XXVIII

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Recroquevillée sur le sol froid de sa cage, Alison fulminait. Cela faisait déjà deux jours qu’elle se privait de nourriture et ne buvait que quelques gouttes d’eau. Son ventre criait famine à chaque minute et sa langue pâteuse l’empêchait de parler distinctement.
_Tyler ne devrait plus tarder, disait Lillie à chaque fois qu’elle lui tendait son bol de ragoût à contrecoeur.
Mais à chaque fois que le garde venait, c’était pour récupérer les bols vides. Son sourire carnassier s’étirait à chaque passage, comme si voir deux jeunes filles enchaînées lui procurait un plaisir malsain. Comme l’avait dit Lillie, il exhibait son trousseau de clé avec arrogance et cruauté.
Attend que je vienne te l’arracher, pensait Alison à chaque fois qu’il se pavanait devant sa cellule.
Lillie se retroussa les babines. Des pas se firent entendre, puis elle montra les crocs quand elle vit que c’était leur geôlier. Alison se contenta de lui jeter son regard le plus noir et de le fixer jusqu’à ce qu’il reparte.
_C’est la troisième fois en dix minutes, maugréa Lillie.
Alison garda le silence. Depuis la nuit dernière, cet homme ne lui inspirait plus seulement du dégoût mais aussi de la peur. Elle l’avait surpris en train de l’observer à travers les barreaux, tapis dans l’ombre, avec un sourire en coin.
_Alison ?
La jeune fille releva la tête et croisa le regard compatissant de Lillie.
_Ce n’est qu’un pervers. Les premières nuits il venait aussi m’observer la nuit, alors ne fais pas attention.
Elle se mordit la lèvre. Lorsqu’elle l’avait surpris en train de la fixer, Lillie s’était elle aussi réveillée à ce moment et avait poussé un grondement menaçant.
_Il ne me fait pas peur, mentit Alison. J’attends juste le moment où je pourrais lui arracher son fichu trousseau de clé de sa ceinture.
_C’est bien. Ce moment ne devrait plus tarder.
Alison ne savait plus si elle avait envie qu’il arrive si vite. Elle ramena ses genoux sous son menton, mais n’eut pas le temps de soupirer que le garde était de retour. Cette fois, il se planta devant sa cellule et plissa les yeux, comme s’il évaluait l’état de la jeune fille.
Viens me détacher, pria-t-elle finalement.
Elle voulait quitter ce cachot au plus vite. Se débarrasser de ses chaînes, sortir d’ici, fuir et rassurer Marie. Puis retrouver Mathias. Elle se jetterait dans ses bras et il la serrerait fort en lui promettant que plus jamais ça n’arrivera.
La jeune fille fit mine de fermer les yeux d’épuisement et cala sa tête sur ses genoux. Un tintement se fit entendre et elle retint son souffle. Son coeur sembla s’arrêter lorsqu’elle entendit la porte se déverrouiller et grincer.
_Lève-toi ! Aboya le garde en s’approchant.
Alison ne bougea pas d’un pouce. Cela pouvait passer pour de l’arrogance, mais en réalité elle était pétrifiée. Elle n’avait pas encore trouvé le moyen de l’assommer avec discrétion et efficacité. Elle pourrait aisément le foudroyer, mais cette méthode semblait bien trop bruyante.
Sans qu’elle ne s’y attende, il lui saisit le bras avec force et la souleva de sorte à ce qu’elle soit tout près de son visage. Soutenue ainsi, on pourrait croire qu’elle ne pesait pas plus qu’une plume. Dans l’ombre de sa cellule, Lillie gronda.
_T’es sourde ? Ou alors la drogue t’as trop ramollie, c’est ça sale chienne ?
Sous ses insultes et sa poigne, le ventre d’Alison se tordit de rage. Mais elle ne devait pas encore agir. Il devait tout d’abord la détacher. Elle joua la carte de la pauvre petite fille apeurée et le regarda d’un air terrifié. Un air qu’elle n’avait pas tant besoin de simuler, ceci dit.
_Tu fais bien d’avoir peur, lui susurra-t-il. Tyler n’est pas tendre avec ses prisonniers.
Son haleine fétide la fit grimacer et elle aurait tout donné pour pouvoir se boucher le nez. Mais elle n’en fit rien et attendit patiemment qu’il finisse de la menacer, tout en gardant son air horrifié. Les larmes lui montèrent même aux yeux, mais contrairement à ce qu’il pensait c’était des larmes de haine et non de peur qui coulaient sur ses joues.
_Aucune de tes larmes n’empêchera Tyler de faire ce qu’il veut de toi. Et quand il aura fini, ce sera mon tour. Sale chienne.
