XXV

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Les premiers rayons du soleil illuminaient déjà la villa des Pierce lorsque Mathias reprit connaissance. Des relents d’alcools et de cigarettes embaumaient toute la maison, rendant son atmosphère nauséeuse et presque irrespirable. Le jeune homme grogna et tâta la surface sur laquelle il se trouvait. Il fut soulager de constater qu’il était dans son lit. Un long bâillement étira sa mâchoire et il essaya de se remémorer les souvenirs de la veille.
Il se souvenait seulement du début de la soirée. Alison l’avait énervé en disant qu’elle voulait rester, alors il l’avait ignoré mais avait tout de même gardé un œil sur elle. Il se rappelait avoir eu une pointe de satisfaction à chaque fois qu’elle repoussait un mec, puis avoir été en colère lorsqu’elle avait accepté le verre du dernier. Il avait failli intervenir lorsqu’elle avait porté le gobelet à ses lèvres, mais avait finalement failli éclater de rire lorsqu’il s’était aperçu qu’elle faisait semblant de boire. Ensuite Lucas avait détourné son attention et quand il s’était à nouveau concentré sur Alison, elle avait disparu, et le gars n’était plus là non plus.
Le sang de Mathias se mit à bouillonner à ce souvenir. Il s’était immédiatement mis à la recherche de la jeune fille, mais il ne l’avait trouvé nul part. C’était son cri qui l’avait attiré alors qu’il cherchait sur la terrasse, et il s’était précipité dans sa direction. À l’instant où il l’avait vu dans les bras d’un autre, son cœur avait loupé un battement. Une rage comme il n’en avait jamais eu lui avait tordu le ventre, et dès l’instant où il avait vu Alison se débattre, il avait su qu’il allait frapper l’enfoiré qui la tenait.
Il aurait voulu le battre encore et encore, faire éclater sa haine, mais la présence d’Alison et sa claque phénoménale l’en avaient dissuadé. Il s’était contenté de laisser Ethan gésir au sol, de prendre la main de la jeune fille et de l’entraîner jusque dans sa chambre pour s’assurer que plus personne ne viendrait la draguer.
Il l’avait engueulé, elle avait gueulé, ils s’étaient réconciliés. Puis elle lui avait raconté tout ce qu’elle venait d’apprendre sur Tyler, mais ils n’avaient pas pu en discuter car Lucas l’avait appelé à ce moment là.
Après ça, c’était le trou noir. Mathias avait beau chercher le moindre détail qui lui permettrait de se souvenir de ce qu’il avait fait après être descendu rejoindre son frère, rien ne lui revenait.
Un léger soupir, très subtil, le tira de ses pensées. Intrigué, le jeune homme se retourna et écarquilla les yeux.
Un corps tout aussi nu que le sien se trouvait juste à côté de lui, encore endormi. Il ne pouvait pas voir le visage de la personne, mais les cheveux blonds cendrés de la jeune fille renseignaient au moins Mathias sur une chose : ce n’était pas Alison.
Cette constatation serra la poitrine du jeune homme et un étrange pressentiment le prit aux tripes. Jugeant que le moment était propice à l’évasion, il essaya de s’extirper des draps le plus silencieusement possible, mais la jeune fille prit une grande inspiration et se retourna dans son sommeil. Instantanément, le visage de Mathias se décomposa et ses yeux s’agrandirent d’horreur.
Laura.
Il reconnaîtrait son visage entre mille. Comment est-ce qu’elle avait bien pu finir dans son lit ? Il était censé s’excuser auprès d’elle, pas coucher avec elle ! Est-ce qu’Alison s’en était rendu compte ? Pourquoi ne se souvenait-il de rien alors qu’il n’avait pas bu ?
De peur qu’elle ne se réveille, Mathias entreprit de récupérer ses vêtements qui gisaient au sol et de s’enfermer dans la salle de bain. Il s’habilla à la hâte et s’aspergea la tête d’eau froide pour éclaircir ses pensées.
Le jeune homme prit une grande inspiration et releva la tête pour faire face au miroir.
_Je suis dans la merde ! Paniqua-t-il.
De grosses traces de suçons lui couvraient le cou. Il tira sur son tee-shirt et constata avec horreur que les traces rouges s’étendaient jusqu’à son torse. D’un geste plein de rage, il remit en place le tissu et de son poing frappa violemment le lavabo.
Tremblant et confus, il essaya à nouveau de rassembler ses souvenirs, mais sa mémoire n’était qu’un épais brouillard dans lequel la soirée d’hier s’était perdue.
_Mati... ?
