XVI

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Le reste de l’après-midi fut calme. Mathias était parti faire une sieste et Alison somnolait devant la télé. Marie avait eu une longue discussion avec Carol en privé, dans laquelle la jeune femme lui expliquait son choix. Carol avait versé quelques larmes à l’annonce du départ de son amie, mais elle comprenait. Elle lui promit de ne rien dire sur sa destination et qu’elle s’occuperait de sa maison, ainsi que de son chat. Le cœur de Marie s’était serré en pensant à son Tigrou qui devait l’attendre chez elle.
_Je m’en occuperais bien, lui avait promis Carol.
Les deux femmes étaient ensuite parties chez Marie pour récupérer ses affaires et régler les derniers détails de son grand départ, laissant l’appartement aux adolescents. Cette fois, Marie leur avait fait tout un récapitulatif de ce qu’ils ne devaient pas faire. Alison était contente que Carol leur fasse encore suffisamment confiance pour les laisser seuls, ce qui prouvait qu’elle n’avait pas aussi peur d’elle et cela la rassurait. Son dernier souhait était bien de provoquer la peur chez les gens.
Avec un soupir, Alison éteignit la télé et jeta la télécommande sur un coussin. Elle jeta un coup à l’horloge. Il était bientôt dix-neuf heures, les filles étaient parties depuis presque deux heures et Mathias dormait toujours. Alison se leva et décida de s’entraîner. Elle avait appris à contrôler l’Air, alors elle décida d’en faire de même avec l’Esprit. Elle se remémora ce qu’avait dit Mathias à son sujet et choisit d’essayer de faire léviter un objet.
La jeune fille alla chercher une pomme rouge dans la cuisine et revint s’installer sur le canapé. Elle posa le fruit sur la table basse en face d’elle, puis se mit en tailleur. Alison ferma les  yeux et se concentra. Lorsqu’elle les rouvrit, rien ne s’était passé.
Je me sens bête, se dit-elle.
Peut-être devait-elle demander conseil à Mathias. Alison secoua la tête à cette simple pensée. Elle réussirait seule et sans son aide.
_Tu vas y arriver, s’encouragea-t-elle.
Elle ferma les yeux et imagina la pomme s’envoler jusqu’à elle. Elle pensa aux conseils que lui avaient donné Mathias quelques heures plus tôt et fit de son mieux pour les appliquer, mais sur la pomme cette fois. Alison régula sa respiration et imaginant que la pomme était sous ses yeux à présent. Elle rouvrit les yeux et poussa un cri de frustration. La pomme n’avait pas bougé d’un pouce.
Ne voulant pas se laisser abattre, Alison fit plusieurs autres tentatives qui furent toutes décevantes. Au bout de la cinquième, elle se mit en colère et imagina la pomme s’écraser contre le mur avec violence.
Contre toute attente, le fruit voltigea. Seulement, ce n’était pas contre le mur qu’il s’écrasa, mais en plein milieu du front de la jeune fille qui poussa un cri de douleur. Quelqu’un explosa de rire et Alison tourna la tête pour apercevoir Mathias, plié en deux à l’angle du couloir.
En colère en plus d’avoir le front douloureux, Alison saisit la pomme et lui jeta à la figure. Elle lui atterrit en pleine tête et le garçon cessa de rire. Il se frotta la tête et elle dit :
_Ça t’apprendras à te moquer de moi !
Mathias s’approcha d’elle, la main toujours sur la tête.
_Ne me dis pas que si tu avais été à ma place tu n’aurais pas ri ! S’exclama-t-il.
Il lui lança la pomme qu’elle attrapa au vol.
_C’est vrai, concéda-t-elle, mais comparé à toi je suis une débutante et je ne contrôle presque rien.
Mathias soupira et se laissa tomber à côté d’elle, l’écrasant presque. Alison poussa un juron et se dégagea tant bien que mal. Elle replaça la pomme sur la table basse et se concentra de nouveau.
