II

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Il pleuvait toujours lorsque Marie arriva chez elle, de retour à Quimper. Elle gara sa voiture sur le trottoir, mit fin à son vrombissement et sortit à la hâte. Elle courut jusqu'à la porte d'entrée et sortit les clés de son sac. La serrure cliqueta quand elle y fit tourner ses clés, et la porte grinça.
Tigrou, son chat, lui sauta dessus dès qu'elle fut au salon.
_Je suis contente de te voir aussi, lui dit-elle en s'installant sur son canapé.
Tigrou ronronna et s'installa sur ses genoux.
Marie l'avait recueilli alors qu'il errait seul dans une ruelle, encore chaton. N'écoutant que son cœur, elle l'avait ramené chez elle, et il n'était jamais repartit.
Tigrou miaula et sauta à terre d'un bond gracieux. Il arracha néanmoins un cri à sa maîtresse, puisqu'il était parti en sortant ses griffes.
_Tigrou ! Mais qu'est-ce qu'il te prend ?
Il miaula et partit se réfugier à l'étage. Marie sut vite pourquoi il avait réagit comme cela, puisque la sonnette retentit quelques secondes plus tard.
_Mais qui cela peut être à cette heure-ci ? Maugréa la jeune infirmière en se levant.
Il était presque vingt heures, et elle n'avait pas le cœur à accueillir qui que ce soit. Abandonner Alison lui pesait encore très lourd.
Elle traversa le salon et se planta devant la porte d'entrée. Hésitante, elle finit par ouvrir, mais le regretta aussitôt.
Pas lui ! Pensa-t-elle immédiatement..
Marshall se tenait là, trempé de la tête aux pieds.
_Permettez-moi d'entrer, je vous en prie. Cette pluie va me noyer.
Ce ne serait pas un malheur, se dit la jeune femme.
Elle lui fit tout de même signe d'entrer, et le médecin ne se fit pas prier.
_Que faite-vous chez moi ? Demanda Marie une fois qu'il eut retiré sa veste.
_Je viens vous demander si le transfère de notre patiente s'est bien passé.
_Elle s'appelle Alison, et un coup de fil aurait suffit pour savoir cela, monsieur.
_Appelez-moi Marc.
Sa soudaine familiarité mit la jeune femme sur ses gardes. Quelque chose dans son comportement clochait, mais elle n'arrivait pas encore à discerner ce que cela pouvait être. Cela dit, elle acquiesça tout de même, pour ne pas paraître trop agressive.
_Marc, si vous le voulez. Le transfert d'Alison s'est correctement établi.
_Comment était-elle ?
_Elle n'a pas dit un mot, mais cela ne m'étonne pas.
_Bien.
Un silence gêné suivit cette dernière parole, mais Marie le rompit vite, désireuse qu'il s'en aille.
_Je crois que c'est tout. Bonne soirée, Marc.
_Attendez ! Dit celui-ci à la hâte.
L'infirmière haussa un sourcil, se demandant ce qu'il pouvait encore lui vouloir.
_En vérité, je suis surtout ici pour vous. Vous me plaisez beaucoup, Marie, et j'aimerais que notre relation dépasse le stade de simples collègues.
Stupéfaite, Marie se tut. Cet homme avait du culot de venir jusqu'à chez elle pour lui dire cela, juste après qu'il l'eut obligé d'emmener Alison à un centre psychiatrique dont il avait refusé de lui donner plus d'informations à son sujet. De plus, jamais il ne lui avait témoigné le moindre respect, et, pour autant qu'elle sache, c'était un homme marié.
_N'avez-vous pas une femme ? Lui demanda-t-elle.
_Elle m'a quitté il y a peu, et depuis je me sens très seul.
Le ton de sa phrase et son sous-entendu à peine masqué glacèrent le sang de Marie. Le regard du médecin se fit plus insistant, et elle répondit d'un ton sec et du plus assuré qu'elle pouvait :
_Je ne peux rien pour vous, docteur. Partez, maintenant.
_Comme vous le voudrez, Marie. Mais si un jour vous changez d'avis, je...
_Jamais je ne changerais d'avis. Bonne soirée.
Il ne répondit pas, se contentant de remettre sa veste et d'incliner la tête pour la saluer.