La petite voix fluette de Laura tira Mathias de sa torpeur. Il se tourna vers elle en ravalant sa salive, appréhendant ce qui allait arriver.
Encore nue, elle s’était enveloppée dans les draps du lit et les avait traînés avec elle. Son corps frêle qui dépassait à peine de la porte contrastait avec l’expression en permanence suffisante de son visage. Le jeune homme constata avec une pointe de  déception qu’elle avait conservé son petit sourire satisfait.
Aguicheuse, Laura s’avança lentement vers lui. Seul son pouce et son index retenaient les draps qui lui couvraient le corps.
Mathias se passa une main nerveuse dans les cheveux et recula, si bien que la jeune fille finit par l’acculer contre le mur de la douche. Ses yeux d’émeraude le scrutait langoureusement et il ne pouvait pas nier qu’elle était bien foutue, mais la simple pensée de coucher avec elle lui mettait le cœur au bord des lèvres.
_Écoute, Laura...
La peur qu’Alison puisse débarquer à tout moment le fit bégayer et il buta sur les mots, chercha la bonne tournure de phrase, tenta de lui faire comprendre qu’il ne se souvenait de rien, mais le visage de la jeune fille ne se démontait pas et elle continuait de sourire. De sa main libre, elle vint lui effleurer les lèvres, de sorte à le faire taire. Elle ferma les yeux et rapprocha son visage du sien.
_Laura ! S’écria Mathias.
Il lui saisit la main et la repoussa fermement. Cette fois, l’expression de la jeune fille trahissait son incompréhension et elle fronça les sourcils.
_Qu’est-ce que tu as ? Tu étais pourtant plus entreprenant, hier !
Elle croisa les bras contre sa poitrine et attendit ses explications, le visage hautain et les lèvres pincées.
_Quoi qu’il ait pu se passer, bredouilla Mathias, je n’en ai pas le moindre souvenir. Tout ce que je voulais, c’était m’excuser et passer à autre chose.
Laura éclata de rire. Son hilarité rendit le jeune homme encore plus mal à l’aise.
_Tu déconnes ? Tu m’as littéralement sauté dessus quand tu m’as vu ! Tu m’as supplié de te pardonner en me jurant que tu m’aimais encore et que me quitter a été la pire erreur de ta vie.
_C’est dire ça qui a été la pire erreur de ma vie, marmonna Mathias, consterné.
_Quoi ?
Il secoua la tête.
_Je suis désolé, Laura. Je ne me souviens de rien et je ne pense aucun mot de tout ça.
La jeune fille recula. Sa figure hautaine laissait place à une colère naissante et un profond dégoût.
_Je te laisse deux heures pour recouvrer la mémoire, Mathias. Après ça, toi et moi nous sommes de nouveau ensemble. C’est clair ?
Elle tourna les talons sans attendre sa réponse et quitta la salle de bain, vexée, en délaissant les couvertures juste avant de claquer la porte.
Désemparé, Mathias resta un moment planté sous la douche, réfléchissant à une solution. Laura n’allait pas le lâcher si facilement, il le savait. De plus, ses parents allaient bientôt rentrer, si ce n’était pas déjà fait, et il n’était pas prêt à l’affronter devant eux et Alison.
Alison... Son cœur se serra. Il avait l’impression de l’avoir trahi. Non, il l’avait trahi. Sans qu’il ne sache comment, leur relation avait subitement pris un autre tournant et ce qu’il venait de faire allait peut-être le stopper net.
Mais comment en était-il arrivé là ? Lucas, il devait aller chercher Lucas. C’était lui qui l’avait appelé,  c’était donc à lui qu’il devait demander des explications.
Ravivé par un nouvel objectif, Mathias ramassa ses draps et ouvrit prudemment la porte de sa chambre. La pièce était vide, il n’y avait plus aucune trace de Laura. Soulagé, le jeune homme lança à la hâte sa couverture sur son lit et se précipita hors de sa chambre pour courir au rez-de-chaussé.
Fort heureusement, il trouva vite son frère qui était occupé à faire le ménage dans la cuisine.
_Lucas ! L’appela Mathias. Il me faut des explications, tout de suite !
Lucas se retourna et le jeune hommes vit sa mine de lendemain de soirée et ses yeux à moitiés fermés.
_Wow, parle moins fort, frangin. J’ai le crâne qui est sur le point d’exploser.
Il jeta quelques débris dans la poubelle avant de lui lancer un regard en biais.
_Lucas... S’impatienta Mathias.