_Reste calme, lui dit doucement Mathias. Si tu es en colère, le résultat sera violent.
Alison prit une grande inspiration et se concentra de nouveau. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle sourit en voyant la pomme léviter. Elle la fit venir doucement jusqu’à elle et la saisit en poussant un petit cri de victoire.
Mathias la regardait les yeux ronds, éberlué par sa réussite. Encore une fois, il ne pensait pas qu’Alison y arriverait si facilement et si rapidement. Elle était extrêmement douée, peut-être même plus que lui.
_Impressionnant... Murmura-t-il.
Ils n’eurent pas le temps d’en parler, car un bruit de serrure se fit entendre. Marie et Carol entrèrent avec des valises et des sacs aux mains. Alison se leva pour aider Marie et Mathias fit de même avec Carol.
_C’est quoi, ça ? S’écria-t-il en prenant une grande boîte des bras de Carol.
Un miaulement se fit entendre et Marie soupira en déposant ses bagages dans le salon.
_Ça, comme tu dis, c’est mon chat. Carol s’en occupera.
Alison se précipita vers Mathias pour regarder dans la boîte.
_Comment s’appelle-t-il ? Demanda-t-elle.
Mathias déposa la cage par terre et l’ouvrit. Un chat roux bondit de l’intérieur et courut se réfugier dans les bras de Marie.
_Son nom est Tigrou, dit Marie en le prenant dans ses bras.
Alison s’approcha d’elle pour le caresser, mais Tigrou feula.
_Il est très timide et à un sale caractère avec les étrangers, la rassura Marie.
Déçue, Alison partit s’affaler sur le canapé et Mathias la rejoignit avec une moue moqueuse.
_Ma pauvre, même le chat ne t’aime pas.
Énervée, elle prit un coussin et le frappa avec. Malheureusement, il ne toucha que le vide puisque Mathias était déjà à l’autre bout de la pièce.
_Tu es trop prévisible ! Ricana-t-il.
Furieuse, Alison fondit sur lui et lui asséna le coussin sur la tête.
_Et toi, tu me sous-estimes ! Lui cria-t-elle.
Mathias lui arracha le coussin des mains, mais un cri les stoppa tout les deux.
_Ça suffit ! Pas de magie ni de bagarre dans cet appartement, est-ce clair ?
À leur grand étonnement, ce n’était pas Marie qui leur avait ordonné cela, mais Carol. Elle les regardait d’un air menaçant, les poings sur les hanches et le pieds qui tapotait le sol. Marie les observait d’un air désapprobateur avec Tigrou toujours dans ses bras.
_Désolé, s’excusa Alison en ravalant sa salive.
_On s’amuse, c’est tout, enchaîna Mathias.
Alison lui lança un coup d’œil. Ils n’avaient pas la même définition du mot amusement, mais il n’avait pas tord. Pour eux, se bagarrer ou se disputer était presque devenu un jeu.
_Peu importe, dit Carol, je ne veux pas de ça chez moi. Compris ?
Mathias acquiesça silencieusement. Visiblement, il avait du mal à faire profil bas, mais Alison n’aimait pas cela aussi. La seule chose qui la retenait c’était Marie et sa gratitude envers Carol qui les hébergeait.
_Je vais aller préparer le repas, dit Marie pour faire baisser la tension. Les enfants, allez mettre la table s’il vous plaît.
Ils ne se firent pas prier et détalèrent dans la cuisine en échangeant un regard complice. Une fois la table mise, ils s’installèrent dans le canapé et se mirent à commenter une émission qui passait à la télé.
Mathias comprit qu’il avait gagné et qu’Alison avait enfin oublié l’épisode d’hier. La jeune fille, qui n’était pas dupe, l’avait pardonné, mais n’avait certainement pas oublié. Elle gardait ce moment dans un coin de sa mémoire, prête à le ressortir à tout moment si elle devait le faire.
