XV

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Tandis qu’elle se posait sur la terre ferme, le ventre d’Alison gargouilla. Mathias, qui avait déjà atterri, lui jeta un coup d’œil amusé.
_C’est parce qu’on a loupé le repas, expliqua la jeune fille.
Elle s’étira les bras et les jambes, ayant presque oublié ce qu’était d’être debout. Toutes ses heures à voler lui avait donné terriblement faim et soif. Elle essaya d’oublier ce désagrément et inspecta les alentours. Mathias les avait fait atterrir dans un petit bois à une centaine de mètre de l’autoroute qui menait à Quimper.
Comprenant qu’ils allaient devoir faire le reste du chemin à pieds, Alison soupira et sortit son portable de sa poche. Ses yeux s’agrandirent d’horreur en l’allumant.
_Il est presque seize heures et j’ai quinze appels manqués de Marie ! S’écria-t-elle.
Elle culpabilisa en imaginant Marie, tournant en rond dans le salon et tentant vainement de la joindre.
_Je vais la rappeler.
_Non ! S’exclama Mathias.
Elle le regarda les yeux ronds, le doigt suspendu au-dessus de son téléphone.
_Dépêchons-nous de rentrer, plutôt. On en a plus que pour vingt-minutes si tu cours assez vite.
Alison releva un sourcil.
_Si je cours assez vite ?
Elle fixa Mathias quelques secondes et, sans crier gare, apparut juste sous son nez. Il sourit et disparut à son tour, laissant quelques feuilles mortes s’envoler sur son passage. Alison se tourna dans tous les sens, mais il n’y avait plus aucune trace de lui.
_BOUH !
La jeune fille poussa un cri de terreur. Mathias avait réapparu juste derrière elle et lui avait saisi les côtes pour la faire bondir. Fier de lui, il éclata de rire devant sa mine déconfite.
_Tu m’as fait mal ! Grimaça Alison en croisant les bras, boudeuse.
En réalité, elle avait eu plus peur qu’autre chose. Mathias continua de rire pendant quelques secondes et finit par dire :
_Tu aurais vu ta tête !
Alison leva les yeux au ciel.
_N’insiste pas ! Dit-elle. Rentrons avant que Marie ne ratisse la ville.
_Tu n’as pas tord.
Il garda cependant son air moqueur et Alison l’ignora. Mathias s’approcha d’elle pour lui attraper la main et il se mit à courir. Une fois qu’il fut sûr qu’elle le suivait, il la lâcha et continua sa route.
Alison fit de son mieux pour ne pas perdre Mathias de vue, car elle n’était pas encore habituée à cette vitesse. Sa vision s’adaptait, mais elle devait garder un bon rythme pour ne pas se laisser distancer. Le vent faisait fouetter ses cheveux et ses yeux lui piquaient de temps en temps, alors elle clignait violemment les paupières pour les humidifier. Pendant ce laps de temps, Mathias disparaissait de sa vue et à chaque fois elle avait peur de le perdre. Elle se concentra et se contenta de courir sans se poser de questions, ne quittant pas son dos du regard.
Ils arrivèrent à Quimper et Mathias ralentit pour saisir le bras d’Alison, craignant de la perdre dans la ville. Alison fut soulagée qu’il eut pensé à elle et la jeune fille s’accrocha à lui jusqu’à ce qu’ils arrivent devant leur immeuble. Mathias s’arrêta et Alison se serait faite projetée en avant s’il ne l’avait pas rattrapé en tendant le bras.
_Désolé, s’excusa-t-elle, j’ai encore du mal à m’arrêter.
Mathias émit un petit bruit moqueur et ils entrèrent dans le bâtiment. Ils grimpèrent les marches quatre à quatre et Alison s’apprêta à sonner, mais Mathias la devança en entrant sans prévenir.
Quel malpoli ! Ne put s’empêcher de penser la jeune fille.
Elle le suivit en refermant la porte derrière elle, mais ils n’eurent pas le temps d’arriver dans le salon que Marie leur sauta dessus.
_Où étiez-vous ?! Hurla-t-elle, folle de rage.
Ses boucles blondes étaient en bataille et elle tenait son téléphone dans la main, qu’elle agitait dans tous les sens. Alison remarqua que son regard de haine s’attardait plutôt sur Mathias que sur elle, alors elle prit la parole :
_Marie, je suis vraiment désolée de ne pas t’avoir prévenue de notre sortie, on ne pensait pas partir aussi longtemps...
Marie la coupa d’un mouvement sec du bras.
_Où étiez-vous et que faisiez-vous ?
