XIV

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Dès qu’ils furent dehors, Mathias lui lâcha la main et il se planta en face d’elle.
_Comme je te l’ai dit, chaque personne dotée d’un Élément bénéficie d’une vitesse décuplée.
Alison voyait où il venait en venir.
_Tu veux m’apprendre à utiliser cet atout ?
Mathias sourit.
_À vrai dire, je n’en ai pas besoin, tu y arrives déjà très bien toute seule.
_Comment ça ?
La jeune fille était perdue. Elle n’avait pas le souvenir de s’être déjà déplacée à une vitesse surhumaine. Elle fit signe à Mathias de s’expliquer.
_Hier, quand on était tout les deux, je me déplaçais de cette manière pour te pousser à faire pareil, et ça a marché. Tu ne t’en ai même pas aperçue, ce qui est normal pour un début, car notre rapidité est naturelle.
Ça explique pas mal de choses, pensa Alison.
_Je ne sais même pas comment j’ai fait, se reprit-elle. Où veux-tu qu’on aille ?
_Il suffit juste que tu le veuilles, expliqua Mathias. C’est naturel.
Il lui prit le bras.
_Laisse-moi te guider.
Il commença à courir et Alison se laissa emporter. Elle suivit sa cadence, et au bout de quelques secondes elle se sentit aussi légère qu’une plume. C’était très subtil, car elle avait l’impression de courir à une vitesse normale. Seul le fouettement de l’air sur son visage et son sentiment de légèreté lui indiquait que sa vitesse était tout sauf humaine.
Elle se laissait guider par Mathias, zigzagant entre les piétons et les voitures, qui devaient croire à une illusion d’optique en voyant deux silhouettes floues sur leur passage.
Peu à peu, la circulation se fit moins dense et les passants quittèrent les trottoirs. Mathias la conduisait en dehors de la ville. Au bout de quelques minutes, ils se retrouvèrent en plein milieu d’un champ, avec la campagne à perte de vue. Quelques poteaux électriques et des bottes de foin décoraient le paysage, mais rien de plus.
Essoufflée, Alison se laissa tomber à terre lorsque Mathias la lâcha.
_Donc... Fit-elle en reprenant son souffle, c’est l’endroit que je suis censée adorer ? Un champ boueux ?
Mathias éclata de rire, moins essoufflé qu’elle.
_Ce n’est pas le paysage qui est important ! C’est ce que nous allons faire.
Il l’aida à se relever pendant qu’elle demandait :
_Ce que nous allons faire ?
Elle fronça les sourcils devant son air mystérieux. Euphorique, Mathias s’écarta de quelques pas et étendit les bras pour lui présenter l’immensité de la campagne.
_Il nous fallait une grande étendue, pas fréquentée et sans obstacles !
Alison mit ses poings sur les hanches, excédée.
_Tu vas me dire ce qu’on va faire ou pas ? S’impatienta-t-elle.
Mathias attendit quelques secondes encore, puis annonça :
_Je vais t’apprendre à... voler !
Le son de sa voix résonna quelques secondes, puis s’estompa. Un large sourire illumina le visage d’Alison et elle poussa un petit cri de joie.
À nouveau, ils se comportaient comme des enfants. Mathias accouru vers elle et lui prit les mains.
_Il faut que tu sois calmes, lui expliqua-t-il. L’Air t’obéit, c’est une question de volonté. Tu dois contrôler tes pensées et tes intentions, car ton Élément se base sur ça. Ferme les yeux et rejoins-moi dès que tu es prête !
C’est sur ces derniers mots que ses pieds se détachèrent du sol et qu’il s’envola. Une bourrasque de vent vint lui ébouriffer les cheveux et il lâcha les mains d’Alison qui était restée sur la terre ferme.
_Je ne sais pas comment faire ! S’écria-t-elle en le voyant s’éloigner.
_Reste calme et commande ! Cria Mathias en faisant une pirouette. Ne te dis pas que c’est impossible ou tu n’y arriveras pas.
Alison fit ce qu’il lui disait et ferma les yeux.
Concentre-toi, se dit-elle. Tu vas y arriver. C’est possible. Je peux voler.
Elle resta quelques secondes ainsi, mais rien ne se passa. Alison se concentra davantage, mais ses pieds étaient toujours dans la boue. Elle rouvrit les yeux et regarda Mathias d’un air défaitiste.
_Fais appel à l’Air ! Lui ordonna-t-il.
