XXIX

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Une douce caresse lui effleura la joue. Froide mais envieuse, elle lui donna des frissons tout le long du corps. Alison voulut se laisser aller dans cette douceur, qui maintenant l’enveloppait. Tous ses sens l’avaient abandonnés, et aucun ne se manifesta pour l’avertir de la présence malsaine qui l’entourait et prenait doucement possession d’elle.
La Mort continua de la caresser, attirant son âme au plus profond de son abîme. La jeune fille ne résista pas, la fatigue lui faisant perdre la raison. Elle ne voulait plus que s’abandonner dans ces bras accueillants qui s’ouvraient à elle, et qui devant sa naïveté l'attiraient toujours plus profondément dans le gouffre obscure.
Mais plus la Mort l'entraînait dans ses entrailles, plus l’obscurité se renfermait sur Alison, l’étouffant presque. La froideur autrefois accueillante se transforma en étreinte glaciale. Suffocante, la jeune fille prit enfin conscience de son erreur, mais il était trop tard. Son corps n’était plus, et son esprit succombait à son tour.
Le poid de sa solitude lui pesa. Cela faisait un an qu’elle vivait avec elle, qu’elle la traînait derrière elle à chaque pas, qu’elle était devenue son ombre.
Et puis Marie était entrée dans sa vie, ainsi que Mathias. Tous deux avaient doucement éclairé sa morne existence et avaient peu à peu effacé son ombre. Mais cet espoir n’avait pas duré et voilà qu’elle était morte. Seule. Elle mourrait seule, loin de ceux qu’elle avait appris à aimer.
Elle espérait que son dernier geste lui ouvrirait les portes du paradis, et non les flammes de l’enfer. Sans elle, Lillie serait retourné pourrir dans son cachot. Sa liberté lui procurait une certaine consolation. Une d’elles s’en était sortie.
Peut-être était-ce sa destinée. Sauver une vie avant de rejoindre ses parents dans l’Au-delà. Mais quel Au-delà ? Alison plongeait dans une fosse sans fond consumée par la noirceure de la Mort qui continuait de l’y emmener pour se repaître de son âme.
Quel paradis ! Songea la jeune fille.
À peine eut-elle formuler sa pensée qu’une intense lumière déchira l’obscurité croissante. Alison se sentit alors aspirée par cette brèche, seule source de chaleur dans ce sombre univers.
Happée par le souffle de vie qui lui revenait, l’esprit de la jeune fille commença à se débattre férocement de l’emprise de la Mort. Cette dernière, révélant sa véritable nature, devint visqueuse et enroula ses tentacules autour de l’esprit qui tentait de s’enfuir.
Mais la lumière gagnait du terrain et étalait toute sa clarté autour de la jeune fille qui reprenait du poil de la bête. Le monstre dut la lâcher pour ne pas se faire brûler par les rayons qui s’étendaient et entouraient dorénavant Alison.
Libérée, elle fut subitement propulsée vers le haut et plongea dans le portail. Son esprit réintégra le monde des mortels avec violence, laissant derrière lui la Mort qui s’en allait chercher d’autres victimes à dévorer.

Alison se redressa brutalement, prise de sueurs froides. Haletante et tremblante de tous ses membres, elle mit quelques minutes à réguler sa respiration. Machinalement, elle tâta son cou à la recherche de son pendentif, mais constata avec surprise qu’il avait disparu. Cette découverte fit gronder une colère sourde en elle, qu’elle repoussa avec difficulté. Elle devait rester calme, et ce même si le collier de son père lui avait été dérobé.
La pièce dans laquelle elle se trouvait était plongée dans la pénombre. Une fois que ses yeux s’y habituèrent, la jeune fille put inspecter sa nouvelle prison, qui à sa grande surprise était bien plus luxueuse que la précédente.
Modeste mais confortable, sa chambre était une parfaite réplique des chambres des châteaux du XVI siècle. Les rideaux étaient tirés, ce qui expliquait le manque de luminosité.
Le cœur encore palpitant, Alison se dégagea des draps qui la recouvraient d’un geste brusque, mais sa précipitation lui arracha un petit cri aigu. Elle regarda avec horreur son avant-bras gauche, dans lequel était plantée une perfusion. Elle devait être présente depuis plusieurs jours, car quelques traces rouges étaient apparentes dans le tube.
Combien de temps ai-je dormi ? S’horrifia la jeune fille en se l’arrachant sans hésitation.
Elle grimaça alors que l’aiguille sortait de sa veine. Cela lui procura une vive douleur, bien qu’éphémère. Du sang s’échappa du minuscule trou et vint former une auréole rougeâtre sur les draps jusqu’alors immaculés. Alison pressa sa main dessus pour contenir le saignement, qui s’arrêta au bout de quelques minutes.
Tandis qu’elle frottait son bras légèrement endolori, elle s’extirpa de son lit et foula le sol moelleux de ses pieds nus. Elle n’était plus enchaînée, mais on lui avait retiré ses chaussures. Après vérification, elle constata qu’ils lui avaient laissés ses vêtements.
