XVII

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Alison bailla. Mathias et elle tentaient vainement de se rendormir, mais les sièges arrières de la vieille mercedes étaient peu confortable. La jeune fille n’avait pas les idées claires depuis que Mathias lui avait gentiment secoué l’épaule il y a une heure. Son état de demi-sommeil lui tourmentait l’esprit et elle avait à peine conscience de ce qu’il se passait. Elle se souvenait vaguement de s’être levée pour aller manger un morceau dans la cuisine, puis Marie l’avait conduit jusqu’à la voiture. Les quelques affaires que Carol leur avait offert étaient déjà entassées dans le coffre, ainsi que les bagages de Marie. Depuis, Alison errait entre le conscient et monde des rêves.
Mathias supportait un peu mieux le réveil. Marie l’avait réveillé en lui tapotant l’épaule et il avait fait pareil avec Alison. Contrairement à ce qu’il pensait, Marie ne lui avait pas fait de remarque concernant leur soudain rapprochement et elle s’était contenté de lui lancer un regard rempli de sous-entendus. Mathias l’avait ignoré et s’était écarté d’Alison pour la réveiller doucement. Elle avait grogné de mécontentement mais s’était tout de même levée. Il avait dû ensuite la traîner jusqu’à la cuisine pour qu’elle mange quelque chose tellement la jeune fille ressemblait à un zombi. Apparemment, elle ne supportait pas le manque de sommeil.
Ils s’arrêtèrent quelques fois pour changer de conducteur. Marie resta au volant les deux premières heures, puis elle échangea avec Carol. Deux heures plus tard, elles échangèrent de nouveau. Ils furent ralentis par quelques embouteillages, mais à cet horaire il n’y avait rien de sérieux. Ils arrivèrent à Paris vers huit heures, et Marie gara la voiture sur un des nombreux parking de l’aéroport.
Alison somnolait encore et elle dut prendre sur elle pour sortir de la voiture sans vaciller. Elle cligna des yeux plusieurs fois pour s’habituer à la lumière du soleil et s’étira de tout son long. Ses os craquèrent et elle frissonna. Le froid matinal lui mordait la peau et elle n’avait pas de manteau adéquate.
_Alison, viens décharger tes affaires ! L’appela Marie.
L’adolescente soupira et rassembla ses cheveux en queue de cheval avant d’aller chercher sa petite valise. Carol lui avait offert la sienne en guise d’adieu, et ses quelques affaires rentraient largement dedans. Elle n’avait qu’un jean, des sous-vêtements, deux débardeurs, trois paires de chaussettes,  un pull et une trousse de toilette. Le reste, elle le portait. Son vieux sweat était toujours sur ses épaules, mais il n’empêchait pas le vent de glacer sa peau.
Alison tira sa valise du coffre et Marie le claqua d’un coup sec. Mathias tenait un vieux sac de sport en guise de bagage, et Carol aidait Marie à porter ses deux valises et son sac à main. Les deux femmes partirent devant d’un pas pressé, souhaitant quitter le froid matinal qui les faisait frissonner à leur tour.
_Comment tu te sens ? Fit Mathias en leur emboîtant le pas.
Alison lui jeta un coup d’œil. Ils n’avaient pas encore échangé un mot depuis leur réveil et elle se sentait gênée. Elle se souvenait parfaitement qu’ils avaient dormi ensemble, l’un contre l’autre entouré d’une douce chaleur. Elle rougit à ce souvenir et pria pour que Mathias ne s’en aperçoive pas.
_J’ai l’impression d’être sortie d’un sommeil de cent ans, répondit-elle, mais j’ai aussi la sensation de ne pas avoir dormi pendant des jours. C’est vraiment bizarre.
Mathias sourit et se passa une main dans les cheveux. Il faisait souvent ce geste, cela devait être un tic, ou peut-être même un toc.
_Nous ne sommes pas au bout de nos peines, soupira-t-il. Le vol dure un peu plus de onze heures et il est sans escale.
La poitrine d’Alison se serra rien qu’à cette pensée. Onze heures dans un avion lui paraissait interminable, de plus qu’elle allait être à côté de Mathias durant tout le trajet.
Pourvu qu’on ne se dispute pas, espéra-t-elle en serrant plus fort sa valise.