Agacée, Alison ferma les yeux et se concentra de nouveau. Elle imagina le vent lui balayer les cheveux, l’Air qui la soulevait et ses pieds qui quittaient le sol. Au bout d’un moment, elle se dit qu’elle l’imaginait tellement bien qu’elle avait l’impression que c’était réel.
Surprise, Alison rouvrit les yeux et regarda par terre. Ses pieds étaient au moins à un mètre du sol !
La jeune fille poussa un cri et tomba. Elle ne réussit pas à se rattraper et s’étala dans la boue. Mathias éclata de rire tout en venant l’aider à se relever.
_Je n’ai pas besoin de ton aide ! Vociféra Alison en le repoussant.
_Tu ressors les griffes à ce que je vois, la taquina Mathias, dis plutôt que tu as honte d’être dans la boue devant moi !
La jeune fille se releva tant bien que mal et le toisa d’un air féroce. Mathias leva les bras en signe de paix.
_C’était pas mal pour une première fois, lui dit-il pour la calmer.
_Ah oui ? Fit-elle.
Mathias hocha la tête.
_Oui. La plupart d’entre nous mettent des heures à seulement s’envoler de quelques centimètres.
Retrouvant la bonne humeur, Alison sourit. Elle n’était pas aussi mauvaise que ça, après tout.
_On recommence ! S’écria-t-elle.
Mathias sourit à son tour et s’envola de nouveau. Cette fois, il resta près d’Alison et lui prit les mains pour l’aider à aller plus loin.
La jeune fille répéta la même opération et s’imagina décoller aux côtés de Mathias. En quelques secondes seulement, elle sentit ses pieds se soulever du sol et elle resserra la prise qu’elle avait sur lui.
_N’ai pas peur, la rassura-t-il. Ne te déconcentre pas.
Alison garda encore les yeux fermés pendant qu’ils s’envolaient plus haut. Jugeant qu’ils devaient être à une bonne hauteur, elle rouvrit les yeux et vacilla.
Ne te déconcentre pas, ne te déconcentre pas ! Se répéta-t-elle.
Elle était à dix mètres du sol. Sa vue se troubla et la peur reprit le dessus. La jeune fille hurla et Mathias la rattrapa lorsqu’elle chuta. Ils descendirent lentement jusqu’à la terre ferme et Alison reprit enfin contact avec le sol. Elle poussa un soupir de soulagement et remercia Mathias en bafouillant.
_On va procéder autrement, dit-il. On s’envolera en même temps et tu ne quitteras pas mon regard.
Alison acquiesça d’un signe de tête et ravala sa salive. Elle craignait que sa peur du vide ne reprenne le dessus à tout moment.
Mathias lui prit les mains et elle plongea son regard dans le sien. Ses yeux étaient magnifique, d’un bleu sombre tacheté de doré... Ils étaient d’un bleu nuit rare.
_Avant tout, ne panique pas. C’est ce qui te fera tomber. Une fois que tu auras compris, ça te paraîtra facile.
Alison sortit de sa contemplation et hocha la tête. Elle décolla à nouveau, et Mathias la suivit. À mesure qu’elle recommençait, cela lui devenait de plus en plus simple.
Petit à petit ils s’éloignèrent du sol, et Alison dut prendre sur elle pour ne pas regarder le vide. Elle vacilla à cette simple pensée, mais Mathias lui pressa les mains pour lui faire signe qu’elle ne craignait rien.
_Arrête-toi, lui ordonna-t-il.
Il s’immobilisa et elle fit de même.
_À quelle hauteur sommes-nous ? Demanda Alison, le cœur serré.
Mathias jeta un coup d’œil en bas et se contenta de dire :
_Ne me quitte pas des yeux.
Cette réponse la troubla, mais elle fit ce qu’il lui disait et continua de le fixer. Doucement, la pression de ses mains s’amenuisa.
_Je vais te lâcher, mais s’il se passe quelque chose je te rattraperais. Il ne faut pas avoir peur.
Une boule se forma dans la gorge de la jeune fille et elle hocha la tête, peu sûre d’elle. Mathias fit glisser ses mains et elle se retrouva suspendue dans les airs.
Ne le quitte pas des yeux, se rappela-t-elle.
Au fur et à mesure que s’égrainaient les secondes, sa peur se transforma en un sentiment d’euphorie.  Elle sourit pour montrer à Mathias qu’elle réussissait  à se contrôler et il le lui rendit, fier.
_Bravo ! La félicita-t-il en tapant des mains. Maintenant, viens vers moi.