La jeune fille ne prit pas la peine de s’attarder plus longtemps et se précipita à la fenêtre. La lourdeur des rideaux l’étonna, et elle entreprit de les tirer complètement, baignant la pièce de la lumière du jour. Depuis combien de temps ne l’avait-elle pas vue ? Elle fut subitement aveuglée par l’excès de lumière et ferma les yeux avant qu’ils ne brûlent.
Lorsqu’elle les rouvrit, la déception lui serra la poitrine. Alison se tenait face à des barreaux qui l'empêchaient d’accéder à la fenêtre. Elle n’avait plus de chaîne, mais les barreaux étaient toujours présents, preuve qu’elle était encore une prisonnière.
La jeune fille rapprocha sa tête le plus près possible des carreaux, guettant le moindre indice qui pourrait l’aider à savoir où elle se trouvait. La hauteur du soleil lui indiquait qu’il devait être plus de midi. Sa chambre devait être au deuxième ou troisième étage de l’imposante bâtisse, car elle eut du mal à apercevoir le paysage et ne voyait que le ciel d’un bleu éclatant. De ce fait, elle s’attendait à tout sauf à voir une étendue blanche sous ses yeux. De la neige recouvrait le sol partout où son regard se posait.
Où suis-je ? Paniqua Alison.
Ce qui était certain, c’est qu’elle se trouvait bien plus loin que ce qu’elle avait pu imaginer, et c’était sans aucun doute à une centaine de kilomètres de la Californie.
Un fracas la tira de sa contemplation et ses mains prirent feu par pur instinct de défense. Alison fit volte face, prête à en découdre.
Son regard se posa sur une rouquine prise de stupeur, qui s’était plaquée les mains devant la bouche pour contenir un hurlement. Le plateau d’argent qu’elle avait renversé jonchait à ses pieds, et la nourriture qu’il contenait jadis souillait ses chaussures et le tapis.
Avant qu’elle ne s’enfuit pour aller alerter Tyler, Alison se jeta sur elle et la plaqua contre le mur, une main contre la bouche de la jeune femme et l’autre toujours enflammée qu’elle gardait en guise de menace. Les yeux noisettes de la domestique s’emplirent d’horreur et ne quittaient pas son poing enflammé.
La culpabilité de menacer ainsi une âme innocente fit ciller la jeune fille. Elle croisa le regard rempli de peur de la rouquine, dont les larmes roulaient le long de ses joues pour se glisser sur la main qui lui maintenait la bouche fermée.
_Ne crie pas, chuchota Alison à son oreille, je ne te ferais aucun mal si tu ne m’y oblige pas. D’accord ?
Désemparée, la servante hocha la tête. Alison plissa les yeux, puis décolla doucement sa main de son visage qui était à présent trempé de larmes. La jeune fille recula d’un pas, mais n’éteigna pas sa main enflammée pour autant.
_Combien de temps ai-je dormi ?
La jeune femme, dont les larmes avaient cessé, ravala sa salive.
_Quatre jours, mademoiselle.
Sa voix se brisa et elle retint un nouveau sanglot. Alison fronça les sourcils pour ne pas laisser paraître sa culpabilité et poursuivit son interrogatoire :
_Où sommes-nous ?
Le visage de la rouquine perdit toutes ses couleurs et elle se mit à bégailler une réponse inaudible. Alison intensifia les flammes qui lui léchaient les bras et durcit son visage.
_Je… Je ne peux pas vous le dire, Tyler me tuera pour cela ! Je vous en prie, éteignez le feu !
Elle avait recommencé à pleurer. La jeune fille la regarda avec remord, mais n’éteigna pas les flammes pour autant et en baissa seulement l’intensité. Elle scruta la jeune servante pour y déceler un mensonge, mais ses yeux ne trahissaient que sa peur.
_Est-ce que Lillie a réussi à s’enfuir ?
Voyant qu’elle ne lui avait pas reposé la même question, les sanglots de la jeune femme cessèrent.
_La… La panthère ? (Sa voix trembait) Non, nous ne l’avons pas retrouvée.
Le soulagement fit s’éteindre le feu de ses mains. Lillie s’en était bel et bien sortie, et ce grâce à elle. Elle porta instinctivement sa main à son cou, et l’absence de son collier fit de nouveau monter sa colère.
_C’est toi qui a volé mon collier ? Demanda-t-elle brusquement en rallumant inconsciemment les flammes dorées.
Cette fois, la jeune femme laissa échapper un petit cri et tenta de s’enfuir. Alison la rattrapa et la tira violemment en arrière, les faisant toutes le deux rouler sur le sol. L’adolescente prit rapidement le dessus et d’une main lui plaqua les bras au-dessus de sa tête, tandis qu’elle laissait l’autre brûler à quelques millimètres seulement de son visage. Des gouttes de sueur ne tardèrent pas à apparaître sur sa peau déjà trempée.
_Mon collier ! Exigea Alison, hors d’elle.
La respiration saccadée de la rouquine se fit plus intense et la jeune fille pouvait sentir son ses veines battre et son coeur tambouriner.
_Je n’ai pas de collier ! Couina-t-elle, les yeux suppliants. Vous n’en aviez pas lorsque j’ai commencé à m’occuper de vous, je vous le jure !