Cette fois, Alison ne put retenir ses mains de chauffer et se dépêcha de les plaquer contre le mur. Sa température corporelle augmenta néanmoins, et elle dut baisser les yeux pour pas que ce monstre ne remarque les flammes qui y brillaient. Il la lança durement sur le sol et la jeune fille frotta son bras endolori tandis qu’il empoignait sa cheville enchaînée. En un tour de main, il défit une clé de son trousseau et fit cliqueter la serrure de sa chaîne.
Lorsqu’elle retomba sur le sol, Alison voulut se redresser le plus vite possible mais son agresseur lui saisissait déjà la gorge. Ses mains glissèrent le long de son corps et elle eut l’impression d’étouffer.
_Alors, qu’est-ce que ça te fait d’être à ma merci ? D’être dépourvue de tes Éléments ? Je pourrais te faire n’importe quoi, Tyler ne s’en rendra même pas compte… Qu’est-ce que t’en dis, ma petite chienne ? On s’amuse un peu avant d’aller le voir ?
_Va te faire foutre ! Cracha Alison.
Un éclair aveuglant assortit à des flammes blanches sortit de ses paumes et son attaquant n’eut même pas le temps de crier. Il fut propulser jusqu’au plafond et la jeune fille entendit un craquement sinistre au moment de l’impact. Le corps désormais inerte retomba à plat sur le sol dans un bruit sourd, juste à ses pieds.
Haletante, Alison ne perdit pas un instant. Elle arracha le trousseau au cadavre fumant et se précipita devant la cellule de Lillie, qui ne semblait pas encore réaliser la réussite de la première partie de leur plan. Elle jeta un coup d’oeil à leur ancien geôlier, comme pour s’assurer qu’il était bien assommé. Non, pas assommé. Mort.
Les mains tremblantes, Alison commença à essayer toutes les clés qui glissaient sur ses doigts. Elle tressaillit, sentant encore les mains baladeuses du garde quelques instants plus tôt. Elle n’avait pas voulu le tuer, seulement l’assommer. Mais lorsqu’elle avait senti ses doigts s’introduire sous son sweat, une envie de meurtre l’avait saisi. Si... à cet instant, rien qu’une seconde, elle avait souhaité sa mort.
Mais pas de ma main... Je ne voulais pas qu’il meurt de ma main.
Ses éléments l’avaient fait pour elle. L’Air et le Feu s’étaient combinés pour lui venir en aide. Alison fit ce qu’elle put pour ravaler ses larmes, mais elles lui brouillèrent bientôt la vue. Voilà qu’en trois jours, elle avait peut-être commis son second meurtre. Elle était devenue une meurtrière.
_T’as fait ce qu’il fallait, lui dit Lillie en comprenant la cause de ses larmes. Bon sang, il allait te violer ! Reprend-toi, on a plus beaucoup de temps !
Alison serra les dents et s’essuya les yeux du revers de la manche. Ce n’était pas le moment de se laisser aller, elle en aurait tout le loisir une fois tirée d’affaire. D’un geste rageur, elle essaya la moitié des clés sans qu’une seule ne corresponde. Lillie la pressait et l’encourageait à chaque nouvel essai. L’espace d’une seconde, l’éventualité de la laisser là et de s’enfuir lui traversa l’esprit, mais la jeune fille balaya cette pensée d’un clignement des yeux. Lillie et elle avaient fait un pacte. Elle ne le briserait pas.
_Enfin ! Ne put-elle s’empêcher de crier lorsqu’une clé tourna finalement dans la serrure.
Alison ouvrit la grille de métal et se précipita à genoux vers Lillie pour examiner son collier. La serrure était très petite, alors la clé l’était tout autant. Après s’être saisie de la plus petite du trousseau, la jeune fille pria lorsqu’elle l’inséra. Lillie se pinça les lèvres et ferma les yeux lorsqu’elle sentit son collier céder. Avec précaution, Alison l’ouvrit en deux et dégagea le coup abîmé de la métamorphe, qui le tâta avec douceur.
_Comment tu te sens ?
Lillie ne répondit pas tout de suite, un sourire se formant dans le coin de ses lèvres.
_Libre.
_Ne perdons pas plus de temps.
Alison s’empressa de défaire les chaînes qui lui retenaient les mains et les pieds et l’aida à se relever. Chancelante, Lillie mit quelques instants avant de retrouver son équilibre.
_Tyler va s’impatienter, dit Alison. Comment sortons-nous d’ici ?
