IX

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Mathias s'en alla en claquant la porte, l'esprit en ébullition. Il avait perdu le contrôle et, sans qu'il ne s'en rende compte, tout avait dérapé. Alison l'avait fait craquer. Son regard, son mordillement de la lèvre, ses mains posées sur sa nuque... Son désir l'avait emporté sur sa conscience, et ses hormones avaient pris le dessus quand ses lèvres s'étaient posées sur les siennes. Il avait dû faire un effort considérable pour se détacher d'elle, de ses lèvres, de son corps...
Il n'oubliera jamais son regard lorsqu'il s'était relevé. Elle avait semblé si perdue, si confuse... Il lui avait fait de la peine, il en était conscient.
Un sanglot s'échappa de la porte et Mathias dut se faire violence pour ne pas courir la prendre dans ses bras. Malgré lui, il éprouvait une certaine affection pour la jeune fille. Elle pouvait se montrer insupportable au premier abord, mais au fond elle était vulnérable et fragile. Comme lui...
S'en était-elle rendue compte ? C'était peu probable, elle devait penser qu'il s'était moqué d'elle, encore une fois.
Un nouveau sanglot se fit entendre, et il fut vite suivit par des pleurs. N'y tenant plus, Mathias courut jusqu'à sa chambre pour ne pas craquer et entrer dans la salle de bain.
Il ne comprenait pas pourquoi elle était autant touchée. Ce n'était qu'un baiser, après tout. Ou peut-être que c'était son premier... Cela expliquerait, en partie, son état.
_Évidemment que c'était son premier, espèce de crétin, se maudit Mathias en ouvrant la porte de sa chambre.
La première expérience d'une fille était marquante, et il avait tout fait foirer. Elle devait se sentir humiliée et rejetée, et au final, c'était peut-être mieux ainsi. Au moins, elle ne pourrait pas se faire d'illusions sur eux-deux.
_Merde, elle doit me détester !
En colère contre lui-même et sa faiblesse, Mathias donna un grand coup de poing contre le mur. Peu résistant, il se fissura et le jeune homme lâcha un juron.
Il respira avec lenteur, tentant de se calmer. Ses vêtements lui collaient et il commença à frissonner. Avec difficulté, il défie ses vêtements gluants et trempés et les laissa sur le sol pour aller s'allonger sur son lit, nu.
Frustré, il repensa encore au moment où son corps avait pressé celui d'Alison et que leurs lèvres étaient entrées en contact. Cette fille l'attirait, l'excitait, mais elle pouvait aussi le rendre fou. Il adorait la taquiner pour la voir s'énerver, elle était tellement mignonne et menaçante à la fois. Il ne lui avait pas menti lorsqu'il lui avait dit qu'elle était mignonne quand elle s'énervait, mais il savait qu'elle allait le prendre comme une moquerie alors il avait sauté sur l'occasion. Puis, elle l'avait poursuivit, et à partir de là son objectif avait été de faire ressortir ses pouvoirs en l'énervant encore plus.
Le mieux, c'est que ça avait fonctionné et elle ne s'en était même pas rendue compte. La vitesse à laquelle elle l'avait rattrapé faisait partie de ses dons. Jusque-là, il ne se doutait pas encore de la suite. Elle avait continué de le suivre, et avait été jusqu'à le bloquer dans la salle de bain. Mathias ne s'était pas rendu compte à quel point il l'avait poussé à bout, et il avait été obligé d'activer l'eau pour ne pas se faire foudroyer.
Cependant, il n'avait pas prévu qu'elle glisse, qu'il l'attrape par la taille et qu'elle s'accroche à lui comme à une bouée de sauvetage. Sa seule volonté à ce moment était de la rattraper pour qu'elle ne se blesse pas, et sa glissade lui avait rappelé leur première rencontre. Ensuite, tout s'était enchaîné, son regard l'avait attisé, leur proximité avait éveillé son désir, et même la douche glacée qui déferlait sur lui n'avait pas pu éteindre le feu qui le dévorait à ce moment. Il avait fait rempart entre le jet et Alison, pour la protéger de la froideur de l'eau. Il avait senti son cœur battre à une vitesse folle, sa respiration lente et sa poitrine se soulever et s'abaisser doucement. À ce moment précis, il a su qu'il allait l'embrasser, cela n'aurait pas pu en être autrement.
