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Pour la dixième fois, Alison se réveilla en hurlant de terreur. Elle sentait encore les mains du garçon brun lui enserrer le cou et l'étrangler avec une lueur de folie dans les yeux. Elle revoyait la scène encore et encore, sans pouvoir rien n'y faire. Son esprit était concentré sur le jeune homme, sur son visage, son expression de rage et de douleur...
De douleur ? Alison secoua la tête. C'était elle qui avait souffert, et lui qui avait été son bourreau. La tête lui tournait et elle reprit son souffle, un poids encore lourd sur la poitrine.
Qu'allait-elle faire ? Descendre prendre son petit déjeuner comme si de rien était ? Cela lui était impossible, elle ne pourrait pas croiser le regard du garçon sans défaillir.
Soudain, une pensée s'insinua en elle comme un poison. Et si elle l'avait tué ?
Alison revit l'éclair le projeter contre la porte de la cabine, et son corps fumant parmi les débris... Elle avait détalé sans s'assurer qu'il était vivant. De plus, quelqu'un avait dû s'apercevoir des dégâts causés et retrouver son corps...
Angoissée, elle jeta un coup d'œil à la porte. Personne ne semblait avoir voulu entrer, la chaise était toujours en place et rien n'indiquait qu'on avait voulu forcer. Un soupir de soulagement sortit de sa bouche, mais le poids de sa poitrine continuait à s'alourdir. Le simple fait de se dire qu'elle avait ôté la vie d'une personne lui donnait envie de vomir.
C'était de la légitime défense, tenta de se rassurer l'adolescente, je n'ai fait que me protéger.
Cette pensée ne suffit pas à alléger sa culpabilité, bien que la sensation des doigts autour de son cou soit toujours présente.
Elle s'assit au bord de son lit et regarda l'heure, il était sept heures trente. Personne n'était encore venu la chercher, et elle ne doutait pas que dans moins d'une heure une infirmière toquerait à sa porte pour s'assurer que tout allait bien.
Elle se leva en titubant, encore ensommeillée et fatiguée de la nuit qu'elle venait de passer. Elle fit son lit avec application, comme tous les matins, et s'assit dessus une fois terminé. Elle avait encore trop peur de déverrouiller la porte.
Instinctivement, elle porta la main à sa poitrine. Elle n'avait pas retiré son collier, et le bijou pendait toujours à son cou, aussi froid que la glace. Elle ne voulait pas l'enlever, car avec lui elle se sentait plus en sécurité. Les mots de son père prenaient maintenant tout leur sens : « Il te protégera ».
Oui, ce pendentif l'avait aidé à repousser son agresseur. Il avait émis une lumière si intense qu'il en avait été éblouis, mais au fond d'elle, elle savait que l'éclair ne venait pas lui. Il provenait d'elle. Au moment où il était apparu, son sang s'était mis à chauffer et elle avait senti une force incontrôlable l'envahir. Peut-être que c'était son collier qui avait déclenché ce changement, mais la chose avait bien surgit du tréfonds de son être. C'était comme s'il avait désamorcé une bombe au fond d'elle, et maintenant elle était prête à exploser à tout moment, encore une fois.
Tous ces événements étranges n'auguraient rien de bon, Alison le savait. Au-delà du drame qui avait déclenché ses pouvoirs, elle se sentait excitée. Excitée et curieuse. En réalité, elle s'était toujours sentie à part. Dans son enfance, elle avait toujours été une petite fille solitaire et possédait très peu d'amis. Maintenant, elle se posait mille questions, auxquelles elle n'aurait certainement jamais de réponses. Son père était mort en les emportant dans sa tombe, et sa mère avait fait de même.
La jeune fille soupira en repensant à ses souvenirs. Il y a deux ans, jamais elle n'aurait pensé en arriver là. Et pourtant, elle y est. Il fallait qu'elle s'en sorte.
Pour la première fois depuis des mois, elle sentit l'espoir renaître en elle. Elle voulait savoir d'où provenait sa force, et pourquoi son collier avait quelque chose d'aussi spécial.
Mais tout d'abord, il fallait qu'elle sorte d'ici. Cet endroit n'était pas fait pour elle, en moins d'une soirée elle avait été agressée et étranglée par quelqu'un, et avait failli y rester. C'était grâce à son collier qu'elle avait survécu, son collier et l'énergie incroyable qui s'était déchaînée.
Elle regarda son portable : Il était huit heures. Dans peu de temps, quelqu'un viendra la voir pour lui sommer de venir prendre son petit déjeuner. Ou pour l'envoyer en prison.
Elle chassa cette idée aussi vite qu'elle était venue. En son for intérieur, Alison savait qu'il n'était pas mort, elle ne l'avait pas tué. C'était impensable, elle devait se faire une raison. Elle l'avait simplement un peu plus qu'assommé.
Il y avait au moins une chose dont elle était sûre, c'était que le garçon n'était pas allé la dénoncer à Chantal, puisque c'était lui qui l'avait agressé en premier. Elle n'aurait pas de problème de ce côté, à moins que...
_Et s'il mentait en disant que c'est moi qui l'ai agressé ? Paniqua la jeune fille.
