Sur le chemin du retour, elle ne pouvait s'empêcher d'y penser. La frontière entre le monstre et l'humain, entre l'abattage systématique et le pardon. Elle n'aurait pas fait tant de manières avec d'autres, mais son guide n'agissait pas de cette façon habituellement. Elle se glissa près de lui et chuchota.
- Tu penses vraiment ce que tu as dit, je suppose. Ca ne ressemblait pas à un petit mot pour coller à l'ambiance revancharde.
- Tu voulais partir en chasse non. Répliqua le citéen un brin agacé.
- Tuer des humains te révulse, tu luttes contre et tu le fais pour tous. Même le type qui détenait Mayline et la fille du comte. Mais tu n'as pas hésité une seconde contre ces lythomédians.
- Tu comptais les laisser partir ? Je doute que la garde le fasse.
- Ce n'est pas de moi qu'on parle. Guide, as-tu regardé Delili quand tu as dit tes mots ? As-tu une distinction claire entre ce qui est un monstre et ce qui est l'égal d'un humain ?
- C'est des sortes de loups, ces machins polymorphes. Ce sont des bêtes, pas des hommes.
- Donc, c'est si clair pour toi. Et Delili, ou même son père ? C'est toujours des demi-démons pour toi ?
- Pourquoi cela te dérange tant ? Je comprends la remarque, mais Delili je peux discuter avec elle. Je ne suis pas un sac de viande sur pattes pour elle.
- Guide, un lythomédian s'est adapté pour vous chasser, ce n'est pas quelque chose qu'il le choque. Pourtant il reste intelligent et dialogue.
- Tu as dit que c'est une copie. Il copie la sociabilité humaine sans la comprendre, il ne comprend pas nos émotions.
- Pour moi tuer ces lythomédians revient à occire des humains.
- Oui pour toi tout est pareil. Lâcha-t-il avec sarcasme.
- Un svanti, un oul, ou tout autre sorcier, ne fait qu'une légère distinction. Voilà pourquoi même Sindatra soignera un insecte qui le lui demande.
- Oui, j'y penserais la prochaine fois que j'écrase un moustique.
- Pose-toi cette question, guide. Vaux-tu plus que celui que tu regardes ?
- Bon, j'y penserais. Si c'est si important pour toi.
- Tu es celui pour qui ça importe et je n'aime pas voir mon camarade renoncé à ses principes.
Aklameon échangea un regard avec la sorcière. Sa détermination faillit face à l'impact de la sincérité de la brune, l'œil sans magie et sans or avait une nature plus douce. Elle n'était pas triste, elle n'était pas en colère, il y lisait une déception. Il comprit alors l'estime que la traqueuse lui portait. Il arrêta un instant son pas. Il réfléchit au mot camarade, qu'elle avait utilisé. Elle qui évitait soigneusement de mettre un sens affectif sur ses relations sociales. C'était bien la première fois qu'elle tentait cette forme d'attention avec l'envie de transmettre ses intentions positives sans une pointe de sarcasme, d'une impression étrangement amicale. L'homme reprit sa marche et une petite moue songeuse, quand il leva les yeux Oul l'observait dans un pas au ralenti. Il envoya un petit geste de la tête, pour montrer qu'il avait compris le message. La sorcière parut presque sourire en réponse, puis elle se retourna et continua.
Klam augmenta l'allure pour rattraper le groupe. A la sortie des bois, le groupe suivit Delili dans le dédale des petites tentes et des visiteurs, cela ne donna rien. Et si, dans le village il y avait cette légère odeur bestiale rien ne conduisait à une maison plus qu'à une autre. Leurs habitants étaient rentrés depuis trop longtemps pour laisser un panache distinctif dans l'air.
- On devrait avertir les autres et le capitaine ? Questionna Emior.
- Surtout que la gamine pourrait repérer s'il n y a pas un intrus chez nous. Continua Mardem.
- Le capitaine a dit qu'il n'y avait aucune chance qu'un ennemi soit dans nos rangs. Protesta le jeune garde
- Ecoutes, je ne fais pas ma ronde avec l'idée que le type à côté de moi puisse en être un. Il faut être sûr, y a assez de mecs dans des sacs de viande, j'ai pas raison ? Lança-t-elle aux spécialistes.
