XIII

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Après avoir sombré dans l’inconscience totale Alison ouvrit difficilement les paupières. La lumière du soleil filtrait à travers la fenêtre et l’éblouissait. Les derniers moments de la veille ne lui revenaient pas et elle resta allongée de longues minutes. Quelque chose la troublait, mais elle n’arrivait pas à mettre le doigt dessus.
La jeune fille se releva doucement, les muscles encore endormis. Elle s’étira les bras et comprit ce qui n’allait pas en regardant autour d’elle. Elle était sur un lit simple et pas un lit double. Le papier peint n’était pas fleuri, mais gris.
Elle se leva et fit quelques pas. Le parquet ne grinçait pas. Ce n’était pas sa chambre, c’était celle de Mathias, aucun doute possible. Cet imbécile avait dû la déplacer pendant qu’elle dormait et prendre sa place !
_Une minute... Murmura Alison.
Elle n’était plus habillée. Quelqu’un l’avait changé et lui avait mis une chemise de nuit. De tout cœur, elle espérait que ce n’était pas Mathias. Mais pourquoi aurait-il fait ça ?
Des brides de souvenirs commencèrent à fuser. Elle revit les dernières minutes de la veille et s’affala sur son lit.
« Les Cooper représentent l’Esprit »
« Je m’appelle Alison Cooper »
Elle se remémora le vol de la table de chevet, la panique dans les yeux de Mathias et ceux de Marie, l’immeuble qui tremblait... C’était elle qui avait fait tout cela ? Était-ce possible ? Elle s’était clairement sentie déraper et plus rien contrôler. Au moins, son appartenance à la famille de l’Esprit n’était pas contestable. D’après Mathias, seul cet Élément pouvait faire bouger les objets et faire autant de ravages. Combiné avec l’Air, cela promettait d’être plus que dangereux. Elle allait devoir apprendre à se contrôler.
_Mon Dieu... Marmonna Alison en se prenant la tête entre les mains.
Tout ce qui lui arrivait la dépassait. Ses pouvoirs, sa famille, les Éléments... Elle n’arrivait pas encore à encaisser tout ça. Cela lui paraissait tellement irréel... Elle avait été élevé dans un monde normal, sans magie, sans surréalisme... Ses parents ne l’avait pas préparé à tout cela et elle leur en voulait, au moins pour cette raison. Une pointe de culpabilité la piqua pour en tenir rigueur à des défunts, mais elle l’ignora.
Maintenant, elle devait sortir et présenter ses excuses à tout le monde. Elle n’imaginait pas dans quel état devait être Marie, et encore moins Carol. Cela ne l’étonnerait pas si la jeune femme voulait la chasser de chez elle, et elle ne lui en voudrait même pas. Quant à Mathias, elle s’en fichait. Certes, ils avaient réussi à discuter sans se chamailler et même rire ensemble, mais elle n’oubliait toujours pas ce qu’il lui avait fait. Ça, elle n’allait pas l’oublier de sitôt.
Reprenant du poil de la bête, la jeune fille se releva et sortit de la chambre. Des voix s’élevèrent depuis le salon et elle s’approcha le plus discrètement possible pour écouter. C’était Mathias qui parlait.
_Et enfin, la Terre est représentée par les Stone. Alison est une Cooper, et c’est à partir de là qu’elle a dérapé. Je n’en sais pas plus.
Alison risqua un coup d’œil dans le salon et vit Mathias assit en face de Marie à la table à manger. Elle étudia son visage, et à son grand étonnement il trahissait son inquiétude. Marie était dos à elle alors elle ne put voir son expression, mais le ton de sa voix en disait long.
_Je ne comprends pas non plus... Soupira la jeune femme.
_Il y autre chose, ajouta Mathias. J’ai remarqué que dès qu’on parle de ses parents, elle devient froide et distante. Pourquoi ?
Alison se raidit et pria pour que Marie respecte sa vie privée. C’était la seule à savoir ce qu’il s’était passé et elle ne tenait pas à ce que Mathias soit au courant.