_Je vais me transformer, répondit Lillie. Une fois fait, tu pourras grimper sur mon dos et je nous sortirais d’ici en quelques bonds.
Je ne sais même pas monter à cheval… Fut la seule pensée qui traversa l’esprit de la jeune fille lorsque Lillie s’écarta d’elle.
_Tu devrais détourner les yeux, lui dit-elle alors qu’elle commençait à se convulser.
Alison obempéra et se détourna du corps tremblant de Lillie.
D’horribles plaintes mêlées à des rugissements s’élevèrent dans le sinistre cachot. Lillie poussait des cris inhumains, des cris d’animal. Une réelle bête sommeillait en elle, qui n’attendait que le bon moment pour surgir.
Malgré sa curiosité, Alison ne se retourna pas une fois. Elle entendait Lillie se tordre de douleur sur le sol froid de la cellule, et la jeune fille ne tenait pas à voir ce spectacle.
Son impatience et la peur d’être découverte avant de d’avoir pu fuir grandissaient. Elles étaient telles qu’elle ne se rendit pas tout de suite compte que les plaintes venaient de cesser. Lentement, Alison se tourna et n’en crut tout simplement pas ses yeux. Là, sur les lambeaux des haillons de Lillie, se dressait une majestueuse panthère des neiges qui était deux fois plus grosse que les bêtes normales. Son pelage blanc tâcheté de noir était immaculé, comme si les traces de crasse sur la peau de Lillie n’étaient qu’illusion dans cette fourrure. Dans ses yeux dorés étincelaient une lueur sauvage et ils détaillaient minutieusement la jeune fille qui n’osait pas bouger, taraudée par une question. Était-ce Lillie ou une bête sauvage qui se tenait devant elle ?
La réponse ne tarda pas. D’un bond, l’animal sortit de sa cage et planta ses yeux dans ceux d’Alison, toujours fascinée. Son ventre fit une embardée en contemplant la bête qu’était Lillie. Une magnifique bête, gigantesque, pleine de grâce et de beauté, et qui n’attendait qu’à être chevauchée.
Ne perdant pas plus de temps et faisant taire son angoisse, Alison s’approcha d’un pas résolu et caressa le poil doux. Un feulement la pria de se dépêcher et la jeune fille se mordit la lèvre avant de passer une jambe. La taille de la panthère ne lui facilita pas la tâche, mais elle fut enfin à son dos et l’animal ne perdit pas un instant. Lillie bondit en avant et Alison s’agrippa instinctivement au pelage en serrant les jambes. Elle sentait chaque muscle de l’animal se contracter. Elles passèrent devant le cadavre toujours fumant et la jeune fille y passa un dernier regard avant de se rendre compte d’une chose. Elle n’avait aucun regret.
La panthère bondit hors de la prison et atterrit sur des marches de pierre, qu’elle grimpa en quelques foulées seulement. La vivacité de l’animal rendait l’équilibre d’Alison presque impossible. Elle se cramponnait du mieux qu’elle pouvait, mais elle savait qu’à la moindre relâche elle basculerait et dégringolerait le long des marches, se brisant peut-être la nuque au passage.
Le félin déboucha sur un couloir sombre. Les murs étaient de pierre et il y était accroché des torches enflammées, illuminant un minimum l’espace restreint. Alison n’eut pas le temps de souffler que Lillie bondit à nouveau en avant. Un nouvel escalier leur fit face et elle le franchit aussi rapidement que le premier pour atterrir dans un endroit plus éclairé.
Des tapisseries ornaient les murs et des lustres en cristal pendaient au plafond. Le hall dans lequel elles avaient débouchées était immense… et rempli de gens qui s’affairaient de droite à gauche dans un brouhaha assourdissant. Alison contempla l’espace et comprit qu’elle se trouvait en réalité dans un ancien château.
Le silence se fit. Pendant un instant, toutes les paires d’yeux étaient tournées vers le félin et l’adolescente qui le chevauchait. Lillie poussa un rugissement sonore et en moins d’une seconde ce fut la panique. Ensuite, tout se passa très vite.
Des cris fusèrent, des plats furent renversés, Lillie bondit et une boule de feu fut évitée de justesse, roussissant les cheveux d’Alison au passage. La jeune fille eut le réflexe de riposter et une détonation sourde retentit. Son missile avait été évité et il avait ricoché sur un des pilier du hall, qui fut détruit sous le choc. Des débris volèrent dans tous les sens, balayant une dizaine de Cooper au passage. Lillie en esquiva un et reprit sa course folle. Elle se dirigea vers la porte massive au fond du hall, cernées par des gardes. Alison les foudroya sans ménagement et concentra son énergie pour une dernière boule de feu, censée détruire la porte pour leur ouvrir le chemin de la liberté.