- De toute façon, dires du capitaine ou non, on y aurait jeté un œil. Répondit Oul.
- Mon acolyte est pour le moindre risque, et il va falloir passer la ville au peigne fin.
Mardem eut un large sourire dont les dents blanches se dessinaient derrière le heaume, elle ouvra la porte de la salle où trônait plusieurs petites équipes de gardes qui prenaient leur repas. Elle mit délicatement la main sur le pommeau de sa lame et laissa entrer le groupe. Emior et Mardem fixèrent Delili qui inspira longuement, puis en plusieurs petites bouffées. Emior pausa sa main sur le manche de son glaive. Cependant après plusieurs secondes, l'enfant envoya un petit geste négatif de la tête. Les deux gardes soufflèrent, heureux de ne pas à avoir à abattre l'un des leurs.
Prévenue de l'arrivée des spécialistes, la capitaine déboula l'escalier qui menait à l'étage. Alors Klam s'avança pour expliquer la situation et présenter une ou deux preuves. Discrètement Oul et Delili firent un petit tour de l'assemblée et se rapprochèrent de l'escalier, mais il n'y avait aucune piste. Si le capitaine fut désappointé par l'horreur de la situation, elle ne perdit pas son calme et salua le travail accompli. Elle donna ensuite ses ordres. L'accent était mis sur les comportements suspects de chaque citoyen ou arrivant, sur le caractère inhabituellement solitaire d'un individu et l'observation de tout départ en forêt. La capitaine rappela à chaque garde de ne pas faire de sentiments, et que derrière une apparence familière pouvait se cacher un monstre. Pour calmer ses troupes, elle demanda aux spécialistes d'expliquer brièvement comment reconnaître un des monstres. La sorcière présenta de façon courte et abrupte la situation.
- Sans un odorat ou un sens de la magie développé, un lythomédian polymorphe ayant copié une apparence depuis longtemps fera illusion. Il est intelligent et utilisera les savoirs emmagasinés, donc les petits secrets, les histoires personnelles, il les connait. Au mieux, il aura du mal à comprendre certains traits d'esprit ou certaines blagues, mais ça échappe aussi à pas mal d'humains. Alors restez à la vue d'un maximum de monde et préférez dormir seul et armé.
L'assemblée fut parcouru d'un murmure inquiet et le capitaine voyait la mine de ses hommes se déconfirent. Elle prit les devants.
- N'avez-vous rien d'autres à nous apprendre pour les combattre ?
- On a passé les présents en revue et la garde semble saine. Donc, vous pouvez compter sur votre troupe. Pour les combattre, il faut être plusieurs. Ils sont agiles, plutôt rapides, mais il frappe surtout très forts. Evitez un maximum un combat frontal, au corps à corps.
La capitaine ne trouvait que peu de réconfort dans ces explications, l'intrus avait fait son trou et elle devait se satisfaire qu'il ne soit pas présent. Aklameon glissa quelques mots avec tact pour éloigner un peu le poids des mauvaises nouvelles.
- Nous restons disponible et nous cherchons toujours, en cas de doute venez nous trouvez.
Si cette petite aide ne contentait pas les personnes rassemblées, elle apportait un peu de positif à cette fin d'explication. La traqueuse glissa à son compère.
- On devrait peut-être informer la capitaine qu'on maniera le flux, si besoin est.
- Oui, enfin bon, on vient déjà leur annoncer qu'ils dorment dans un village infesté, on va éviter d'en rajouter.
La capitaine réorganisa les rondes et discuta avec les plus inquiets, aussi elle accepta le départ des spécialistes avec un léger soulagement. Elle avait une soirée chargée qui s'annonçait.
Delili toujours préoccupée par son odorat et le potentiel monstre caché dans la foule ouvrait le pas et se retourna d'un bond vers les deux adultes qui l'accompagnaient.
- J'y pense, comment le monstre attire ses proies ? Il a attaqué les trois marchands dans la forêt à un endroit précis et parfait pour le coup qu'il avait à donner.
- Il y a au moins deux lythomédians, un chasseur, un rabatteur. Les lythomédians sont rarement solitaires. C'est leur façon faire.