Elle ressemblait beaucoup à celle qu’elle avait laissé au C.A.T.P. Elles étaient de même couleur, c’est à dire rouge bordeaux, mais celle que lui avait offert Carol était légèrement plus grande et de meilleure qualité. Alison regrettait son ancienne valise.
Ils entrèrent dans l’aéroport qui était presque désert. Quelques policiers et voyageurs marchaient dans le grand hall, mais il n’y avait pas de foule. L’intérieur venait d’être rénové et la jeune fille contempla la décoration moderne. Elle n’eut pas le temps de la détailler car Mathias venait de lui tapoter l’épaule pour la faire avancer. Résignée, Alison rattrapa Marie et Carol au pas de course.
_On va devoir attendre longtemps avant de pouvoir embarquer, leur fit remarquer la jeune fille.
_Il faut toujours avoir un temps d’avance quand on prends l’avion, lui expliqua Marie sans s’arrêter.
_On en a au moins dix de temps d’avance.
La jeune femme la regarda d’un air amusé. Alison se renfrogna et ralentit pour revenir à côté de Mathias.
_Je déteste être trop en avance quelque part, maugréa-t-elle entre ses dents.
_Moi aussi, mais je préfère ça que de rater le vol.
Ils continuèrent de marcher jusqu’à la douane et y passèrent sans difficulté. Le groupe se dirigea ensuite vers le guichet correspondant à leur avion pour y mettre leurs bagages en soute. Une belle dame brune les accueillit avec le sourire, et Marie donna son nom de famille tout en lui tendant sa carte d’identité. La femme vérifia son nom sur sa liste et ce fut au tour de Mathias et Alison.
_Je m’appelle Mathias Pierce et voici ma sœur Alison. Notre frère a appelé hier pour réserver nos places.
Alison manqua de s’étrangler. Il la faisait passer pour sa sœur ? C’était stupide ! Elle allait s’apercevoir qu’ils n’avaient pas le même nom de famille en regardant sa carte d’identité !
La jeune fille sortit et lui tendit en tremblant. La femme sourit en l’examinant.
_Ah oui ! Vous n’avez pas le même nom de famille que votre frère, il m’a prévenu. Décidément, les querelles familiales peuvent aller loin.
Elle lui fit un clin d’œil et Alison se força à sourire. Comment cette femme pouvait gober ce mensonge aussi facilement ? Elle lui rendit sa carte et la jeune fille la rangea dans sa poche.
Marie semblait aussi troublée par la situation, mais elle n’osait rien dire de tout compromettre.
_Mettez vos affaires sur le tapis roulant, leur demanda l’hôtesse. Ils seront conduits dans la soute sous peu.
Ils firent ce qu’elle demandait et Alison regarda sa valise disparaître derrière un mur.
_Vous ne voyagez pas ? Demanda la brune à Carol.
_J’accompagne seulement mon amie, expliqua-t-elle.
_Dans ce cas, vous devrez partir avant d’entrer dans la salle d’entente de l’embarquement. Je suis désolé.
Carol acquiesça tristement et le groupe s’éloigna en direction d’un escalator. Les deux femmes commençaient à se faire à l’idée qu’elles n’allaient plus se revoir avant très longtemps. Ils arrivèrent à l’étage des boutiques mais aucun d’eux n’y fit attention. Les gens commençaient à remplir les couloirs et un brouhaha sonore s’éleva.
_Je n’aime pas la foule, grimaça Mathias.
_Moi non plus, soupira Alison. Trop de gens dans un même endroit m’angoisse.
_Tu es claustrophobe ?
_Pas à ce point.
Leur échange s’arrêta là. Aucun des deux ne souhaitait continuer car l’ambiance devenait trop pesante entre Marie et Carol. Les deux amies redoutaient le moment des adieux. Marie s’arrêta quelques minutes à une boulangerie et revint avec des croissants et des boissons qu’elle distribua à tout le monde. Ils s’installèrent à une table ronde du commerce et commencèrent à manger. Le ventre d’Alison gronda à l’odeur et elle dévora sa part sous l’œil amusé de Mathias.
_Quelle heure est-il ? Demanda Carol une fois qu’elle eut fini sa boisson.
_Neuf heures, répondit Mathias. On décolle dans une heure, nous devrions aller dans la salle d’attente.