L’entente soudaine des deux adolescents sidérait Marie, qui les observait bavarder depuis la cuisine. Ils se ressemblaient beaucoup et partageaient plus de points communs qu’ils ne l’admettraient, mais c’était justement cela qui effrayait Marie. L’entente est plus facile lorsqu’on se ressemble, mais est plus difficile lorsqu’on partage le même caractère. Ces deux critères étaient remplis pour Alison et Mathias, et Marie savait qu’ils enchaîneraient les disputes même s’ils se mettaient à s’apprécier.
Carol l’appela et elles terminèrent de préparer le repas tout en bavardant. Marie la félicita pour l’autorité qu’elle venait de montrer et Carol lui rappela encore une fois de faire attention lorsqu’elle sera en Amérique. Une fois les assiettes dressées, Marie appela les adolescents qui se précipitèrent à table.
_Alors Mathias, dit Marie une fois que tout le monde fut rassemblé, que font tes parents dans la vie pour habiter dans une grande villa ?
Mathias prit une bouchée de pomme de terre avant de répondre.
_Mon père dirige une grande entreprise, alors nous sommes assez aisés et nous avons toujours vécu dans la richesse.
_Je vois, dit Marie. Et ta mère ?
_Ma mère a quitté son travaille après notre naissance, à mon frère et à moi. Mon père subvient largement à nos besoins.
Marie acquiesça et cessa les questions. Alison intervint en lui disant :
_J’espère que tu sais parler anglais !
La jeune femme sourit et répondit :
_Je suis presque bilingue !
Le reste du repas se fit dans le silence. Alison et Marie appréhendaient leur voyage, tandis que Mathias était impatient de rentrer chez lui. Carol, quant à elle, ne savait plus où se mettre et préféra se taire.
Une fois le dîner terminé, ils débarrassèrent la table tous ensemble et Marie retourna regarder un de ses reportages, suivit par Carol. Alison et Mathias se regardèrent, indécis, puis la voix de Marie s’éleva :
_Demain on se lève à deux heures et à deux heures trente on part, alors allez vous coucher.
_Deux heures du matin ? Fit Alison, à mi-voix.
_Paris est à plus de cinq heures de voiture, soupira Mathias, et avec les embouteillages, on est sûr de rien.
Alison soupira et partit dans sa chambre. Mathias la suivit, mais elle ne dit rien et se laissa tomber dans son lit.
_Dans quelle ville se trouve ta villa ? Demanda-t-elle tandis qu’il s’allongeait aussi.
Ils n’avaient pas allumé la lumière, alors la pièce était plongée dans l’obscurité avec la lumière du couloir pour seul éclairage.
_Elle est au bord de l’océan, à vingt minutes de San Francisco, répondit Mathias en croisant les mains sous sa tête.
_Vous avez une plage privée ? S’exclama Alison.
Elle se mit sur le dos et croisa ses mains sur son ventre en attendant sa réponse.
_D’après mon frère, oui. Je n’ai jamais mis les pieds là-bas, ils n’y sont que depuis un an. Depuis ma disparition, en fait.
Sa voix trembla à ses derniers mots et il fixa le plafond. Alison fit pareil, ne souhaitant pas le mettre mal à l’aise, et se risqua à demander :
_Comment tu t’es fais enlevé ? Et pourquoi ?
Une minute de silence suivit ses deux questions. Alison se mordit la lèvre inférieur, craignant d’avoir fait ressurgir de mauvais souvenirs. Elle savait que les questions personnelles pouvaient faire remonter des images qu’on souhaitait oublier.