Avec un soupir, Mathias se roula en boule. Il se remémora encore la sensation de ses lèvres sur les siennes, l'innocence avec laquelle elle s'était rapprochée de son corps... Ce souvenir le fit frissonner, et il aurait pu rester ainsi pendant des heures s'il n'avait pas entendu le moteur d'une voiture se garer sur le parking en bas de l'immeuble.
Mathias se releva d'un bond et courut à la fenêtre pour apercevoir une vieille mercedes. C'était bien ce qu'il pensait, Marie revenait.
Il s'empressa de prendre ses vêtements et de les essorer du mieux qu'il put, puis fit chauffer ses mains pour les faire sécher à la hâte. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas pu exercer ainsi son talent, à cause de sa détention et de l'envoûtement de Chantal.
Sans plus attendre, il se rhabilla. Ses vêtements étaient encore humides, mais c'était mieux et il garda son corps à haute température pour qu'ils sèchent au fur et à mesure. Son domaine de prédilection, c'était le Feu, mais il n'avait pas pu le pratiquer pendant des mois, alors il avait encore un peu de mal à se maîtriser.
Marie toqua à la porte et Mathias se précipita pour lui ouvrir. Au passage, il entendit l'eau couler et il en déduisit qu'Alison se réchauffait sous la douche. Ou qu'elle faisait disparaître toute trace de pleurs...
_Mathias ! S'exclama Marie lorsqu'il ouvrit la porte. Où est Carol ?
Elle entra en faisant glisser sa valise sur le sol.
_Elle est partie nous acheter quelques affaires, répondit Mathias avant de refermer la porte.
_Si tard ? Il est presque dix-neuf heures ! Fit Marie, surprise.
_Oui.
La jeune femme soupira et se débarrassa de sa veste tout en demandant :
_Alison est partie avec elle ?
_Non, elle prend une douche.
Le regard de Marie s'attarda sur ses vêtements, légèrement humides et froissés. Elle allait lui faire la remarque, mais s'abstint au dernier moment en secouant légèrement la tête. Mathias la remercia silencieusement de ne pas poser de questions.
_J'installe mes affaires et je commence à préparer à manger, dit Marie.
_Si tôt ? Répliqua Mathias.
_Un dîner ça se prépare, jeune homme !
Il ne releva pas et elle disparut dans le couloir.  Carol allait devoir dormir sur le canapé, puisque Marie occupait la dernière chambre. Mathias songea à lui proposer de lui laisser la sienne, mais se ravisa.
Il partit s'asseoir sur le canapé, soucieux. Carol était partie depuis un moment, et il la soupçonnait d'avoir contacté Marshall. Cet homme n'était qu'un humain tout à fait normal, mais il cachait quelque chose. C'était lui qui avait fait en sorte d'emprisonner Alison, et il se souvenait encore d'elle malgré l'enchantement. C'était certain, Chantal et lui étaient complices. À moins que ce fut elle qui le manipulait ? Toutes ces questions et ces mystères lui donnaient le tournis.
La douche, à quelques mètres de là, s'arrêta et l'eau cessa de couler. Marie choisit ce moment pour surgir et toquer à la porte de la salle de bain :
_Alison ? Je t'apporte quelques vêtements qui m'appartenaient, ils devraient être à ta taille.
On entendit la serrure se déverrouiller et Marie lui lança un regard courroucé.
_Mathias, regarde ailleurs !
Il détourna les yeux en soupirant. Il entendit la porte s'entrouvrir, et une petite voix qui remerciait Marie. La porte se referma et Marie se tourna à nouveau vers lui.
_Toi, tu viens m'aider à préparer le dîner !