Le regard d’Alison se fit plus intense.
_Quand as-tu commencé à t’occuper de moi ?
_Il y a trois jours, ne me tuez pas s’il-vous-plaît !
Sa supplication eut l’effet d’une douche froide. Cette jeune femme était terrorisée car elle la prenait pour une meurtrière sans scrupules. Alors, la réalité la frappa. Elle était une meurtrière, et cette pauvre femme devait avoir eu vent de l’assassinat du garde… Mais elle n’était pas sans scrupules, et chacun de ses gestes visaient seulement à se défendre. Du moins, jusqu’à aujourd’hui.
Alors qu’elle desserrait son emprise et s’apprêtait à se lever, Alison vit les yeux de la rouquine s’arrondir de surprise et fixer un point derrière son épaule. Avant qu’elle n’ait le temps de se retourner, la jeune fille sentit quelqu’un lui tirer la taille et une force la repoussa brutalement en arrière. Son dos heurta le mur, lui coupant le souffle.
_C’est une très mauvaise manière de remercier celle qui a pris soin de toi, railla une voix dangereusement masculine.
Alison n’eut pas la peine de lever les yeux pour savoir que c’était Tyler. Sa voix, grave et suave, avait marqué son esprit à tout jamais.
_Qu’est-ce que vous me voulez ? Suffoqua-t-elle en reprenant tant bien que mal ses esprits.
Elle releva enfin la tête, et son souffle se coupa de nouveau. C’était un colosse de presque deux mètres, avec les cheveux aussi noirs que les siens. Ses yeux tout aussi noirs que son âme semblaient sonder la sienne sans peine. Il devait avoir passé la quarantaine, mais il n’en restait pas moins un homme séduisant. Sa carrure, encore plus imposante que William Pierce, laissait deviner sa position de Chef. Et malgré elle, c’était son Chef.
Sauf si l’Esprit n’est pas ton Élément dominant, gronda une voix au fond d’elle.
Non, contra Alison. Mon nom est Cooper. J’appartiens à cette famille, que je le veuille ou non.
Dans ce cas, tu serais prête à reconnaître cet homme comme étant ton Chef ?
Jamais !
Alors tu sais ce qu’il te reste à faire.
Son combat intérieur cessa et la jeune fille planta son regard orageux dans celui d’encre du tyran.
_Vous n’êtes rien ni personne pour moi ! Cracha-t-elle sans attendre qu’il ne réponde à sa question.
Tyler la regarda en haussant un sourcil et un rictus amusé lui tordit le visage. Un peu plus et il éclatait de rire. Tout dans sa position, son regard et ses mimiques se voulaient être supérieur.
_En es-tu certaine, Alison ?
L’adolescente ouvrit la bouche pour répliquer une phrase cinglante, mais elle la referma lorsqu’elle le vit sortir un bijou de sa poche.
_Ce collier t’es précieux, n’est-ce pas ? Puis-je savoir pourquoi ?
Tandis qu’il parlait, Tyler s’était accroupi devant la jeune fille et laissait le pendentif se balancer entre ses doigts, juste sous ses yeux. Elle voulut s’en saisir, mais il lui attrapa le poignet et fit mine de le tordre.
_Répond à ma question !
Pour toute réponse, elle lui cracha entre les deux yeux. L’air jusque là amusé de Tyler se mua aussitôt en haine et il s’essuya avec dégoût. Il resserra sa prise sur son poignet tout en rapprochant dangereusement son visage du sien.
_Si tu recommences, je te briserais tous tes petits os un par un. C’est clair ?
Il n’avait pas élevé la voix, mais celle-ci ne cachait en rien la menace réelle de ses mots. Ses yeux fouillaient les siens à la recherche d’une trace de peur, mais Alison ne lui donnerait pas ce plaisir et elle se contenta de serrer les dents.
Derrière, la rouquine s’était relevée mais n’osait pas bouger et tremblait comme une feuille. Elle avait la tête baissée, mais cela ne l’empêchait pas de leur lancer quelques regards furtifs et inquiets par moments.
_Alors, reprit Tyler d’un ton plus léger, laisse-moi deviner. C’est un cadeau de ton défunt père, ai-je raison ?
La surprise qui se peint sur le visage d’Alison la trahit.
Comment sait-il ?
Une mine victorieuse éclaira le visage du tyran. Il relâcha son poignet et se releva, laissant la jeune fille le regarder d’un air incrédule. Devant sa mine confuse, il éclata finalement de rire. La mâchoire contractée, Alison sentit que quelque chose n’allait pas. Quelque chose clochait, et elle n’allait pas tarder à comprendre quoi.
Tyler cessa de rire et la regarda plus sérieusement.
_C’est donc bien toi.
Un sourire carnassier étira les lèvres du prédateur. Sans ménagement, il attrapa son bras et la releva. Alison tenta d’échapper à sa poigne, mais c’était peine perdu. Tyler se tourna vers la rouquine qui baissa aussitôt les yeux.
_Laisse-nous, Ania. Ma nièce et moi avons beaucoup de choses à nous dire.

Five 💫Where stories live. Discover now