Je n'avais jamais vu de véritables villes durant mon enfance, mis à part à travers une vitre, mais j'étais attristée par l'apparence délabrée des immeubles. Presque toutes les vitres étaient brisées, des débris et des meubles en morceaux encombraient les trottoirs. Néanmoins, je ne voyais pas l'ombre d'un survivant.
Les sentiments de culpabilité et de perte engendrées par mon détachement du groupe s'atténuaient au fur et à mesure que je progressais le long de la route, provoquant des petits nuages de poussière à chacun de mes pas.
J'étais tentée d'appeler et d'attendre qu'une personne, n'importe qui, me réponde, mais j'avais peur qu'il y ait des fondus ou que je ne reçoive aucune réponse.
Cependant, la seule destination envisageable était cette ville, c'était ce que tous pensaient, alors pourquoi elle semblait être une ville fantôme? Où étaient les blocardes du groupe B?
Je tournai à un coin de rue avec précaution lorsqu'un écho de voix me parvint. Je ne saurai dire quelle pouvait en être l'origine, ce qui me provoqua des légers frissons. Je continuai à avancer, me doutant que je marchai tout droit vers l'endroit où la voix provenait.
Je débouchai sur un carrefour et, de nouveau, des voix me parvinrent, plus proches et plus nettes. Je fis quelques pas en avant, pivotai la tête vers la gauche et découvris tout un groupe de survivants. Même à plus d'une dizaine de mètres, je pouvais aisément constater que leurs vêtements aux couleurs déteintes étaient troués par endroit. Certains étaient assis par terre, le dos contre le mur d'un immeuble et d'autres adoptaient un étrange pas rapide en direction d'une bifurcation à droite.
Je fronçai les sourcils, qu'est-ce qu'il y avait dans cette rue? Qu'est-ce qui pouvait les animer comme ça? Je pris une inspiration et repris ma marche vers les nombreuses personnes vautrées sur le sol, comme attendant que la mort vienne les prendre. Ils ne m'avaient pas encore remarquée et j'appréhendais leur réaction le moment venu — je devais avoir l'air en meilleure santé et état qu'eux.
Je passai devant une mère et ses deux enfants mais elle ne leva même pas les yeux vers moi, puis un homme d'âge mûr qui me regarda avec des yeux éteints. Malheureusement, alors que je continuais à me diriger vers la route à droite, on m'interpela. Une voix féminine abîmée par une trop grande consommation de cigarettes me héla et je ne pus l'éviter:
— Eh petite, attends un instant!
Je pilai nette, me raidis sans prendre la peine de me tourner, ce qui devait amplifier mon air coupable. Je la sentis se mouvoir nonchalamment vers moi. Du bout de ses doigts, elle décriva une tracée sur ma peau, de mon épaule droite à mon épaule gauche puis se plaça devant moi, un mètre nous séparant. La tension était électrique, et je n'osais pas esquisser le moindre geste — il n'y avait rien de plus dangereux qu'une personne n'ayant plus rien à perdre et j'étais persuadée que c'était le cas de cette femme.
Elle se mordit la lèvre inférieure, m'examinant de la tête aux pieds pour je ne savais quelle raison. J'en profitai pour l'observer furtivement à mon tour. Elle portait un treillis militaire et un débardeur grisâtre teinté de suie. Ses cheveux ébènes ébouriffés étaient coiffés en une tresse à présent désordonnée qui lui arrivait en bas de la poitrine. Sa pommette était barrée d'une cicatrice récente, encore rougie. Je lui donnai autour de la quarantaine, si ce n'était plus.
— T'es vachement propre pour une gamine, ricana-t-elle.
Je la contemplai avec incrédulité. J'étais moi aussi pleine de poussière et j'avais quelques égratignures, j'étais tout sauf propre.
— Tu caches quoi dans ton sac? Ça m'a l'air bien lourd.
Elle tendit une main vers mon sac à dos mais je pivotai brutalement d'un quart vers la droite. Elle releva la tête et me jeta un regard empli de dédain.