Il s’écarta davantage et elle le suivit en vacillant. Son regard était toujours scotché au sien et elle lui attrapa le bras quand elle fut assez proche.
_Tu es douée ! S’exclama Mathias en la tenant. Je pense que tu n’as plus besoin de moi !
Il s’écarta à toute vitesse et s’éleva au-dessus d’elle.
_Attends ! Cria Alison, soudain perdue.
Elle se força à se stabiliser et ne pas regarder dans le vide.
Tu contrôles maintenant, s’ordonna-t-elle.
Alison ferma les yeux et régula sa respiration. Elle était une Cooper et une Knight. L’Air lui obéissait. Elle savait voler. Elle ne risquait rien.
La jeune fille rouvrit les yeux, déterminée. Elle leva la tête et vit Mathias qui faisait des pirouettes tout en la regardant d’un air moqueur. Avec un sourire en coin, elle se propulsa à sa hauteur et le percuta de plein fouet. Mathias poussa un cri de surprise et elle le regarda chuter en explosant de rire. Il se rattrapa à dix mètres du sol et la regarda furieusement.
Une minute. À dix mètres du sol ? Mais à quelle hauteur était-elle ?
Alison regarda le sol et vit trouble. Elle devait au moins être à vingt mètres. La panique reprit le dessus et elle tomba à son tour. La chute fut de courte durée puisque Mathias s’était précipité pour la rattraper.
_Tu fais moins la maligne ! Rit-il en s’élevant tandis qu’elle était dans ses bras.
Alison fit semblant de lui donner un coup de poing à l’épaule.
_J’ai été surprise par la hauteur, c’est tout ! Se défendit-elle.
_Alors je peux te lâcher ?
Elle n’eut pas le temps de répondre qu’il la laissa tomber. Tout d’abord terrifiée, Alison reprit vite le dessus et stoppa sa chute. Cela lui était venu tellement naturellement qu’elle en fut étonnée.
Je crois que j’ai pigé ! Se dit-elle fièrement.
Le sentiment de satisfaction passé, la colère réapparut. Elle se propulsa vers Mathias en hurlant :
_Espèce d’idiot ! J’aurais pu mourir !
Elle s’immobilisa à quelques centimètres de son visage, les joues rouges et les sourcils froncés.
_Je savais que tu allais réussir à te contrôler ! Expliqua-t-il. Et si j’avais vu que tu n’y arrivais pas, j’aurais plonger pour venir te chercher.
_Tu as quand même faillit me tuer ! S’entêta Alison, toujours fulminante.
Mathias leva les yeux au ciel d’un air excédé et elle plissa les yeux, menaçante.
_Tu es insupportable ! Lui cria-t-elle.
_Et toi tu es trop susceptible ! Répliqua Mathias.
Elle mit les mains sur les hanches en relevant un sourcil.
_Je ne suis pas susceptible, c’est toi qui est trop énervant !
Ils se fixèrent sans rien dire pendant quelques secondes. Cette fois, c’était elle qui avait eu le dernier mot. Mathias soupira en se passant une main dans les cheveux.
_D’accord, je suis désolé de t’avoir lâché dans le vide. Ça te va ?
Alison sourit fièrement et releva la tête.
_Ça me va !
Elle s’apprêta à rajouter quelque chose, mais elle sentit une chaleur venant de sa poitrine. Elle mit un temps avant de comprendre que c’était son collier qui s’était mis à chauffer.
Paniquée, elle se mit à regarder autour d’elle. Son cœur loupa un battement quand elle vit une silhouette avancer à une vitesse surhumaine à travers le champs dans leur direction.
_Qu’est ce qu’il y a ? Demanda Mathias, voyant qu’elle n’allait pas bien.
_On a un problème ! Lui répondit Alison. Regarde !
Inquiet, il se tourna vers la direction qu’elle lui pointait.
_Merde ! Qui c’est ?
Elle ne savait pas pourquoi, mais Alison était certaine de savoir de qui il s’agissait. Elle le ressentait jusque dans ses tripes. Elle n’eut pas besoin de formuler sa pensée à voix haute, car Mathias l’avait comprise d’un simple regard.
_Tu crois que c’est possible ? Demanda-t-elle, tremblante.
Il la regarda, indécis. Il savait que Chantal userait de tous les moyens pour les retrouver.
_Ne prenons aucun risque.