Alison ravala sa salive. Elle jeta un coup d’œil à Mathias et se demanda s’il était préférable qu’ils ne lui racontent pas leur altercation avec Chantal.
Marie allait les atomiser, c’était certain.
Mathias se racla la gorge et prit la parole :
_J’ai emmené Alison dans un champs assez loin de la ville pour lui apprendre à voler. Je voulais lui changer les idées.
Le regard de Marie s’adoucit, mais elle était toujours en colère.
_Vous avez volé pendant quatre heures ?
Alison et Mathias se regardèrent, hésitants.
_Si vous croyez que je n’ai pas compris que vous me cachez quelque chose, vous vous trompez ! S’exclama Marie en mettant les mains sur les hanches.
Mathias soupira tandis qu’Alison détourna le regard.
_Nous avons croisé Chantal, asséna Mathias. Nous volions et Alison l’a vu nous poursuivre au sol. Heureusement qu’elle ne sait pas voler, sinon je ne pense pas qu’on aurait réussi à la semer aussi facilement.
Instantanément, le visage de Marie perdit toute sa colère pour y faire place à de l’inquiétude.
_Aucun de vous n’a été blessé ? Comment vous a-t-elle retrouvé ?
Mathias secoua la tête en signe de négation.
_On va bien, mais je ne sais pas comment elle a fait pour nous retrouver. C’est une Cooper, elle a dû retourner à Quimper et repérer notre présence grâce à l’Esprit.
La poitrine d’Alison se serra. Avoir le même nom de famille que Chantal était étrange et lui donnait la nausée. Marie grimaça aussi à cette évocation et ferma les yeux pour respirer un bon coup.
_Êtes-vous certains qu’elle ne vous a pas suivi ?
Mathias hocha la tête avec conviction.
_Je m’en suis assuré.
Marie relâcha la tension de ses épaules, soulagée.
_Je ne vois pas d’inconvénient à ce que vous sortiez vous promener, mais à l’avenir prévenez-moi, conclut Marie.
S’il y a une prochaine fois, pensa Alison.
Elle brûlait d’envie de lui demander si elle avait pris une décision, mais la jeune fille se retint. Ce n’était pas le bon moment et elle devait lui laisser plus de temps.
_J’ai mis votre repas au frigo, les informa Marie. Vous devez mourir de faim, allez le manger.
Ils remercièrent Marie et se précipitèrent dans la cuisine, affamés. Alison ouvrit le frigo la première, découvrant des pâtes et un morceau de steak. Elle s’en saisit et Mathias fit de même avec sa part, qu’ils mirent au micro-onde.
En attendant la fin du minuteur, Mathias tenta de faire la conversation :
_Alors, comment c’était de voler dans les airs pour la première fois ?
Tout d’abord surprise, Alison haussa un sourcil.
_C’est génial, finit-elle par répondre. Je ne m’étais jamais sentie aussi libre.
_Voler est la meilleure des sensations, acquiesça Mathias.
Il garda le silence pendant quelques secondes, puis ajouta :
_Lorsque je t’ai dit que tu étais douée, je le pensais vraiment. En vérité, je croyais que tu allais mettre des heures à seulement t’envoler à cinq mètres. J’étais réellement surpris.
Alison se mordilla la joue, ne sachant pas quoi répondre. En plus de lui faire la conversation, il lui faisait un compliment ?
Il essaye de se faire pardonner pour hier ! comprit la jeune fille.
Son excès de gentillesse de la journée venait probablement de là. Déterminée à rester sur ses positions pour lui faire comprendre qu’il n’avait pas à la traiter comme ça, elle ne releva pas son compliment et opta pour une question personnelle.
_Combien de temps as-tu mis pour voler, toi ?
Mathias détourna subitement les yeux. Au vue de son comportement, il avait mis plus de temps qu’elle.
Alison sourit intérieurement. Elle avait choisi la bonne question et elle allait pouvoir tester sa sincérité et sa détermination à se faire pardonner.
_Alors ? Le pressa-t-elle.
Sauvé par le gong, le minuteur cessa et Mathias sortit les deux assiettes du micro-onde. Il lui tendit la sienne et elle lui arracha presque des mains en soupirant. Ils s’installèrent à la table du salon, l’un en face de l’autre, tandis que Marie regardait encore une de ses émissions barbantes à la télé. Cette fois, son documentaire concernait les abeilles. Alison détourna les yeux et se concentra sur Mathias, qui avait déjà le nez dans son plat.
_T’as mis longtemps, hein ? Ricana Alison en piquant une pâte.
Mathias leva la tête, la bouche pleine de morceaux de viande.
