Chapitre 10

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Jeudi 29 octobre ; 18 heures 00 - Chambre Woods.

Quatre. C'est le nombre de jours où je vis un réel enfer. Je passe du froid au chaud à longueur de temps. Je n'ose même plus bouger à cause de mes muscles endoloris. Je ne me suis jamais aussi sentie mal que ce début de semaine. Ce qui m'épuise le plus, c'est de vider mes tripes dans la bassine qui n'a pas bougé de place depuis le premier jour. Le pire, c'est que je ne mange plus rien depuis quatre jours, alors c'est d'autant plus douloureux. J'ai juste l'impression de me laisser mourir à petit feu. Je sais pourtant que ce n'est pas réel et que si tout va bien, je serais à nouveau sur pied dans quelques jours. Je commence à devenir folle dans cette chambre. Le seul moment où je sors du lit c'est pour utiliser les toilettes, me changer ou prendre une douche. Et encore, Woods doit me motiver à chaque fois pour que je le fasse. Le problème c'est que je dépends d'elle pour tout déplacement et ça commence à m'irriter. Je me sens minable de ne même pas pouvoir me rendre dans la salle de bain par mes propres moyens alors qu'elle se trouve seulement à quelques centimètres de mon lit. Heureusement que jusqu'ici j'ai réussi à me débrouiller seule dans la salle de bain. Cela m'obligeait à prendre beaucoup plus de temps que prévu à chaque fois, mais c'était certainement mieux que de devoir demander de l'aide à  Woods. Elle a beau être une femme et jeune, elle reste ma responsable. C'est gênant qu'elle puisse me voir dans des situations aussi intime. J'ai dû lui demander de l'aide qu'une seule fois et je me sens encore étrange de l'air fait. Maladroite comme je suis, ma boucle d'oreille s'était accrochée à mon t-shirt. J'avais essayé de m'y défaire toute seule, mais j'avais juste réussi à m'emmêler davantage. Woods était venue à mon secours sans broncher alors que j'étais à moitié dénudée. Je me sentais tellement embarrassée et pourtant elle n'avait rien fait pour me rendre comme ça, au contraire. Elle est tellement différente depuis que je suis ici. Ce n'est plus la responsable sévère qui tient des grands discours. C'est seulement une personne normale qui est aux petits soins. Elle ne m'a jamais quitté d'une semelle. Ray a dû la convaincre de mettre des rondes en place pour qu'elle se repose aussi. Elle a fini par accepté que quelqu'un d'autre reste à mon chevet lors des nuits et de ses trois repas par jour. C'est alors les trois autres instructeurs de dernières années qui prennent la relève : Ray, Pike et Titus. Sans eux, elle ne dormirait plus la nuit sachant que j'ai des insomnies. J'ai du mal à comprendre pourquoi elle ne délaisse pas plus ma surveillance. Ce n'est pas si les autres étaient incompétents. Je regarde du coin de l'oeil ma responsable qui est allongée sur son lit pour lire. Aujourd'hui, c'est ma première journée un peu près calme. Je souris doucement en constatant qu'elle m'a l'air bien absorbé par son livre.

- Tu te sens un peu mieux ?

Je ne comprendrais jamais comment elle peut me voir alors que ne détourne pas sa tête de sa lecture. C'est comme si ses yeux étaient partout. Ce n'est pas la première fois qu'elle me fait le coup. Je baisse mes yeux sur mes mains légèrement tremblantes.

- Mieux, mais pour combien de temps... ? murmurai-je.

Je soupire en sachant que la procédure du sevrage me prendra bien plus qu'une petite semaine. L'étape que j'endure en ce moment ne représente rien par rapport à ce que je vais devoir endurer psychologiquement plus tard. Je ferme les yeux à cette pensée.

- On peut profiter de cette trêve pour discuter ? demande-t-elle en fermant son livre.

Je regarde un instant ces yeux verts si perçant. C'est comme si elle savait à quoi je pensais en ce moment. Je hausse mes épaules. Ce n'est pas comme si je n'étais pas prévenue. Elle attendait seulement que soit en capacité de tenir une conversation, sans que ma tête soit constamment au-dessus de la bassine. Il faut aussi dire que la dépendance parle pour notre subconscience. Il semblerait que je lui aurais fait des avances pour obtenir de la drogue à un moment donné. Je n'avais aucun souvenir de ce passage, mais elle n'a pas manqué de me le rappeler pour se moquer de moi. J'étais morte de honte en l'apprenant. J'aurais également essayé d'amadouer ses collègues, d'une autre matière, heureusement pour moi. C'est bien pour ça que je m'inquiète de la suite si je suis déjà comme ça maintenant. J'étais pourtant clean dans ma tête avant cette soirée. Je m'en veux de tout devoir recommencer à zéro. Je débloque mes yeux du vide pour tourner la tête dans sa direction. Elle vient de s'asseoir sur la chaise entre nos deux lits. On dirait que sa décision a été prise et qu'il va falloir que je parle. Je me mets en position cocon tout en me couchant sur le côté pour lui faire face. Hors de question que je m'assois lors de cet échange. Je ferme les yeux lorsqu'elle dépose sa main sur mon front pour vérifier ma température. Elle n'arrête pas de faire ce geste depuis quelques jours.

Camp JahaWhere stories live. Discover now