Il lui saisit la main et l’emporta encore plus haut dans le ciel. L’air commença à se rafraîchir et les bourrasque de vent commencèrent à s’intensifier. Un peu plus et ils traverseraient les nuages. Alison commença à claquer des dents et vaciller.
_Mathias ? Je ne crois pas qu’on devrait aller si haut... Je commence à perdre les contrôle, il y a trop de vent !
Il ignora sa plainte et accéléra. Le froid lui mordait la peau et ses oreilles sifflaient. Son cœur tambourinait et son corps tremblait. Elle menaçait de tomber à tout moment. Elle tenta une deuxième fois de l’appeler :
_S’il te plaît, est-ce qu’on pourrait ralentir ? Je ne vais pas tenir longtemps !
Elle avait crié de toutes ses forces et tira sur son bras. Cette fois Mathias sembla l’avoir entendue et il ralentit. Ils perdirent de l’altitude, l’air se réchauffa peu à peu et Alison put reprendre son souffle et lâcher prise.
_Je suis désolé, s’excusa-t-il en se tournant vers elle. Je voulais mettre le plus de distance entre elle et nous avant de rentrer. Il ne faut pas qu’elle trouve l’appartement de Carol.
À peine eut-il finit sa phrase qu’un sifflement se fit entendre. Alison le reconnut et se jeta sur Mathias pour l’écarter. Une boule feu de la taille d’un ballon de basket la frôla, faisant roussir ses cheveux.
_Finalement, j’aime bien la hauteur ! Paniqua Alison.
Mathias ne se fit pas prier. Il lui prit la main et ils s’élevèrent encore plus haut que la dernière fois, dépassant les nuages. L’air glacial les mordit aussitôt, faisant claquer des dents et frissonner les deux adolescents. Ils évitèrent encore quelques boules de feu, puis tout se calma.
_On rentre ? Demanda Alison, frigorifiée.
_Oui, mais je nous fais faire un détour pour être sûr qu’elle ne nous suive pas.
Le collier de la jeune fille était toujours chaud, alors elle acquiesça. Elle ne tenait pas à recevoir une visite nocturne de la vieille harpie.
Pour mettre Chantal sur une fausse piste, Mathias fit un détour par Pont-l’Abbé et longea la côte jusqu’à Bénodet, une station balnéaire du Finistère. Une fois qu’il fut certain de l’avoir semer, il repartit vers le Nord, à Quimper. Ils volaient assez haut et assez vite pour se faire passer pour des volatiles.
Alison commença à fatiguer et sa tête commença à lui tourner. Mathias s’en rendit vite compte et lui jeta un coup d’œil.
_Nous sommes bientôt arrivés, lui dit-il. J’ai dû un peu trop longer la côte.
_Ce n’est pas grave, ce qui compte c’est que cette vieille femme ne nous suive pas jusque chez Carol.
Elle tenta de sourire pour le rassurer, mais elle grelotta. Elle poussa un long soupir de lassitude, et Mathias se passa une main dans les cheveux, gêné.
_Finalement, dit-il, nous n’aurions pas dû sortir.
Alison le fixa quelques instants.
_Je ne regrette rien, finit-elle par répondre. Rentrons avant que Marie ne fasse une crise cardiaque.
Mathias sourit en pensant à la jeune femme. Ils ne l’avaient pas prévenu de leur sortie et elle devait s’inquiéter de leur trop grande absence, cela faisait déjà trois heures.
Alison éternua et Mathias sortit de ses pensées. La jeune fille avait le nez rouge et tremblait de tous ses membres. Il retira sa veste avec hâte et lui tendit. Elle secoua la tête.
_Ça ira.
Mathias leva les yeux au ciel.
_Tu es gelée, dit-il. Ne t’en fais pas pour moi, le Feu me protège.
Ayant trop froid pour refuser une deuxième fois, elle prit la veste qu’il lui tendait et l’enfila le plus vite possible. Alison fut surprise par son immense chaleur et cessa bientôt de claquer des dents.
_Merci, soupira-t-elle.
Mathias haussa les épaules.
_Nous sommes à trop basse altitude, il ne vaut mieux pas tarder.
Jugeant qu’elle n’avait plus besoin de son appui, il ne lui prit pas le bras et s’éloigna en direction de la ville.
Alison sourit en secouant la tête et le suivit à toute allure. Voler lui était devenu aussi naturel que marcher et elle rattrapa vite Mathias. C’était une sensation qu’elle adorait et qu’elle n’oublierait jamais.

Five 💫Where stories live. Discover now