Les mots étaient sortis de sa bouche tellement la peur lui tordait le ventre. Elle se leva et arpenta la pièce.
Néanmoins, elle se reprit vite. À y réfléchir, cette version n'était pas crédible, pas avec son gabarit. Elle pourrait presque en rire s'il allait raconter cette histoire ridicule.
Maintenant, elle devait réfléchir à un moyen de s'en aller, d'évasion, elle avait besoin de...
Marie.
Cette évidence la frappa de plein fouet. Elle avait besoin de son infirmière – ex-infirmière – pour s'en sortir. Elle seule pouvait l'aider.
Son cœur se serra en pensant à elle. Elle avait été si désagréable, si irrespectueuse, qu'elle en eut la nausée. La culpabilité vint se frotter à elle, et glissa doucement pour venir se loger au creux de sa poitrine. C'était un nouveau poids à porter.
Est-ce qu'elle reviendra la voir ? Elle lui avait dit qu'elle essaierait, et même si elle tenait sa promesse, Chantal serait un problème.
La harpie s'était montrée si grossière lors de son départ que la jeune fille se demandait si elle laisserait l'infirmière s'approcher d'elle.
D'ailleurs, où étaient-elles les infirmières, ici ? Alison n'avait croisé aucun adulte, à part Chantal, depuis son arrivée. Elle ne gérait pas tout l'hôpital toute seule, tout de même ? C'était très étrange.
En tout cas, son infirmière à elle, lui manquait. Toutes ces mimiques, ses petites attentions... Alison ne se rendait pas compte à quel point cela l'avait touché.
*Toc* *Toc* *Toc*
Ses pensées furent interrompues par un bruit de porte. Elle mit quelques secondes à se rendre compte que quelqu'un toquait. Les coups redoublèrent d'ardeur et elle se dépêcha de retirer la chaise avant que la personne n'entre sans y être invitée. La jeune fille eut juste le temps de prendre un air ensommeillé avant que la porte ne s'ouvre brutalement.
_Sois au premier étage dans cinq minutes, siffla Chantal entre ses dents.
Alison n'eut même pas le temps d'ouvrir la bouche qu'elle avait déjà disparu. Elle referma la porte en soufflant d'inquiétude. Elle n'avait pas besoin de comprendre que son rendez-vous était en rapport avec l'incident d'hier soir.
La jeune fille s'assit pour réfléchir. Si elle n'y allait pas, cette fichue harpie reviendrait la chercher et elle passerait un sale quart d'heure. Elle n'avait pas le choix.
D'un autre côté, elle n'avait pas le courage de descendre et d'affronter son regard. Elle ne voulait pas voir ses yeux bleus s'emplir de colère et de vengeance.
Sa gorge se noua et elle avala sa salive avec difficulté. D'un mouvement de tête, elle se remit les idées en place et se dépêcha de s'habiller.
L'adolescente prit ce qu'elle avait sous la main, c'est-à-dire ses vêtements d'hier. Ils étaient sales, mais elle s'en fichait et c'était bien la dernière chose dont elle allait se soucier en ce moment.
Elle fourra son portable dans la poche de son jean et sortit sans précipitation. La peur lui tordait toujours le ventre lorsque l'ascenseur l'emmena vers son procès. Elle n'entendit pas le « Bip » sonore habituel quand les portes s'ouvrirent, ce qui la tracassa encore plus.
Elle fit un pas et s'arrêta net. À sa gauche, tous les adolescents étaient alignés en deux rangées distinct. Sans le vouloir, son regard le chercha et elle le vit.
Il était debout et se tenait droit dans la première rangée. Sa lèvre était fendue et il avait une coupure au menton et au front.
Son regard rencontra le sien et elle tressaillit. Il n'y avait plus la même folie qu'hier, mais il y brillait toujours autant d'ardeur.
Il la toisa d'un air sombre et elle n'osa pas bouger. Ses muscles étaient tendus, mais son corps ne lui répondait plus. Il refusait de bouger de peur qu'à tout instant le garçon ne se jette sur lui.
_Va te mettre en place, Alison.
Une voix résonna derrière elle et son collier se remit à chauffer. Elle n'eut pas besoin de se retourner pour savoir que c'était Chantal qui lui avait donné cet ordre.
Sans un mot, la jeune fille alla se placer dans la deuxième rangée, aussi loin que possible de son agresseur. Elle releva la tête et vit qu'il la fixait toujours, et elle détourna les yeux aussi vite que possible.
_Bien, commença Chantal d'une voix forte. Maintenant que tout le monde est là, nous pouvons commencer. Hier, peu après vingt heures trente, j'ai retrouvé la porte d'une cabine de douche détruite. Il n'en restait que des débris.
Elle promena son regard sur la petite foule d'adolescents.
_Qui a fait ça ?
Personne ne répondit. Tout le monde avait la tête baissée et les mains derrière le dos.
_Jamais, je dis bien jamais d'incident ne s'était produit dans cet établissement. Jusqu'à hier soir.
Jusqu'à ce que j'arrive, rectifia Alison dans sa tête.
Elle savait que Chantal pensait exactement la même chose.