— Je vais me faire un sacré pactole avec toi, gamine. Il va être rudement content.
La femme m'attrapa le poignée avec une force que je ne lui soupçonnais pas. Je tentai de me dégager, de retirer sa main mais elle n'était pas décidée à me laisser filer.
— Je n'irai nulle part avec vous, grondai-je, avec dureté.
Je me concentrai de toutes mes forces pour ne pas bouger alors qu'elle me tirait vers elle. Elle s'arrêta, se tourna vers moi et leva ma tête vers elle en me saisissant par le menton.
— Tu viens avec moi, que tu le veuilles au non, petite peste d'immune.
J'écarquillai les yeux, stupéfaite. Comment avait-elle pu le savoir? Venait-elle de WICKED?
Elle éclata d'un rire rauque tandis que je la fixai, mon sang battant à mes tempes.
— Quoi? Ne me dis pas que tu n'as jamais remarqué le tatouage que tu as sur ta nuque? Tiens, je te le lis.
Sans lâcher mon poignée, elle vint se placer derrière mon dos, ce qui ne me rassura pas le moins du monde. Délicatement, elle tira un peu le col de mon tee-shirt vers le bas et, d'une voix particulièrement forte, lut l'inscription dans mon cou:
— « Propriété de WICKED. Groupe A, Sujet A1, la Mortelle. » Sérieux, c'est quoi ce nom pourri? On est tous mortels sur cette foutue Terre.
Pendant qu'elle parlait, j'avais remarqué que les autres personnes présentes commençaient à s'intéresser à notre duo incongru. La femme avait volontairement parlé assez fort afin que les survivants apprennent le fait que je venais de WICKED.
Je serrai les dents, mon souffle commença à s'accélérer alors que des personnes se levaient, leurs regards affamés dirigés vers moi. J'avais l'impression d'être entourées de cannibales et d'être leur prochain repas. Je ne comprenais ce que j'avais de si spécial, excepté le fait que je sois immunisée contre la Braise.
La femme revint se placer devant moi avec calme. Elle tourna successivement sa tête à droite puis à gauche, avec un sourire cruel.
— On dirait que je ne suis pas la seule qui sait qu'un immune de WICKED peut rapporter beaucoup, vraiment beaucoup. Est-ce qu'il y en a d'autres des gamins comme toi? N'essaie pas de me faire croire que t'es venue jusqu'ici toute seule.
Mes pensées se dirigèrent vers les blocards, Caleb et Beth. À cet instant, ils devaient déjà avoir pénétré l'enceinte de la ville mais je ne saurais dire à quelle distance ils se trouvaient de là où j'étais. Mais si j'avais pu trouver les survivants se terrant ici, ils pourront les trouver aussi sauf que, cette fois-ci, toutes les personnes non-immunes le long des trottoirs se douteront qu'ils viennent également de WICKED et ne les laisseront pas s'en tirer indemnes.
Bien que je me doutais que cela devait se lire dans mes yeux, je plongeai mon regard dans le sien et déclarai:
— Je suis seule, tous les autres se sont fait attaqués par des fondus.
— Espèce de sale petite menteuse de mes deux, je suis certaine que tu mens, me cracha-t-elle au visage. Ils sont derrière toi, c'est ça? T'es censée être l'éclaireuse? Ça te dit qu'on attende qu'ils arrivent? On pourra discuter un peu comme ça.
— Vous ne ferez rien.
— Dit la gamine qui ne peut même pas s'enfuir, compléta la femme aux cheveux noirs en riant.
— Prenez-moi, faites ce que vous voulez, tuez-moi si ça vous chante mais ne les touchez pas.
— Tu n'es donc pas seule, j'en étais certaine. Mais ne t'en fais pas, je ne compte pas vous tuer, au contraire.
— Je risque de te tuer, par contre.