_Cela concerne Alison et personne d’autre, répondit-elle. Si elle ressent le besoin de t’en parler, elle le fera, mais je ne peux pas divulguer des informations personnelles à son sujet sans son accord.
Un poids s’envola des épaules de la jeune fille et elle relâcha sa respiration. Elle remercia silencieusement Marie pour son respect.
_Je comprends, acquiesça Mathias. Je ne l’embêterais pas avec ça.
La compréhension qu’elle lisait sur son visage la surprenait. Mathias semblait réellement concerné par sa crise d’hier, et sans qu’elle le veuille, la colère qu’elle cultivait contre le garçon diminua un peu.
Pensant qu’il était temps de se montrer, Alison s’avança et sortit du couloir. Le regard de Mathias se posa immédiatement sur elle et il s’écria :
_Alison !
En une seconde, il fut auprès d’elle.
_Comment tu te sens ?
Marie accourue à son tour.
_Je vais mieux. Je suis désolée pour hier.
_On s’est fait un sang d’encre ! S’exclama Marie. Tout l’immeuble s’était mis à trembler et la police à débarqué pour en conclure à un tremblement de terre !
Alison eut le souffle coupé, choquée. La police était venue ? Un tremblement de Terre ? À Quimper ?
_Marie, laisse-moi lui expliquer ce qui lui est arrivé sinon elle va paniquer.
Le ton de Mathias était devenu protecteur. Le monde ne tournait plus rond, c’était certain.
Marie acquiesça et s’écarta.
_Viens t’asseoir, lui dit Mathias.
Alison obtempéra sans rechigner, attendant des explications. Ils s’installèrent sur le canapé et Mathias lui expliqua :
_Je crois que l’événement d’hier est lié à la libération de ton Élément. À ta naissance, pour je ne sais quelle raison, ton père a dû bloquer les pouvoirs de l’Esprit, et il a refait surface hier soir. Ta crise n’a pas facilité les choses et ça a dérapé. En tout cas, tout indique que l’Esprit est ton Élément dominant. La puissance avec laquelle il s’est manifesté est juste incroyable.
Le soulagement envahit la jeune fille.
_Mais alors... Commença-t-elle. Il n’y a plus de risque que je perde le contrôle ?
_Aucun !
Elle poussa un long soupir et se laissa choir sur un coussin. Le pire était passé.
_Par contre, hésita Mathias, tu as fait de sérieux dégâts dans tout le quartier. Je n’ai jamais vu une telle puissance.
Alison se redressa presque aussitôt.
_Quels genres de dégâts ?
Mathias jeta un coup d’œil à Marie, qui prit le relais.
_La ligne électrique a été coupé et une route a été fermée.
Alison ouvrit de grands yeux et frissonna tout en imaginant le pire. Sa poitrine se serra et elle demanda :
_Il n’y a pas de blessés ?
Marie secoua vivement la tête.
_Non, aucun. Tout est rentré dans l’ordre.
_Il y a eu plus de peur que de mal, la rassura Mathias.
Et il lui sourit. Ce n’était qu’un sourire en coin, mais Alison ne put s’empêcher de le fixer.
_Bon ! S’exclama Marie en tapant des mains.  Je vais préparer le repas. Alison, je ne te demande pas ton aide.
Elle pouffa et la jeune fille sourit avant de demander, songeuse :
_D’ailleurs, où est Carol ? Et quelle heure est-il ?
_Carol nous a laissé son appartement pour la journée et il est plus de midi, la renseigna Marie avant de disparaître dans la cuisine.
_Midi ?! S’étonna Alison. J’ai dormi pendant combien de temps ?
_Un peu plus de douze heures, répondit Mathias. Tu en avais besoin.
Sans le vouloir, son regard s’attarda sur Alison et elle rougit quand elle s’en rendit compte. Sa chemise de nuit, qu’on pouvait en fait qualifier de nuisette, ne lui couvrait pas beaucoup le corps. Cela devait être encore un achat de Carol. Elle croisa les jambes pour plus de pudeur.
Mathias détourna les yeux, subitement gêné. Une question vint troubler l’esprit d’Alison.
_Au fait, qui m’a changé ?