Marie ouvrit la porte et il disparut sous la pluie et le vent nocturne. Elle se dépêcha de la refermer et de la verrouiller à double tours. Sa respiration s'était accélérée et son cœur battait la chamade.
Cet homme lui avait fait peur, et elle était horrifiée que lui et ses intentions soient rentrés chez elle, alors qu'elle était sans défense.
Un miaulement l'extirpa de ses pensées, et Tigrou se frotta à sa jambe, venant quérir un câlin.
_Te revoilà, murmura Marie en le prenant dans ses bras.
Il se lova contre elle.
_Il faut que j'arrête de penser au pire.
Seul un miaulement lui répondit.
_Marshall n'aurait jamais tenté quoi que ce soit.
Cette fois, ce fut un miaulement qu'elle entendit.
_Et peut-être qu'il n'a jamais voulu quoi que ce soit aussi.
Elle essayait de se rassurer autant qu'elle le pouvait, mais la peur lui nouait toujours le ventre. De plus, au fond d'elle, elle savait que ses craintes étaient fondées.
Marie soupira. Laisser Alison au C.A.T.P l'avait bouleversé plus qu'elle ne voulait le croire. En réalité, elle n'avait pas confiance en ce centre, car elle n'en avait jamais entendu parler jusque-là.
Le jour où Marshall lui avait annoncé qu'il enverrait Alison là-bas, elle lui avait dit que jamais elle n'avait entendu parler de cet endroit, et qu'ils n'y avaient jamais envoyés d'autres adolescents. Marshall lui avait simplement donné l'adresse et dit qu'elle devait se contenter de l'y emmener.
L'infirmière n'avait pas insisté, et aujourd'hui elle le regrettait. Elle avait juste tenter de faire changer le médecin d'avis, sans chercher davantage d'informations.
La culpabilité l'envahit. Elle se promit que, dès demain, elle essaierait d'en savoir plus sur le C.A.T.P. Son instinct lui soufflait que quelque chose n'allait pas, et qu'elle devait s'assurer qu'Alison était en sécurité.
Elle fulmina de ne pouvoir rien faire à l'instant, mais elle devait être patiente, même si cela n'était pas son point fort.
Tigrou sentit sa tension grandissante, et miaula de plus bel. Il frotta sa tête contre le cou de sa maîtresse, puis ronronna.
_Mon petit chat, soupira celle-ci. Il n'y a que toi pour m'apaiser.
Tigrou poussa un nouveau miaulement, et son ventre gargouilla.
_Je vais te donner à manger.
Marie se dirigea vers la cuisine, son chat toujours dans ses bras. Elle ouvrit un placard et en sortit ses croquettes.
Sentant sa nourriture, Tigrou sauta à terre et tourna autour de sa gamelle avec impatience. Marie se baissa et les lui versa, puis il se jeta dessus avec avidité.
_Bon chat, sourit Marie.
Elle se releva et vit, à la fenêtre de sa cuisine, un homme qui la fixait.
Son sang se glaça d'effroi et elle poussa un hurlement de terreur. Le paquet de croquettes qu'elle n'avait pas refermé lui glissa des mains et se renversa, son contenu entièrement étaler sur le sol de sa cuisine.
Elle n'eut pas le temps de faire un mouvement de plus que le visage disparut. La jeune femme se dépêcha de tirer les rideaux, les mains tremblantes et le cœur battant à tout rompre. Elle ne semblait pas se remettre de la terreur qu'elle venait d'avoir, et une goutte de sueur perla sur son front.
Après la visite de Marshall et ce voyeur, Marie n'aura plus l'esprit tranquille avant un moment. Elle n'avait pas reconnu son visage, mais elle n'excluait pas la possibilité que ce fut Marshall qui n'avait pas voulu partir.
_Cet homme est fou ! S'égosilla Marie.
Cherchant son chat du regard, elle se rendit compte que celui-ci avait prit peur quand elle avait poussé son hurlement. Le pauvre était parti se réfugier sous le canapé, tout tremblant. Malgré ses mots doux et l'appât des croquettes, Marie mit au moins dix bonnes minutes à le faire sortir de là.
_Pardonne-moi, cette soirée est une catastrophe, lui-dit-elle quand elle l'eut enfin dans ses bras.
Tigrou ronronna sous ses caresses et elle le reposa à côté de sa gamelle, mais celui-ci fut plus attiré par le sac de croquettes répandu par terre.