Mon coeur rata un battement à l'entente de la voix et je vacillai quelques secondes. Je crus avoir rêvé, que ce n'était qu'un mirage de mon esprit en déroute, mais mes yeux ne tardèrent pas à se poser sur lui, celui que j'avais aimé et que j'aimais toujours. Les larmes me brouillèrent la vue et une boule se forma dans ma gorge alors que je luttai pour ne pas pleurer de joie.
Il était là, en chair et en os, quelques mètres nous séparant. Et bien vivant. Jamais je n'aurais cru le revoir. Jamais je n'aurais pensé que j'entendrais de nouveau sa voix si rassurante. Jamais je n'aurais imaginé qu'il pouvait avoir survécu.
— Minho...
Il n'avait pas vraiment changé. Ils portaient des vêtements différents mais avait conservé son équipement de coureur qui se portait au niveau du torse ainsi que ses chaussures. Il n'arborait plus sa coiffure parfaite mais avait à présent ses cheveux en bataille.
Je ne parvenais pas à détacher mon regard de Minho, même avec la meilleure volonté du monde, c'était impossible. Je ressentais un sentiment à proprement parlé indescriptible mais incroyablement magique et miraculeux. Je croyais avoir enfin compris ce que signifiait le terme de pur bonheur.
— Tu crois que tu m'impressionnes?
— Peut-être que ça, ça le pourra.
Il releva son tee-shirt, révélant un pistolet, dissimulé dans son pantalon, qu'il attrapa avec un geste précis. Il savait se servir de cette arme, c'était certain.
Il joua quelques instants avec le pistolet en le passant de sa main droite à sa main gauche et réciproquement.
— Il te suffit juste de la relâcher et il n'y aura pas de blessés. C'est aussi simple que ça, expliqua-t-il d'une voix raisonnée.
— Je me laisserai pas berner par tes mensonges.
Minho adopta un air sombre et déterminé, arma son pistolet et tira vers le ciel. Un bruit assourdissant se répandit en une fraction de seconde dans chaque recoin de la ville et chaque oreille qui se présentait. Tout le monde avait dû entendre le coup partir et beaucoup arriveront d'une minute à l'autre, pour découvrir ce qui se tramait en plein milieu de ce carrefour.
— Je pourrais tous vous tuer si je le voulais, mais je vais être clément. Alors relâche-la. Je ne me répéterai pas.
Il dirigea le canon de son arme vers la femme qui me maintenait toujours. Elle était tendue, je le sentais. Elle ne voulait pas me laisser m'échapper mais elle ne voulait pas non plus se résoudre à risquer la mort.
Au moment où sa prise sur mon poignet commença à se deserrer, j'aperçus au loin, sortant d'un bâtiment derrière Minho, un homme tenant un tuyau entre ses deux mains. Cela me prit quelques secondes pour me rendre compte de ce qui se passait mais c'était déjà trop tard. Minho chuta, assommé par le tube de métal, pour venir s'écraser contre le sol poussiéreux.
Je baissai la tête, atterrée par un tel retournement de situation. Mon coeur battait à cent à l'heure. Qu'allait-il nous arriver? WICKED le savait-il que Minho était toujours en vie?
— Ton chéri n'est pas très futé, lâcha sarcastiquement la femme.
Je levai des yeux furieux vers elle. C'était entièrement de sa faute ce qui venait d'arriver. Ou de la mienne, tout compte fait. Si je ne m'étais pas séparée du groupe, je ne me serais pas retrouvée en face-à-face avec la survivante, sans aucune possibilité de fuite. Minho ne serait pas lui aussi à sa merci, tout comme les blocards qui ne tarderaient pas à arriver, attendus par les autres non-immunes.
— Tu sais quoi? Ce sera plus simple si toi aussi tu va un peu visiter le pays des rêves.
Je n'eus pas le temps de répondre la moindre chose que je reçus un coup violent à l'arrière de ma tête, me faisant basculer en avant et tomber dans un état d'inconscience.
Où serai-je à mon réveil?
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Merci d'avoir lu <3
— Bisou mes griffeurs ♡