Le jeune homme se passa une main dans les cheveux, mal à l’aise.
_C’est Marie, jamais je n’aurais osé. Je n’ai fait que te porter jusqu’à mon lit.
_Oh. Pourquoi tu ne m’as pas laissé dans ma chambre ?
Le rictus moqueur de Mathias réapparut et il dit :
_En fait, elle était un peu inutilisable. Tout était envolé et fracassé de tout les côtés, mais j’ai nettoyé ce matin.
Alison fronça les sourcils.
_Où tu as dormi, du coup ?
_Carol m’a installé un matelas à côté de ton lit pour que je puisse te surveiller pendant que tu dormais, au cas où. Tu n’as pas dû le voir en te levant.
Effectivement, Alison n’avait pas fait attention. Elle se montrait reconnaissante envers Mathias, et elle n’aimait pas du tout ce sentiment. Elle se racla la gorge et dit :
_Eh bien, merci.
À nouveau, un sourire en coin apparut et une fossette fit surface à son tour.
_Il n’y a pas de quoi.
Gênée par la situation et par son accoutrement, Alison se leva et courut dans sa chambre en faisant signe à Mathias de l’attendre. Elle revint avec un  jean noir et son sweat à capuche.
Mathias marqua un temps avant de reprendre :
_J’ai repris contact avec ma famille pendant que tu dormais. Enfin, avec mon frère.
La seule chose qui traversa l’esprit d’Alison à ce moment fut :
_Tu as un frère ?
Mathias leva les yeux au ciel.
_Oui, un faux jumeau. Je l’ai appelé avec le portable de Marie et j’ai passé une bonne heure à lui prouver que ce n’était pas une blague et que c’était bien moi.
Ne sachant pas quoi dire, Alison hocha la tête pour qu’il en vienne au fait.
_Lui et ma famille sont en Californie. Je prends le premier avion pour les rejoindre.
_Oh.
C’était le seul son qui pouvait sortir de sa bouche. Alors ça y est, Mathias allait partir ?
Avant qu’elle ne put dire autre chose, il ajouta :
_Et tu viens avec moi.
Alison éclata de rire. Elle n’avait aucune envie de partir avec lui. Mathias lui fit les gros yeux et soupira.
_Alison, réfléchie. Je suis la seule chose qui te relis avec ton véritable univers. De plus, Chantal doit être entrain de nous chercher partout à l’heure qu’il est.
La jeune fille cessa immédiatement de rire. Il avait raison, et cela la tuait de l’admettre. Partir avec Mathias était la meilleure chose à faire pour le moment.
Voyant qu’il l’avait convaincue, il continua :
_Mon frère nous a réservé deux billets d’avion. Il décolle de Paris, demain à dix heures.
_Quoi ?
Encore une fois, Mathias réussit à la mettre en colère. Non seulement il avait déjà réservé les billets d’avion sans son consentement, mais en plus il en manquait un pour Marie. Elle ne comptait pas partir sans elle.
_Premièrement, je crois que tu as oublié Marie. Deuxièmement, la prochaine fois tu attendras mon accord au lieu de prendre des décisions dans mon dos  !
Elle se leva en furie et quitta le salon pour aller dans la cuisine. Marie faillit faire tomber la poêle qu’elle tenait en la voyant arriver ainsi.
_Qu’est-ce qu’il s’est encore passé ? Soupira-t-elle.
_Il y a que cet imbécile a réservé un billet d’avion sans mon consentement et qu’il n’en a même pas pris un pour toi ! Vociféra Alison, maintenant hors d’elle.
Cette fois, Marie laissa tomber sa poêle.
_Comment ? S’exclama-t-elle.
_Tu m’as bien entendu.
La jeune fille ramassa l’ustensile et le déposa dans l’évier.
_Ton vol est pour quand ? Demanda Marie, sous le choc.
_Demain matin à dix heure, à l’aéroport de Paris. Je ne sais pas si tu peux encore avoir un billet.
_Je dois réfléchir.
Marie quitta la cuisine, chamboulée.