_D’accord, soupira-t-il, mais laisse-moi deviner. Tu t’es réveillé nu aux côtés d’une très belle jeune femme qui s’avère être ton ex, mais tu n’as aucune idée de comment c’est arrivé parce que tu n’as plus aucun souvenir de la soirée de hier, c’est ça ?
Mathias hocha vigoureusement la tête.
_La dernière chose dont je me souvienne, c’est d’être descendu après ton appel. Après ça, c’est le trou noir.
Un petit sourire se dessina sur les lèvres de Lucas, mais il fut tellement bref que Mathias crut avoir rêvé.
_Très bien, je vais t’illuminer ! Lui dit son frère. C’est simple, tu t’es littéralement bourré la gueule.
Il ricana. S’attendant à cette réponse, Mathias soupira et secoua la tête.
_Je ne me le serais pas permis, affirma-t-il. Je devais remonter rejoindre Alison juste après.
Lucas plissa les yeux, l’air étrangement contrarié.
_Écoute, reprit Mathias d’un ton plus ferme. Je ne me serais jamais bourré la gueule si je devais retrouver Alison. Du moins, pas volontairement.
Lucas détourna les yeux un moment, plus il les replongea dans ceux de son frère en relevant un sourcil interrogateur.
_Que veux-tu dire ?
Mathias baissa le volume de sa voix.
_On m’a drogué, Lucas. Et je pense savoir qui a pu faire ça.
Son regard lourd de sous-entendus fit tout de suite comprendre à son frère de qui il parlait. Les yeux de Lucas s’agrandirent comme des soucoupes.
_Tu ne penses quand même pas à Laura ?
Le silence éloquent de Mathias lui donna sa réponse.
_Tu n’es pas sérieux ? Enfin, je sais qu’elle est folle de toi, mais elle n’est pas folle tout court !
_Franchement, j’en doute. À mon réveil, elle a affirmé que c’était moi qui lui avait sauté dessus.
Mathias passa sous silence les autres détails et poursuivit.
_Crois-moi, même bourré je ne suis pas capable de ça.
Lucas resta un moment sans rien dire, puis il prit un balai et se dirigea dans le salon.
_Je n’étais pas là quand vous vous êtes retrouvés, mais je t’assure que je t’ai bien vu fourrer ta langue dans sa bouche au milieu de la piste de danse. Tu peux m’aider ? Papa et maman arrivent bientôt.
À bout de nerf, Mathias obtempéra et alla chercher un balai dans la cuisine.
_Je suis sérieux, insista-t-il une fois revenu. Elle est dingue, elle m’a donné deux heures et après elle ne me lâchera pas !
Il avait presque crié ses derniers mots, alors il commença un balayer d’un geste rageur pour essayer de se détendre.
_Si tu veux mon avis, tu t’inquiètes plus pour la réaction d’Alison que d’être collé par Laura.
_Qui est Alison ?
Les bras croisés, la mine toujours aussi vexée, et heureusement habillée, Laura se tenait devant les escaliers.
Mathias sursauta et maudit intérieurement son frère pour son manque d’attention.
_Une amie, répondit-il avant que Lucas ne le fasse. Tu devrais y aller, Laura, nos parents vont bientôt rentrer.
_Et alors ? Répliqua la jeune fille en allant s’affaler sur le sofa. Ils me connaissent et savent qu’on est ensemble.
Exaspéré, le jeune homme leva les yeux au ciel et fit un effort surhumain pour ne pas lui crier dessus.
_Nous ne sommes pas ensemble.
Finalement, il craqua.
_Je suis désolé pour hier, mais rien ne serait arrivé si tu ne m’avais pas drogué !
Une réelle surprise se peigna sur le visage de Laura.
_Je n’ai jamais...
La suite de sa phrase resta bloquée au fond de sa gorge et elle ravala sa salive. Mathias ne sut dire si sa surprise était extrêmement bien feinte ou si elle était sincère.
Lucas, qui s’était contenté de les regarder silencieusement jusque là, prit la parole :
_Du calme, tout les deux. Personne n’a drogué personne, d’accord ?
Il se tourna vers Mathias.
_Écoute, frangin. Tu t’es simplement pris la plus grosse cuite de ta vie, alors dédramatise un peu.
Sa prise de position sidéra Mathias, et le regard victorieux que lui lança Laura en travers acheva de le faire sortir de ses gonds.
_Fais-là dégager ! Vociféra-t-il à l’intention de son frère.
Il laissa tomber le balai qui résonna sur le carrelage et s’enfuit à l’étage sous le regard consterné de Laura et fatigué de Lucas.
