Les trois marcheurs enjambèrent un petit ruisseau et continuèrent d'un bon pas. Les champs étaient moins présents dans la zone. La forêt toute proche indiquait combien les terres reculées pesaient dans le quotidien des habitants. Klam réfléchissait toujours au choix de Oul et son enthousiasme à peine voilé pour la mission. Il paraissait évident que ce n'était pas le sort de cette fille qui l'intéressait. Le guide avait compris et il savait que la sorcière s'était remise en chasse.
Lui avait plus à l'idée ce sauvetage et l'inquiétude des administrateurs. Bon nombre de questions trottait dans sa tête, mais leur nouveau commanditaire voulait rentrer au plus vite. Le rythme soutenu ne poussait pas au bavardage.
Guerwan CHENOIG ouvrait la voie, soucieux et le visage fermé. Il pensait à Tris-et-Fand et aux villageois qui attendaient de l'aide. Klam mourrait d'envie d'en savoir plus, au fur et à mesure des kilomètres les questions le rongeaient. La situation était dangereuse et pourtant il n'en savait guère plus depuis l'acceptation de Oul. Cette dernière arborait un air détendu, car ses talents seraient utiles. Un petit combat lui aurait fait du bien.
Le soir venu, pas de village, ni d'habitation en vue. Cependant Guerwan connaissait une halte, une cabane de chasse rudimentaire mais suffisante pour une nuitée. Elle était à l'abandon et ne servait qu'à certaine saison. Faite de grossiers rondins de bois, la structure se reposait sur quatre arbres et leurs branches pour assoir le toit. Tout était callé à la paille et au petit bois. Il n'y avait pas de foyer intérieur, juste assez de place pour dormir.
L'administrateur avait prévu son coup et était déjà passé par là à l'aller. Pour le retour l'emplacement du feu été préparé ainsi qu'un petit tas de bois. L'homme à peine arriver, alluma les herbes sèches et brindilles et y posa une bûche. Il sortit de son mutisme peu après.
- Je suis conscient de ce que je vous demande et des dangers que vous encourez à nous aider. Sachez bien que je vous en remercie. Voici le tiers de la somme ! Et lança une bourse de pièces à Klam. Votre réputation ne sera pas entachée et vous n'aurez pas à faire à l'évêché, ce sont les hommes du Comte LINDERMÄR. C'est un homme très puissant de l'An Der Merkt, mais il ne pourra agir en dehors des missions confiés par l'évêché.
- Je connais de nom le Comte, c'est un homme pieux et il n'outrepassera jamais la Loi. Mais en quoi l'An Der Merkt se permet d'intervenir en Avernorne.
- L'évêché a demandé des droits à agir auprès du Royaume d'Avernorne et à solliciter sa protection au Comte LINDERMÄR. Avec les nombreux traités entre l'An Der Merkt et le Royaume, cette intervention d'une armée extérieure est possible sous couvert de missions religieuses. Depuis nous avons été menacé de nombreuses fois pour notre croyance en une divinité locale. L'évêque précédent tolérait ces croyances traditionnelles, mais les nouvelles autorités religieuses durcissent la Loi et y joignent les actes.
- Du coup il se donne le droit d'arrêter et d'exécuter des civils.
- Pour le moment les actes violents ne sont pas reconnus par l'évêché, officiellement aucun civil ne devrait être exécuté. Pour la petite c'est différent. C'est la fille d'une divinité et de la prêtresse. Elle est une demi-sang. Dans le Royaume, les demi-sang ne sont pas reconnus comme des sujets du Royaume. Aux yeux de la Loi, ils ne sont personne. L'évêché peut faire ce qu'il veut d'elle.
- S'ils ne peuvent prouver qu'elle est une demi-sang, les hommes du comte devront la relâcher. Surtout si vous intervenez en tant qu'administrateur, on vous devra une réponse officielle.
- Votre interprétation de la Loi est bonne. Sauf que la gamine ne peut cacher son lignage. Ses oreilles trahissent son sang. Et les hommes du comte auront tôt fait d'exposer cela.
- Si ce n'est que des oreilles ont peu toujours dire que c'est juste une difformité.
- C'est clairement des oreilles de chat Monsieur DERDAIN.
Aklameon s'étouffa avec sa salive. Toussa et repris.
- La gamine est un démon chat ?
- Un demie divinité chat. Rectifia Guerwan en désaccord avec le point de vue du spécialiste.
- Vous vénérez un démon chat et personne jusqu'ici n'était intervenu ? Dites-vous que vous avez de la chance. D'autres états vous auraient condamné pour hérésie.