Tout le monde acquiesça et se leva. Alison vit les mains de Carol trembler et elle eut du mal à se lever. Elle paraissait terriblement anxieuse.
Ça doit être l’émotion, se dit la jeune fille.
Elle fit semblant de rien avoir vu et suivit Marie qui partait déjà. Ils montèrent  encore un étage et cherchèrent leur salle d’embarquement. Une fois trouvée, ils s’arrêtèrent et se tournèrent vers Carol.
_Je crois que c’est le moment, soupira-t-elle.
Marie serra son amie dans ses bras. Les larmes leur montèrent et elle restèrent ainsi un moment sans bouger. Alison se mordit la lèvre et regarda ses pieds. Carol se détacha de son amie et sourit malgré ses larmes.
_Tu vas me manquer, dit-elle la voix tremblante.
_Toi aussi tu vas me manquer, sanglota Marie.
Elles se pressèrent les mains.
_Je t’enverrais l’argent de la vente de ta maison et de ta voiture.
_Je te fais confiance. Fais attention à toi, essaye d’éviter Marshall pendant quelques temps.
Carol hoqueta. Quitter Marie lui était beaucoup plus difficile que prévu.
_Je sais. Fais attention à toi aussi, j’espère que tu réussiras ta vie là-bas.
Elles se firent un dernier câlin et Carol se tourna vers les adolescents qui ne savaient plus où se mettre.
_Même si vous avez failli détruire mon immeuble, je suis heureuse de vous avoir rencontré. J’ai appris que la magie existe et grâce à vous je regarde le monde d’un œil nouveau.
Alison releva la tête vers la jeune femme et dit :
_Merci de nous avoir hébergé. Sans toi, on serait certainement retourné au C.A.T.P avec Chantal.
_Et merci pour les affaires et les sacs, renchérit Mathias. Ton aide nous a été précieuse.
Carol renifla et répondit :
_De rien les enfants. Occupez-vous bien de Marie et ne vous mettez pas en danger.
Elle prit une bouffée d’air, mais les larmes continuèrent.
_Il vaut mieux que je parte maintenant sinon je n’y arriverais jamais, rit-elle.
Marie lui fit un dernier au revoir et Carol se tourna. Ils la regardèrent marcher jusqu’à ce qu’elle disparaisse, avalé par la foule de gens. Elle ne s’était pas retourné.
Alison secoua la tête. Voir Marie dans cet état et Carol partir lui avait donné les larmes aux yeux. Elle s’approcha de Marie et lui pressa timidement le bras.
_Ça ira ? Lui demanda-t-elle doucement.
Marie s’essuya les yeux et hocha la tête. Elle avait le nez rouge et les yeux un peu gonflés, mais répondit :
_Oui. Allons-y les enfants.
Elle entra dans la salle d’embarquement. Alison et Mathias échangèrent un regard avant de la suivre.
La salle était presque vide. Ils trouvèrent un coin où s’installer au fond et s’assirent. Alison jeta un coup d’œil à l’horloge, il était neuf et quart. Elle soupira et sortit ses écouteurs. La musique emplit ses oreilles et elle ferma les yeux.
Trente minutes plus tard, Marie lui secoua l’épaule. Alison rangea ses écouteurs et se tourna vers elle.
_On ne va pas tarder à embarquer alors allons aux toilettes, lui dit-elle.
La jeune fille acquiesça et se leva. Mathias alla du côté des hommes tandis qu’Alison et Marie allèrent du côté des femmes. Elle firent la queue et Marie passa la première. Alison passa juste après elle et la jeune femme lui dit qu’elle l’attendrait devant la porte d’embarquement. Alison acquiesça et entra dans la cabine. Lorsqu’elle ressortit, il n’y avait plus personne qui attendait.
Elle s’approcha du lavabo et actionna le robinet. L’eau gicla sur ses mains et Alison se perdit dans ses pensées jusqu’à ce qu’elle sente une chaleur à sa poitrine. Son collier recommençait à chauffer et son sang ne fit qu’un tour.
_J’ai eu beaucoup de mal à te retrouver, dit une voix grinçante.
Le corps d’Alison se figea. L’eau cessa de couler et elle leva la tête pour regarder dans le miroir.
Chantal.
Elle poussa un cri et se retourna. La vieille femme lui faisait face, le sourire aux lèvres et le regard menaçant.