Alison resta debout quelques instants, indécise. Est-ce que Marie allait accepter de la suivre ? Sa vie était en France, à Quimper. Pourquoi viendrait-elle après tout ? La jeune fille se prit la tête entre les mains. Il y a deux jours Marie ne représentait rien pour elle, et maintenant elle ne se voyait pas partir sans cette femme. Elle devait venir.
Mathias entra, le regard inquiet et une main dans les cheveux. Alison lui lança un regard noir, mais le garçon ne fit que relever un sourcil.
_Tu ne peux pas l’obliger à te suivre, dit Mathias en croisant les bras. Sa vie est ici, alors que la tienne est ailleurs. Vous appartenez à deux mondes différents, Alison, et ça ne changera jamais.
La jeune fille se planta devant lui, les yeux orageux.
_Je ne l’oblige à rien ! Et tu ne sais rien de ma vie !
_Jusqu’à hier, j’en savais plus que toi.
Sa remarque eut l’effet d’une douche froide. Il avait le don de prononcer les bons mots à la bonne intonation pour la mettre hors d’elle en une seconde.
_Tu ne peux pas le nier, continua Mathias en la regardant de haut.
Il prenait un malin plaisir à lui rappeler que sa vie avait été un mensonge. Pourquoi faisait-il en sorte qu’elle le déteste à nouveau lorsque sa colère diminuait ?
_Et si je ne veux pas te suivre ? Le défia-t-elle en relevant le menton.
Mathias plissa les yeux.
_Alors tu gâches un billet d’avion en plus d’être condamnée à retourner au C.A.T.P pour le restant de tes jours, qui risquent d’arriver rapidement.
Il s’apprêta à rajouter quelque chose et soupira.
_Écoute, je ne voulais pas utiliser cet argument pour te décider, mais avec ton entêtement et ton caractère j’y suis obligé. Je pense que mon père en sait plus sur ta famille et pourquoi tes parents t’ont menti. C’est William Pierce, le Chef de notre famille. Je suis sûr qu’il pourra t’aider.
Alison le fixa avec des yeux ronds.
Son père est le Chef des Pierce, son père est le Chef des Pierce, son père est le Chef des Pierce...
Cette énième révélation se répétait en boucle dans la tête de la jeune fille. Elle en avait marre des révélations, elle voulait s’asseoir et ne plus rien penser. Maintenant qu’elle savait cela, Alison savait qu’elle n’avait pas le choix. Elle devait suivre Mathias, même si Marie restait en France.
Sa décision prise, la jeune fille releva la tête et dit :
_D’accord, je te suis. De tout façon, rien ne me retient ici.
Sauf Marie, acheva-t-elle mentalement.
La tristesse l’enveloppa et elle détourna le regard. Mathias s’adossa contre le mur en la regardant, indécis.
_Tu sais, commença-t-il, si tu veux vraiment qu’elle vienne, tu peux insister.
Alison mit seulement quelques secondes à comprendre le sens de ses mots.
_Tu es fou ! S’écria-t-elle. Je ne ferais jamais ça, c’est malhonnête ! Marie est mon amie.
_Tout ce que j’ai dis c’est que tu pouvais insister, dit Mathias en levant les bras. Je n’ai pas dis que tu pouvais la manipuler, tu y as pensé toute seule.
Son ton faussement innocent faillit la rendre folle, mais il n’avait pas tord. Elle y avait pensé par elle-même.
_Je ne veux pas qu’elle m’abandonne, murmura-t-elle en baissant la tête.
_Elle ne t’abandonne pas, elle te laisse partir.
Puis il soupira.
_Elle n’a même pas encore pris sa décision, alors pense à autre chose.
Alison hocha la tête. Encore une fois, il avait le dernier mot. Cela l’énervait, mais puisqu’ils allaient voyager ensemble, elle aurait tout son temps pour lui rendre la monnaie de sa pièce.
Mathias la tira de ses pensées en lui tendant la main.
_Pour te faire oublier tout ça, je t’emmène quelque part. Tu vas adorer.
Alison hésita, puis prit sa main et ils sortirent.

Five 💫Where stories live. Discover now