_Tu peux toujours rêver ! S'exclama Marie en le repoussant.
Elle se dépêcha de le repousser et de tout nettoyer. Tigrou poussa un miaulement de désaccord, mais finit par manger ce qu'il avait dans sa gamelle.
Un soupir s'échappa des lèvres de la jeune femme. Jamais elle n'aurait imaginé être dans une situation pareille, avec Marc sur le dos. Elle devra redoubler de prudence lorsqu'elle fera des recherches sur le C.A.T.P, car elle n'avait pas envie d'attirer un peu plus l'attention de Marc sur elle.
En réalité, ce qu'elle redoutait le plus, c'est qu'au final ce centre pour adolescent n'ait rien à cacher. Peut-être que s'était égoïste, mais elle ne supportait pas de savoir Alison seule dans cet endroit, avec la vieille harpie qui plus est. Quelque chose clochait avec ce centre, elle en était certaine.
Interrompant ses pensées, la jeune femme alla s'installer confortablement sur son canapé. Elle prit la télécommande et zappa différentes chaînes jusqu'à tomber sur un documentaire assez intéressant, qui traitait sur le réchauffement climatique. Marie en fut tellement absorbée qu'elle ne remarqua pas le courant d'air qui venait de refroidir l'étage, et qui vint doucement recouvrir le rez-de-chaussé. Emmitouflée dans sa couverture, elle était simplement dans un cocon de chaleur, l'esprit rivé sur sa télé.
Vers vingt-trois heures trente, le documentaire prit fin et Marie s'était assoupie en position fœtale, la télécommande dans une main et son téléphone dans l'autre.
Un craquement se fit entendre à l'étage, et Tigrou feula. Il sauta sur le canapé et se frotta contre la tête de sa maîtresse pour tenter de la réveiller. Celle-ci grommela et entrouvrit les yeux, sans comprendre ce qui pouvait bien se frotter contre elle.
Marie vit Tigrou, complètement apeuré, qui tentait de trouver refuge auprès d'elle.
_Qu'est-ce que tu as encore ? Lui demanda-t-elle.
Même si elle savait pertinemment qu'elle n'aurait jamais de réponse de la part de son chat, elle ne pouvait pas s'empêcher de lui parler, comme font quatre-vingt-dix pourcents des gens qui ont des animaux.
_Je suis trop fatiguée pour monter me coucher là-haut, continua-t-elle, alors laisse-moi dormir.
Tigrou miaula de plus bel et se lova contre elle pour trouver du réconfort.
Marie soupira et un sourire étira tout de même ses lèvres. Elle régla l'alarme de son téléphone à six heures trente, puis reposa sa tête contre l'oreiller.
Elle eut du mal à trouver le sommeil. Ses pensées étaient entièrement consacrées à Alison et la journée de demain, élaborant divers stratagèmes pour éviter Marc. Elle réfléchit aussi à la façon dont elle pourrait se renseigner sur le C.A.T.P sans paraître suspecte. Elle prit aussi la décision de rendre visite à Alison, et ce dès demain, quand elle aura fini son service.
L'esprit enfin apaiser d'avoir réfléchi à tout cela, l'infirmière put enfin s'envoler vers le royaume des rêves, sans remarquer la présence d'une personne qui se rapprochait d'elle.
Tigrou feula et déguerpit aussitôt. L'ombre qui se rapprochait de Marie était menaçante, mais elle ne lui ferait pas de mal, enfin pas directement, cette fois. L'infirmière était plongée dans un profond sommeil, ne réalisant pas qu'il avait en parti été provoqué par l'individu, et qu'elle avait été soumise à une étrange force.
L'homme s'agenouilla devant elle avec curiosité. Il toucha ses cheveux, sa joue et son épaule, sans qu'elle ne se réveille puisque c'était lui contrôlait son sommeil dorénavant. Il cessa finalement son attouchement, pour se concentrer sur son visage qu'il prit entre ses mains. Il rapprocha le sien et lui susurra à l'oreille :
_Tu vas passer la pire nuit de toute ta vie.
Un sourire démoniaque vint appuyer son propos, tandis que Marie commença à hurler, en proie au cauchemar le plus intense et le plus douloureux de sa vie.

Five 💫Où les histoires vivent. Découvrez maintenant