_Quoi ? Se rebiffa Mathias. Je ne sais même pas cuisiner !
_Eh bien, c'est le moment d'apprendre !
Il grogna, mais se leva et la suivit jusqu'à la cuisine. Ils se lavèrent les mains et se retroussèrent les manches. Marie tendit le bras vers le frigo, mais quelque chose retint l'attention de Mathias. Il lui attrapa le bras et ses yeux s'écarquillèrent d'horreur.
_Comment tu as eu ça ? S'exclama-t-il en lui arrachant le bandage.
Marie poussa un cri de douleur et le frappa, mais le garçon la retenait fermement. Elle baissa les yeux sur sa coupure et retint son souffle. Elle avait doublé de volume, et elle était rouge et boursouflée. Un peu de sang s'échappait de l'entaille, et sa peau craquelait à différents endroits.
_Mon Dieu... Souffla Marie, épouvantée.
_Il faut la brûler, dit Mathias, maintenant !
Elle leva la tête et le fixa avec horreur.
_Marie, qui t'as fait ça ? Lui demanda à nouveau Mathias, à bout de nerf.
_Je me le suis fait toute seule, balbutia la pauvre femme. C'était pendant mon cauchemar, je me suis aussi réveillée avec des hématomes plein le corps, mais ils ont disparu quelques heures plus tard...
_Tu ne peux pas te l'être fait toute seule, c'est quelqu'un qui est venu chez toi la nuit qui t'as fait ça ! Pourquoi tu n'en as pas parlé ? C'est déjà infecté et j'ai bien peur que la brûler ne change rien !
Mathias fulminait, mais il était surtout inquiet. S'il n'arrivait pas à nettoyer cette coupure, le poison s'infiltrerait dans tout son corps et elle mourrait. Il respira un grand coup et fit asseoir Marie.
_Écoute-moi bien, commença-t-il. Si je ne brûle pas rapidement cette saleté, elle va se répandre de plus en plus le long de ton bras et le poison te tuera dans d'atroces souffrances.
Marie hocha la tête, tremblante.
_Respire, lui ordonna Mathias.
Elle serra les mâchoires et prit une grande inspiration. Mathias fit de même et approcha ses paumes de la blessure.
Des flammes apparurent immédiatement, et Marie faillit pousser un cri de douleur. Elle se retenait du mieux qu'elle le pouvait, mais la douleur était trop intense, et elle poussa quelques couinements. Du sang coulait abondamment de l'entaille, et il fut vite suivit par un liquide noir infecte. Il sortait de son bras en crissant, et commença à s'évaporer au contact du feu. Un grésillement insupportable se fit entendre, et Marie dut se mordre la langue pour ne pas hurler.
_C'est presque fini, dit Mathias.
Quelques secondes plus tard, tout le liquide c'était évaporé et les flammes disparurent.
Marie se leva et se précipita vers l'évier pour soulager sa brûlure. Elle actionna l'eau et passa son bras en dessous du jet glacé bienfaisant. Elle soupira d'aise, et quelques larmes de douleurs coulèrent sur ses joues. La jeune femme les essuya rapidement avec sa main libre, et Mathias vint s'adosser à ses côtés.
_Comment était ton cauchemar ? Lui demanda-t-il. Paraissait-il réel ? As-tu vu un homme ou une femme, dedans ?
Marie attendit quelques secondes pour répondre, le temps de rassembler ses souvenirs.
_Il n'y avait qu'un homme, dit-elle. Il était grand et brun, avec des yeux noirs comme de l'encre, je me souviendrais toujours de son visage. Il me battait et me faisait subir les pires tortures qui soient, tout en me disant de ne jamais chercher à revoir Alison. J'avais l'impression que chaque douleur que je ressentais étaient réelles.
_Et tu as quand même cherché à la revoir, souffla Mathias, admiratif.
Marie hocha la tête, l'esprit embrumé par ces souvenirs. Elle n'en avait pas beaucoup, mis à part le physique de son bourreau, et elle ne se souvenait que de la douleur de ses coups et de ses paroles.