À sa grande surprise, Mathias choisit de lui répondre :
_Je visitais New-York avec mon frère. Nous devions rejoindre notre père, mais on a pris un peu de retard. On a emprunté des petites ruelles pour aller plus vite, et puis on s’est fait sauter dessus par deux types assez costauds. Avant que je puisse réagir, mon frère s’est fait assommer et ils ont fait pareil avec moi. Ça a été tellement rapide que j’ai dû attendre le lendemain avant de comprendre ce qu’il m’arrivait. On m’a drogué et je ne pouvais plus me servir de la magie jusqu’à ce que j’arrive en France et qu’on m’enferme au C.A.T.P. À partir de là, Chantal gardait une puissante emprise mentale sur moi et je n’ai jamais su pourquoi je m’étais fait enlever.
Mathias ponctua sa dernière phrase par un soupir. Alison gardait les yeux rivés au plafond, réfléchissant à tout cela. Contrairement à elle, il s’était fait kidnapper, droguer et avait passé plus d’un an séquestré. Si elle avait été à sa place, elle ne savait pas si elle serait toujours saine d’esprit.
_À ton tour, se reprit Mathias. Qu’est-ce qui est arrivé à tes parents ?
Alison frissonna en entendant sa question. Elle serra des poings et tenta de se détendre. Elle lui devait bien cette réponse. La jeune fille prit son courage à deux mains et se lança :
_Il y a un an, mon père est décédé à cause du cancer. Le dernier cadeau qu’il m’a offert est mon collier. Six mois plus tard, ma mère s’est pendue. C’est moi qui ai retrouvé son corps dans la cuisine. Depuis, j’ai été placé dans un orphelinat le temps de me trouver une famille d’accueil. Je n’avais pas d’autre famille que mes parents.
Sous le choc, Mathias se tut. Cette révélation le mit mal à l’aise, alors il se tourna vers Alison. Il vit une larme rouler silencieusement sur sa joue et il la cueillit avant qu’elle ne tombe sur l’oreiller. La jeune fille se tourna aussi vers lui et ils restèrent un moment à se regarder.
Cependant, une dernière question habitait toujours dans l’esprit de Mathias et il hésita à lui poser. Il se dit qu’il n’aurait peut-être plus jamais l’occasion de le faire, alors il se lança.
_Pourquoi tu étais à l’hôpital ?
Alison ferma les yeux et se mordit l’intérieur des joues. Elle attendait cette question depuis plusieurs minutes déjà et décida de lui répondre sincèrement.
_Il y a deux semaine, je n’ai plus supporté le poids de la mort de mes parents. Je n’avais plus rien, plus aucune famille ni d’amis. Ma seule volonté était de les rejoindre, alors j’ai tenté de me suicider.
Alison perdit le contrôle et éclata en sanglot. Ses souvenirs ressurgissaient tel un raz de marée et elle devait absolument l’évacuer.
N’y tenant plus, Mathias s’approcha et la prit dans ses bras. En réalité, Alison avait terriblement besoin d’affection. Ses pleurs redoublèrent et elle se lova contre son torse. Il augmenta doucement sa chaleur corporelle pour l’y envelopper et la rassurer.
En fin de compte, Mathias s’était attaché à elle. Il ne savait pas comment, mais tout ce qu’il espérait c’était que ce soit réciproque. Il la serra dans ses bras et posa sa tête contre la sienne.
Peu à peu, Alison se calma et réussit à réguler sa respiration. Elle ne voulait plus bouger, car le cocon de chaleur dans lequel Mathias les avait enveloppé était bienfaisant et rassurant.
Ou alors, se dit-elle, j’aime être dans ses bras.
Alison sourit en pensant cela. Elle avait eu du mal à se l’avouer, mais elle s’était prise d’affection pour lui. Malgré ses piques, son ton moqueur et sa fâcheuse habitude à la mettre hors d’elle, la jeune fille commençait à l’apprécier. Son esprit continua à vagabonder, puis le sommeil l’emporta, toujours lovée dans les bras de Mathias qui resserra son étreinte avant de s’endormir à son tour.

Five 💫Where stories live. Discover now