Instinctivement, le jeune homme s’était tout de suite dirigé devant la porte d’Alison. Il devait la voir, avoir son soutien, car même son frère ne le croyait pas. S’il parvenait à lui expliquer qu’il avait été drogué et qu’il n’avait eu aucune conscience de ce qu’il faisait, elle comprendrait. Peut-être que ça la blesserait, mais elle devait comprendre.
D’un geste résolu, il poussa délicatement la porte, au cas où la jeune fille dormait encore. Il s’attendait à trouver la pièce dans la pénombre à cause des volets fermés, mais à son étonnement il la trouva éclairée par la lumière matinale. Il vit que la baie vitrée était ouverte, et la petite brise qu’elle laissait entrer faisait virevolter les rideaux et soulevait délicatement les plis des draps du lit. La chambre était particulièrement calme, comme si Alison n’y avait jamais dormi.
Son étrange pressentiment revint et il le fit frissonner jusqu’à lui en faire dresser les poils. Le regard de Mathias parcourut la pièce et s’arrêta sur la porte de la salle de bain. Il s’y dirigea d’un pas rapide et toqua, mais il n’eut comme réponse que le faible écho de ses coups. Tremblant, il tourna la poignée et passa sa tête dans l’entrebâillement . La pièce était telle qu’il l’avait laissé vingt minutes plus tôt.
Le jeune homme sentit son pouls s’accélérer et il revint sur ses pas, repoussant du mieux qu’il le pouvait l’idée qui commençait à germer dans son esprit. Il se précipita sur le balcon et fut ébloui par l’éclat du soleil. Il n’y avait personne. Il jeta un coup d’œil dans sa propre chambre. Toujours personne. Il revint et souleva même les draps avant de regarder sous le lit, aussi  stupide que cela pouvait l’être. Personne.
Désespéré, il commença à l’appeler. Ce ne fut tout d’abord que de timides murmures, puis ses chuchotements se transformèrent en véritables cris du cœur. Il s’envola du balcon et se mit à chercher aux alentours, sur le toit, sur la terrasse, près de la piscine et il fit même un tour à la plage.Il criait son prénom à tue-tête, espérant une réponse. Parfois le vent emportait ses cris, puis d’autres fois ils se répercutaient dans la villa. Ce furent ces cris-là qui attirèrent Lucas et Laura dehors.
_Putain Mathias ! Pourquoi tu hurles comme ça ?  S’écria Lucas.
Mathias redescendit et atterrit à côté de lui, les yeux affolés et la voix enrouée.
_Elle est parti ! Cria-t-il en prenant son frère par les épaules. Je ne la trouve nul part, elle a disparu, Lucas !
Il se tourna ensuite vers Laura avec un regard haineux, presque meurtrier.
_C’est de ta faute ! Elle a dû nous voir, et si tu ne m’avais pas drogué, elle serait encore là ! D’ailleurs, qu’est-ce que tu fous encore chez moi ?
Laura, choquée par la violence de ces mots et par cette accusation qu’elle ne comprenait pas, ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. Lucas se plaça entre elle et Mathias sous le regard surpris de ce dernier.
_Arrête ! Tonna Lucas. Laura n’y est pour rien, bordel !
Il marqua une pause pour maîtriser le ton de sa voix.
_Et je t’assure qu’Alison n’est pas sorti de sa chambre après que tu l’ai laissé, termina-t-il.
Mathias, trop en colère par sa nouvelle prise de position, ne l’écoutait plus.
_Elle m’a drogué ! S’entêta-t-il. Sans ça, on n’aurait jamais, enfin je n’aurais jamais...
Ayant retrouvé la parole, Laura le coupa.
_Tu n’aurais jamais couché avec moi, c’est ça ? Tu n’es qu’un pauvre type, Mathias Pierce ! Tu es incapable d’assumer quoi que ce soit, tu vas toujours chercher des excuses aussi bidons les unes que les autres, la preuve encore aujourd’hui ! Tu inventes cette histoire de drogue pour ne pas assumer que tu as encore de l’attirance pour moi et que c’est pour ça qu’on a couché ensemble ! Je ne sais pas qui est cette petite garce dont tu parles et j’en ai rien à foutre, mais ça ne m’étonne pas qu’elle t’ai fuit ! Je me casse mais je te préviens, tu n’as pas fini d’entendre parler de moi.
Sans lui donner le temps de répondre, elle se retourna et disparut à l’intérieur. Une seconde plus tard, on entendit la porte d’entrée claquer, laissant Mathias pantois, les yeux exorbités et la bouche grande ouverte.

Five 💫Where stories live. Discover now