se tournait. Parce que c'était la première semaine où je faisais pour de vrai mon travail de stagiaire, et j'ai senti dans ces prises en charge un changement certain.

Croyez-moi, quand une patiente vous prend la main en vous remerciant, et vous dit que vous avez été formidable, ça vaut toutes les évaluations de stage du monde.

Journal D'une Elève Aide-Soignante [TERMINÉ]Där berättelser lever. Upptäck nu