_Cela ne doit jamais se reproduire. Est-ce clair ?
Personne ne réagit.
_Que le coupable s'avance, termina-t-elle.
Aucune réaction de ses auditeurs ne vint accompagner ses dernières paroles. Son regard parcourut chacun des adolescents présents, mais il s'attarda sur Alison. Celle-ci ne flancha pas et ne détourna pas les yeux. Si elle le faisait, cela serait évident que c'était elle qui avait fait tout cela. C'était comme avancer au milieu de tous et hurler sa faute.
Soudain, une voix timide rompit le silence tendu, et Alison se tourna vers son origine pour voir de qui il s'agissait. Elle reconnut aisément la jeune fille qu'elle avait croisé dans l'ascenseur avant de prendre sa douche.
_J'ai croisé Alison, hier, dit-elle. Elle allait prendre sa douche et il était vingt heures, c'était la dernière.
Cela lui coupa le souffle. Alison écarquilla les yeux, en proie à un profond malaise. Comment allait-elle faire pour se sortir de cette situation ?
_Ce... Ce n'est pas moi qui ai fait ça, réussit-elle à bafouiller au bout de plusieurs secondes.
Un sourire victorieux se dessina sur les lèvres de Chantal, qui s'avançait lentement vers elle. L'adolescente retint son souffle, attendant qu'elle prononce sa sentence. Elle ouvrit la bouche, mais fut coupée dans son élan par une voix masculine provenant du premier rang :
_C'est moi.
La harpie se tourna et écarquilla les yeux, surprise.
_Tu me déçois beaucoup, Mathias.
Ne comprenant pas ce qu'il venait de se passer, Alison se tourna à son tour vers son sauveur. Son cœur rata un battement lorsqu'elle s'aperçut que c'était lui. Elle n'en revenait pas. D'abord, il tentait de l'assassiner, et maintenant, il prenait sa défense ? Cela n'avait aucun sens. Plus rien n'avait de sens dans sa vie.
Mathias se contenta de hocher la tête, tout en la fixant. Aucune émotion n'émanait de lui.
Chantal semblait déstabilisée. Elle savait que c'était elle qui avait fait tous ces dégâts, mais l'aveu du garçon la prenait au dépourvu.
_Suis-moi dans mon bureau, finit-elle par dire.
Puis elle s'adressa à l'ensemble des adolescents :
_Et vous, retournez dans votre chambre !
Ils ne se firent pas prier et ils détalèrent aussi vite qu'ils le purent. La jeune fille, elle, ne se pressa pas et marcha d'un pas lent jusqu'à l'ascenseur. Elle était encore sous le choque et n'osait pas lever le regard de ses pieds. Pourtant, lorsque les portes s'ouvrirent, elle jeta un regard au jeune homme. Il la regardait toujours, mais avec une expression beaucoup plus différente. Elle semblait lire de la culpabilité dans ses yeux, aussi fou que cela puisse paraître.
Sans plus attendre, elle entra avant que l'ascenseur ne se referme. Dorénavant, il n'y avait plus que Marie pour la sauver.
Elle se précipita dans sa chambre et l'attendit toute la journée. Chantal ne vint même pas la chercher lorsque l'heure du déjeuner sonna, et elle en fut ravie. Toutes ses pensées étaient maintenant tournées vers son seul espoir de sortir d'ici, mais aussi vers un garçon nommé Mathias.
Elle se demandait encore et encore pourquoi il avait fait ça. En tout cas, s'il pensait se racheter, c'était raté. Rien ne pourra jamais lui faire oublier qu'il a tenté de la tuer. Rien.
_Qu'il aille se faire foutre ! Cria-t-elle, en colère.
Elle était en colère contre lui, contre Chantal, contre elle-même et contre Marie qui n'arrivait pas. Cela faisait des heures qu'elle l'attendait et elle ne donnait aucun signe de vie. Peut-être qu'elle ne viendra jamais ?
Alison repoussa cette pensée, nerveuse. Elle avait dit qu'elle le ferait, alors elle viendra. Il était dix-huit heures, elle pouvait encore venir. Elle ne pouvait pas la laisser tomber comme cela. C'était impossible.
Des petits coups à la porte stoppèrent ses pensées. Elle se leva et ouvrit avant que Chantal ne le fasse brutalement.
Sauf que ce n'était pas Chantal. C'était Mathias.
Elle voulut lui claquer la porte au visage, mais il la bloqua avec son pied.
_Va-t-en ! Cria-t-elle, au bord de l'hystérie. Dégage !
Son cri s'était transformé en un couinement tellement la peur lui tordait les tripes.
_Je t'en prie, laisse-moi entrer...
_Non ! Casse-toi !
Elle essaya vainement de refermer la porte, mais il la repoussa d'un geste brusque et la jeune fille fut projetée par terre. Mathias, quant à lui, prit la chaise et s'en servit pour bloquer la porte.
Alison vit la scène d'hier se dérouler à nouveau sous ses yeux et se releva pour fuir au bout de la pièce. Mathias la regardait d'un air désolé et s'avança.

Five 💫Où les histoires vivent. Découvrez maintenant