_Comment avez-vous fait ? S’écria-t-elle.
Chantal s’approcha lentement d’elle. Alison était paralysée par la peur et elle tremblait.
_J’ai été aidé. Vous devriez mieux choisir vos alliés, à l’avenir...
Le cerveau d’Alison tourna à toute allure et elle mit quelques secondes avant de comprendre. Le sourire de Chantal était cruelle et elle éclata de rire quand elle vit qu’elle avait compris. Carol.
Elle les avait trahi ! Et dire qu’elle avait failli verser une larme pour cette femme ! Alison frissonna de colère en repensant à leur séparation. Elle avait bien caché son jeu à travers ses larmes et ses adieux.
_Nous sommes toutes les deux des Cooper, continua Chantal. Reviens avec moi et je t’enseignerais tout ce que tu as à savoir. Tu es bien plus puissante que tu ne l’imagines.
Alison faillit lui rire au nez. La trahison de Carol lui avait remis les idées en place et elle ne tremblait plus.
_Vous pouvez toujours rêver !
Sans crier gare, elle fit appel à l’Air et ses paumes chauffèrent. Elle tendit les bras et un puissant éclair en sortit, mais Chantal l’esquiva de peu. L’éclair éclata contre une cabine qui fut détruite sous le choc.
_Pauvre idiote ! Siffla-t-elle. Je suis bien plus forte que toi !
Chantal tendit le bras et ce qui restait de la porte de bois fut projeté sur Alison qui le prit de plein fouet. Elle s’écrasa contre le sol et sa tête cogna contre le lavabo. Son crâne explosa de douleur et elle crut un instant qu’elle allait s’évanouir tellement se fut intense.
_Tes parents étaient idiots de croire qu’ils pourraient te cacher éternellement, cracha Chantal en s’approchant d’elle.
En entendant ces mots, le sang d’Alison se mit à bouillir. Chantal venait ouvertement d’insulter ses parents. Une rage folle s’empara de la jeune fille et elle se releva avec le regard meurtrier. Elle était en colère, dans une colère noire et profonde. Elle avait l’impression que son corps s’embrasait et que ses mains étaient enflammées.
_Je vous interdis de parler de mes parents ! Hurla Alison avant de laisser exploser sa rage.
Un déferlement de flammes sortit de son corps. Alison semblait brûler vive mais elle ne ressentait aucune douleur, seulement de la haine. Toute sa colère transformée en feu se déversa sur Chantal qui ne pouvait l’éviter. Elle hurlait et tentait de s’enfuir, mais les flammes la repoussait à chaque essai.
Alison était devenue une torche vivante. Ses cheveux et ses habits enflammés ne brûlaient pas et ses yeux exprimaient la haine la plus totale. C’était comme si elle s’était transformée en démone assoiffée de sang.
L’alarme incendie sonna et son sifflement incessant lui fit recouvrir ses esprits. Les flammes de son corps s’éteignirent peu à peu et elle regarda Chantal prisonnière du feu, hébétée.
La jeune fille ne put esquisser un geste dans sa direction qu’elle sentit des bras puissants la saisir et l’emmener à toute vitesse. Alison  comprit aussitôt que c’était Mathias et elle se laissa faire. Ils coururent à une vitesse surnaturelle pour passer les portes de l’embarquement sans être vus et s’arrêtèrent dans le couloir qui menait à l’avion. Il n’y avait personne, ils devaient être les derniers.
_Tu peux m’expliquer ce qu’il s’est passé ? Cria Mathias. C’est toi qui a incendié les toilettes ?!
Alison hocha la tête, tremblante. Ce qui venait de se passer signifiait une chose. Elle n’était pas qu’une Cooper et une Knight, mais aussi une Pierce. La jeune fille ne savait pas quoi en penser.
_Bordel ! Cria Mathias. Tu as trois Éléments !
Alison ne savait pas s’il était en colère, surpris ou impressionné. Peut-être était-ce les trois.
Ils furent interrompus par une hôtesse de l’air qui les priait d’embarquer rapidement, car un incendie avait été déclenché dans la salle d’attente. Les adolescents firent profil bas et Mathias chuchota à l’oreille de la jeune fille qu’ils continueraient leur discussion à bord de l’avion.

Five 💫On viuen les histories. Descobreix ara