_Je n’ai mis que quelques secondes et j’ai réussi du premier coup.
Il lui avait dit cela très sérieusement et Alison plissa les yeux, mécontente.
_Tu mens !
Elle piqua un bout de steak et le fourra dans sa bouche.
_Alors, tu as mis combien de temps ? Insista la jeune fille.
Mathias leva les yeux au ciel et s’exclama :
_J’ai mis trois jours avant de pouvoir tout contrôler ! Tu es contente ?
_Trois jours ? Répéta Alison, sidérée.
Elle n’avait mis qu’une heure ! Mathias semblait moins fort qu’il le laissait paraître. Alison ne put s’empêcher de pouffer.
_Mon Élément dominant est le Feu, alors c’est normal que j’ai plus de mal à contrôler l’Air ! Se défendit-il.
Ses joues avaient rosi et Alison pouffa de nouveau. Elle manqua de s’étrangler avec une bouchée de pâte et il se moqua d’elle à son tour. Elle lui lança un regard menaçant et avala avec difficulté.
Pour changer de sujet, elle demanda :
_Tu penses que mon Élément dominant c’est lequel ?
Mathias prit le temps de mâcher un morceau de viande pour réfléchir, puis répondit :
_Franchement, je n’en sais rien. Ton nom de famille indique que ça devrait être l’Esprit, mais ta récente performance avec l’Air indique le contraire. D’un autre côté, la puissance avec laquelle l’Esprit s’est manifesté hier devrait prouver qu’il est ton Élément dominant, mais le fait est que l’Air s’est présenté en premier par le biais de la foudre. Avec tout ça pris en compte, je n’arrive pas encore à déterminer lequel est quoi.
Alison soupira. Pourquoi devait-il y avoir autant de mystère autour d’elle ? Elle finit son assiette, l’esprit perdu dans ses pensées. Mathias ne cherchait plus à lui faire la conversation.
Ils finirent en même temps et allèrent déposer leurs assiettes et leurs couverts dans le lave-vaisselle. Alison rejoignit Marie dans le canapé, mais se désintéressa vite de la télé. Mathias se contenta de s’asseoir sur la moquette au pied de la jeune fille et se concentra sur l’émission. Marie leur jeta un coup d’œil amusé avant de reprendre le cours du reportage.
Ils le regardèrent ensemble pendant dix minutes, tous très heureux de ce moment de calme. Malheureusement ce dernier fut de courte durée, car Carol entra en trombe en hurlant :
_On a un gros, gros, gros, problème !
Lassée, Alison ne put s’empêcher de pousser un grognement de mécontentement, qu’elle avait émis en chœur avec Mathias. Marie éteignit la télé et se précipita vers son amie.
_Qu’y a t-il ? Tu es toute essoufflée !
Carol inspira une grande bouffée d’air, cherchant à reprendre son souffle. Alison et Mathias s’approchèrent d’elle, et la jeune fille remarqua un léger mouvement de recul lorsqu’elle arriva.
Elle a peur de moi, s’étonna Alison.
Elle ne laissa rien paraître et fit comme si de rien n’était. Mathias avait aussi remarqué le geste de Carol, mais ne dit rien non plus. Marie était la seule à ne pas l’avoir vu.
_J’étais au café avec Pierrick, commença Carol, et puis Marshall est arrivé en compagnie d’une vieille femme. Ils nous ont accosté sans beaucoup de politesse et Marshall à tout de suite exigé à te voir. Pierrick m’a lancé un regard et je lui ai fait comprendre que je ne savais pas de quoi il parlait. Il a alors assuré que nous ne savions pas où tu étais et à demandé la raison de ta recherche.
Carol fit une pause, et Marie la fit asseoir sur le canapé en la priant de continuer. Alison et Mathias s’assirent en face d’elle, par terre.
_C’est là que la vieille femme s’est mise à parler, reprit Carol. Elle a commencé à monter un bobard que même Pierrick n’a pas cru ! Comme quoi tu avais aidé deux jeunes très dangereux à s’enfuir d’un hôpital psychiatrique, autrement dit un asile.
Alison ne put s’empêcher de pouffer et elle dut se mordre les joues pour ne pas rire devant cette absurdité. Mathias avait lui aussi le sourire aux lèvres, mais restait concentré.
_Au final, Pierrick a haussé le ton en demandant pourquoi ils n’allaient pas à la police et ils sont parti sans rien ajouter de plus. Ensuite, j’ai trouvé une excuse pour m’éclipser et j’ai accouru pour vous mettre au courant.