Un détail, si insignifiant soit-il, lui revint en mémoire.
_Il avait un tatouage ! S'exclama-t-elle. Sur son poignet droit, c'était une sorte de cercle avec une fleur à quatre pétales à l'intérieur, et des cœurs... J'ai dû mal à m'en souvenir, c'était un symbole assez spécial.
Mathias faillit s'étrangler en ravalant sa salive. Ce qu'elle décrivait était un symbole que très peu de personnes avaient l'honneur de porter. Cette révélation le troubla beaucoup, mais il n'en montra rien pour ne pas inquiéter Marie.
_Ça te dit quelque chose ? Demanda-t-elle.
_C'est un signe que seules quelques personnes peuvent porter, éluda Mathias sans en dire trop.
_Ça réduit le nombre de suspects, alors.
Mathias acquiesça d'un signe de tête.
_Tu as encore mal ? Demanda-t-il pour changer de sujet.
L'eau coulait toujours sur la peau de Marie, et on pouvait voir que quelques morceaux trop secs ou trop brûlés s'y détachait.
_C'est vraiment laid, grimaça la jeune femme, mais la douleur a diminué et je n'ai plus du tout mal de la même manière qu'il y a quelques minutes.
Mathias soupira de soulagement.
_C'est que le poison est bien parti, expliqua-t-il. Maintenant, il faut enlever la peau morte et nettoyer tout ça.
Marie réprima un juron et éteignit l'eau.
_Allons dans la salle de bain, dit-elle. Alison doit avoir terminé.
Mathias tiqua quand il entendit son prénom et détourna les yeux pour que Marie ne remarque pas son trouble. Elle ne fit pas attention et sortit de la cuisine à la hâte.
Au même moment, Alison ouvrit la porte de la salle de bain et sortit avec les cheveux encore dégoulinants d'eau et ses vêtements sales à la main. Elle portait un jean un peu trop large pour elle, ainsi qu'un pull à col roulé tout aussi grand. Son allure était assez ridicule, et Mathias ne put s'empêcher de sourire d'un air moqueur.
Il n'y avait aucune trace de pleurs sur son visage, ni aucune trace d'émotion. Alison regarda Marie d'un air interrogateur en ignorant royalement Mathias qui se tenait derrière elle.
_Quelque chose ne va pas ?
Ses sourcils froncés, sa tête légèrement inclinée et sa bouche entrouverte fascinaient Mathias, qui ne pouvait s'empêcher de la détailler en espérant qu'elle lui jette un regard furtif. Malheureusement, l'adolescente n'en fit rien et Marie expliqua :
_Quelqu'un à chercher à me tuer pour m'empêcher de te revoir en me coupant avec une dague empoisonnée, mais Mathias a vite réagit et a soigné la blessure.
Ses yeux s'écarquillèrent, mais elle ne prêta toujours aucune attention au jeune homme qui ne la quittait pas des yeux.
Marie lui tendit son bras et Alison examina la plaie et la chair brûlée.
_Il faut nettoyer ça, dit-elle.
_C'est ce que nous allons faire, intervint Mathias.
Cette fois, Alison leva les yeux vers lui. Il s'attendait à un regard noir de sa part, mais à son étonnement ses yeux étaient dénués d'expression. Elle les plissa légèrement avant de regarder à nouveau Marie.
_Puis-je t'aider ?
Marie secoua la tête en signe de négation.
_Mathias a prit les choses en main, ne t'en fais pas.
Marie adressa un sourire au jeune homme et dépassa Alison pour entrer dans la salle de bain. La jeune fille releva la tête et s'en alla à son tour, frôlant Mathias du bras. Il voulut le lui attraper, mais il n'osa pas bouger et garda les yeux rivés sur sa chevelure jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans le couloir.
Mathias ne l'avouerait jamais, mais de toutes les représailles auxquelles il s'attendait, c'était l'ignorance d'Alison qui le touchait le plus.

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