La foudre se mêla au feu et la jeune fille libéra l’énergie dévastatrice, qui fusa sur la porte noire. Elle ne vit pas la silhouette se précipiter devant et ne se rendit compte de sa présence que lorsque Lillie s’arrêta. La porte n’avait pas bougé d’un centimètre. Pourtant, la boule de de feu était toujours là. Sauf qu’elle était en suspension. Des petits éclairs virevoltaient de ci et là et leur énergie enveloppait les flammes qui ne demandaient qu’à se répandre.
Tout était maintenu par un homme, les bras tendus devant la masse d’énergie. Alison ne pouvait pas distinguer son visage à travers, mais sa carrure imposante lui retourna l’estomac, qui avait déjà été bien mis à l’épreuve jusque là. Sous ses jambes, elle sentit la panthère trembler. Il n’y avait plus de doute sur l’identité de la personne qui se dressaient devant elles.
Sans un mot mais dans un cri de rage, Tyler leur renvoya la boule d’énergie. Malgré sa peur, Lillie réagit au quart de tour et bondit sur le côté. Alison n’eut pas le temps de s’agripper et bascula en plein dans la trajectoire de sa propre création. Ce fut tellement rapide que la jeune fille ne s’était même pas aperçu qu’elle tombait lorsqu’elle se la prit de plein fouet.
L’air quitta ses poumons avec violence. Le feu se propagea dans tout son corps, brûlant sa chair et ses os. Jamais elle n’avait ressentit une telle douleur. Elle avait la sensation de brûler vive, pourtant c’était elle qui avait créée cette chaleur, elle ne pouvait pas la consumer, elle en était certaine. Le feu remonta jusqu’à sa bouche, ses yeux, sa tête. Elle avait l’impression que de la lave s’infiltrait par tous ses pores et remplaçait son sang. Pas un cri ne sortait de sa bouche, elle était noyée par ce flot enflammé. Tout son corps brûlait, et son esprit avec.
Alison crut qu’elle ne pourrait jamais rien ressentir de pire, mais son coeur s’arrêta lorsque la foudre la frappa à son tour. Il redémarra suite à une autre décharge, et le corps à moitié calciné de la jeune fille se convulsa sous la répétition de ce cercle infernale. Elle mourrait. Encore et encore. Son corps entier tremblait, pris de soubresauts incessants. Il n’y avait pas plus pire que cette torture, elle voulait que cela cesse, que le feu qui la dévorait s’éteigne et qu’on la laisse mourir en paix.
Alors qu’elle était entre la vie et la mort, une dernière décharge, la plus puissante, la fit se convulser une dernière fois. Son esprit fut brusquement ramené dans son corps et le feu qui s’écoulait en elle sembla s’évaporer. La jeune fille reprit conscience peu à peu. Elle ne sentait plus aucun de ses membres, son corps entier avait été anesthésié. Ses oreilles sifflaient, elle n’entendait plus rien. Elle réussit cependant à ouvrir les yeux, péniblement mais sûrement. La première chose qu’elle vit fut les flammes qui dansaient en parfaite harmonie devant elle, et au milieu d’elle Tyler qui se tenait tel un démon sorti de l’enfer. Puis Lillie qui se tenait à quelques mètres et qui la regardait.
Alison voulut lui dire quelque chose, mais aucun son ne franchit ses lèvres. Son regard passa de la panthère à Tyler, qui s’avançait lentement vers elle, un sourire vicieux collé aux lèvres. Il ne fit pas attention à Lillie, qui recula. Son regard alla entre elle et la porte, toujours intact. Tyler était au-dessus d’elle, à présent. Alors, la jeune fille fit son choix.
Dans un dernier effort, elle leva son bras et lança une ultime boule de feu. Elle était beaucoup moins grosse que la précédente, mais assez puissante pour faire des dégâts. La foudre s’y joignit et ensemble elles percutèrent la porte et ouvrirent une brèche suffisamment grande pour y faire passer la panthère. Cette dernière lança un regard à Alison, qui rassembla ses dernières forces pour lui sourire. Lillie hésita, puis inclina la tête et s’enfuit.
Alors que la panthère disparaissait, Tyler, prit d’une rage soudaine, foudroya la jeune fille, qui sentit son coeur s’arrêter. La dernière chose qu’elle aperçut fut une main qui s’approchait de son visage, avec un symbole en tout point semblable avec son collier qui ornait son poignet. Enfin, son coeur cessa de battre, lui arrachant un dernier soubresaut.

Five 💫Where stories live. Discover now