La première question que posa Mathias fut :
_Quel était le nom de cette femme ?
Alison et lui n’avaient pas besoin de l’entendre pour le savoir, mais ils voulaient en être certain.
_Elle ne s’est pas présenté, répondit Carol en secouant négativement la tête, mais elle avait un badge avec écrit C.Benet accroché à la poitrine.
Marie se mit la tête entre les mains, tandis que les adolescents se contentèrent de soupirer.
_Je croyais qu’elle ne vous avait pas suivi ! Explosa Marie.
Carol, qui ne comprenait pas, lui lança un regard surpris. Alison se fit toute petite et Mathias regarda ailleurs en se mordant la lèvre inférieur.
_Voilà ce qu’il se passe lorsque vous êtes imprudents, continua Marie. Je ne peux pas vous laisser sans surveillance pendant quelques heures ! Et c’était sans mon accord, qui plus est.
Marie les traitait comme des enfants et Alison eut du mal à le supporter. Elle garda son sang froid pour ne pas envenimer davantage la situation, ce qu’elle n’aurait pas fait il y a deux jours. Elle s’étonna elle-même de cette pensée.
Mathias eut plus de difficulté à ravaler sa salive. Marie n’avait aucun droit sur lui, mais il devait concéder que son comportement était justifié. Il se tut, mais il ne pouvait pas empêcher la montée de chaleur qui envahit son corps. Alison, qui était juste à côté de lui, le sentit et lui jeta un regard accompagné d’un froncement de sourcil pour lui faire comprendre de se calmer. Il se força à baisser sa température corporelle pour satisfaire la jeune fille, qui détourna la tête.
Qu’est-ce qu’il ne devait pas faire pour se faire pardonner ! Il espérait que leur différend serait réglé avant qu’ils n’arrivent en Californie.
_Quelqu’un peut m’expliquer ce qu’il se passe ? Demanda Carol, complètement perdue.
_Je te raconterais après, la rembarra Marie.
Carol comprit et se leva pour quitter la pièce, les laissant parler librement.
_Tu sais, commença Alison d’une voix hésitante, peut-être qu’on a rien à voir avec ça. Je suis sûr que Marshall et Chantal étaient déjà en relation avant notre fuite. C’est même parfaitement logique.
Mathias ne put qu’acquiescer et Marie prit un instant pour réfléchir.
_Peut-être, concéda-t-elle enfin. Nous ne saurons probablement jamais le fin mot de cette histoire.
Elle poussa un long soupir.
_J’espère que nous n’avons pas mis Carol en danger. Ce qui est sûr, c’est que je ne suis plus en sécurité.
Elle regarda Alison, qui comprenait lentement ce que Marie voulait dire.
_J’ai réservé un billet d’avion. L’inconvénient, c’est que nous n’aurons pas des places côtes à côtes.
_On s’en fiche ! S’écria Alison en lui sautant dans les bras.
Elle poussa un cri de joie et Marie lui rendit son étreinte.
_Et ta maison ? Ton travail ? Demanda Mathias en haussant un sourcil.
Alison s’écarta de la jeune femme, désirant aussi entendre ses explications.
_J’ai déjà envoyé ma lettre de démission. Quant à ma maison, je vais la léguer à Carol qui se chargera de la vendre. Je lui fais suffisamment confiance pour cela. Elle transférera l’argent de la vente sur un compte en banque. Enfin, si elle accepte de prendre en charge ma maison.
_Elle acceptera ! S’empressa d’assurer Alison, trop heureuse.
Marie se tourna vers Mathias, qui était soudainement devenu soucieux.
_Est-ce que ta famille acceptera d’accueillir une personne en plus ? Lui demanda Marie.
_Bien sûr ! La rassura-t-il. Mon frère m’a dit qu’ils habitaient dans une grande villa, il y aura largement la place.
La jeune femme poussa un soupir de soulagement et sourit. Elle abandonnait sa vie à Quimper, et même en France. Marie était certaine que si elle restait, il lui arriverait malheur. Tout  venait d’Alison, mais malgré cela elle était très précieuse à ses yeux. Elle ne savait pas pourquoi.
C’était certainement l’instinct maternel, elle ressentait le besoin de protéger cette orpheline. Elle n’avait aucun regret de partir, son boulot l’agaçait depuis quelques mois déjà et elle ne supportait plus ses collègues, dont Marshall. Elle avait besoin de changer d’air. Marie était heureuse de suivre sa protégée et de l’aider à avancer. La seule chose qu’elle allait regretter était de ne plus voir son amie, qui attendait dans la cuisine.

Five 💫Where stories live. Discover now