- Si vous dites que l'endroit était choisi et le placement trop précis, ce n'est pas juste un rendez-vous que fixe la bête à sa victime. Et si tu parles d'un rabatteur, il y a au moins une personne qui a pris contact avec chaque victime et qui les amènent au lieu prévu.
- Ouais justement j'y pensais. Ma question c'est comment il fait ?
- Gamine, les lythomédians ont une tactique simple et qui marche sur leur proie humaine, la demande d'aide.
- Oul, c'est quand même bizarre que le rabatteur ne soit pas reconnu. Tout le monde se méfie, sa chasse devient de plus en plus dangereuse, et les gens vont faire le rapprochement.
- Non, mais gamine, forcément le chasseur et le rabatteur échangent de rôle.
- N'empêche, t'es nouveau dans un village dangereux tu ne suis pas n'importe qui.
- Delili a raison, seuls les gens d'ici devraient être la proie d'un visage connu auquel on fait confiance. Pourtant sa touche tout le monde.
- Oui, c'est c'que j'disais.
- Un visage sympathique suffit, regardez notre gentil Williams Derdain, un mot amical et un sourire. Rien de compliqué pour un lythomédian. Il prend le visage d'une personne de confiance.
- Oui, mais Oul cela réduit le champ des suspects. Il faudrait demander à qui on ferait le plus confiance ici et aller rencontrer ces gens.
- Guide, ce n'est pas aussi simple. Sinon on débusquerait facilement les intrus. Les savoirs copiés par ce type de polymorphe lui permettent une grande variété de discussions avec un sens de la persuasion. Son but est d'isolé une personne. Il agit de jour et limite les inquiétudes de la proie. Et tu oublies que les gens d'ici ne connaissent pas encore la situation. D'ailleurs, c'est ce qui me permet d'affirmer qu'ils sont encore là. Ils seraient déjà partis si le risque était trop élevé. Comme tu l'as dit aux gardes, ils désorganisent mais ne créent pas une grande panique, pour tous : des gens ont disparu.
- Je comprends, la situation leur est favorable.
- Oul, si tu étais un lythomédian, tu chasserais qui ?
- Gamine, en temps normal je dirais les faibles. Mais un polymorphe est plus opportuniste, donc les gens qu'on peut isoler facilement. Seul, crédule et je prélèverais des gens qui ne sont pas dans mes amis, pour ne pas attirer trop l'attention.
- Alors pourquoi trois marchands d'un coup ?
- L'hiver arrive, ils font des réserves. Et puis le lieu est légèrement hors du village, à deux contre trois, les marchands n'avaient aucune chance. Le rabatteur pouvant aussi agir au besoin.
Le groupe rejoint alors le camp des commerçants de Dezalik avec Hammet s'étaient arrangés pour le transport, le couchage et les frais de nourriture. Ils prirent donc place naturellement dans la file pour la soupe du soir. Si les spécialistes arrêtèrent leurs débats sur les monstres et leur technique de chasse, les discussions restèrent animer entre Oul et Klam sur les explications techniques à une population novice. La traqueuse ne démordait pas de sa position pragmatique, qui si elle était rude et sèche n'en demeurait pas moins la réalité. L'homme préférait ménager certains aspects négatifs, même s'il comprenait qu'il fallait présenter les dangers. Delili se désintéressait de cet échange sur le fond ou la forme et prit un bol mis à disposition par le cuisinier de la caravane et poussa ses deux compagnons pour avancer vers le repas.
Dans l'odeur d'un potage de légumes bouillis et de graines apparu un filament d'un parfum sauvage et brute, lié au sang et aux macabres découvertes. L'effluve s'éloignait à travers les discussions et les tentes, entre les rires et chants des soirées animés. L'enfant saisit par la manche son maître d'apprentissage.
- Il y a une odeur, y en a un qui vient de passer, c'est net. Il s'éloigne, faut qu'on le suive.
- Williams cours à la maison du capitaine et tu nous retrouveras, on t'attendra devant le lieu où il entrera.
- D'accord, autre chose ?
- Ouais, touche un mot au capitaine si je dois utiliser la magie.
Il acquiesça et partit aussitôt à grandes enjambéesvers l'endroit qu'il venait de quitter. Les deux autres prirent en chasse, lanappe odorante du lythomédian passé tout près.