- Cela fait deux siècles que cette divinité protège notre village de la tempête et des violents phénomènes. La divinité nous défend aussi des monstres. C'est un être exigeant, mais il a toujours été présent pour le village. Nous lui rendons grâce pour ces bienfaits, c'est tout. Nous avons toujours reconnu le Royaume et ses lois, mais jusqu'à maintenant les croyances n'étaient pas un problème, nous avions le droit de les concilier.
- Les démons chats sont facétieux, lunatiques ou colériques. Ils sont dangereux, ils sont puissants.
- Vous êtes un spécialiste des terres reculées, alors vous savez quelles engeances trainent dans ses bois. La divinité est souvent absente, mais elle est plus présente que les forces du Royaume. Ce n'est pas avec cinq à dix gardes qu'on peut combattre ce qui rôdent dans le coin. Alors oui, dans notre communauté du bord de la civilisation on trouve des parades. Et si un être peut aider, alors nous l'en remercions.
Klam ne sut quoi répondre. Il croisa les bras puis s'assit, il cogitait perplexe. Toutefois Oul s'intéressa à la situation.
- Les esprits chats sont des esprits extérieurs, ils ne sont pas animés par un rôle. Ils ont un flux différent des esprits naturels.
- Un flux ? s'interloqua Guerwan.
- Une magie. Donc votre être chat possède une volonté propre, il n'agit envers vous que parce qu'il le veut bien. Et je suis en désaccord sur le terme démon avancé par Williams. Les démons n'existent pas.
- Oh non, on ne va pas reprendre ce débat. S'exaspéra le guide.
- Les démons n'existent pas, c'est une invention pour parler d'êtres très différents les uns des autres. Williams n'a pas tort sur le caractère lunatique et colérique de ces esprits. Comme je n'ai jamais croisé d'enfant issu d'un esprit et d'un humain, il faudra concevoir qu'il puisse être puissant.
- L'enfant l'est. Elle a un talent certain pour la magie. Outre ses capacités hors norme pour une fillette.
- Et les hommes du comte ont réussi à la capturer. Avec quoi ?
- Aucune idée, je sais juste qu'ils l'ont vidé de son pouvoir. Elle ne pouvait plus utiliser sa magie.
- Vidé de son pouvoir... intéressant. Williams, il faut aller voir sur place.
- T'es marrante, comment on va garder cette petite avec nous ? Démon chat, divinité chat ou esprit chat, elle reste dangereuse.
- Au pire, je la calmerais. Ricana Oul.
- Oh c'est bon, on sait comment tu résous les choses. Si elle est puissante, ça va dégénérer et on aura les hommes d'armes du Comte sur les bras.
- Plus sérieusement Williams, si elle pose le moindre problème, je la dérouille.
L'administrateur bouche bée venait de comprendre que la jeune femme était résolue à utiliser tous les moyens possibles. Il intervint pour stopper le débat.
- Non, c'est une enfant, vous ne pouvez pas.
- C'est un demi-esprit chat, si elle s'entête votre plan tombe à l'eau et tout le monde aura des problèmes.
Klam soupira, il devait se résoudre à admettre la logique juste de la sorcière. Il fallait sauver une vie après tout. Il devrait pouvoir convaincre une enfant que la liberté surveillée serait mieux qu'une cage et la mort.
- Ecoutez Guerwan, ma camarade prévoit le pire de scénario possible. Mais nous ne sommes pas là pour mettre à feu et à sang la campagne. Il est évident que la petite comprendra l'intérêt de notre action. Elle a quelle âge ?
- Onze ans.
A ces mots, le guide se rassura.
- D'accord, on devrait pouvoir la résonner.
- Elle est sauvage comme petite, n'attendez pas qu'elle soit obéissante. Elle a toujours été plutôt indépendante.
- Et l'esprit ne risque pas de venir reprendre lui-même son enfant ? Cela compliquerait la mission. Interrogea Klam partit dans sa réflexion sur tous les cas de figure possibles.
- La divinité est absente, on ne sait ni où elle est, ni quand elle va revenir. Il faut donc que l'enfant soit revenu au plus vite. La perte du temple et de sa prêtresse est déjà une catastrophe, alors il faut préserver l'enfant. C'est le seul moyen pour éviter une effusion de violences. La seule chance que nous ayons, c'est que nous connaissons déjà l'endroit où elle est enfermée et d'y avoir des gens prêts à nous aider.
- Vous auriez pu la délivrer déjà.
- Je le sais, mais il y a trop de risques. Si nous sommes reconnus le Comte et l'évêché se retourneront contre nous. Si nous employons n'importe quels bandits ou mercenaires nous ne sommes sûrs ni de leur loyauté ni de leur efficacité. Et comme l'enfant est particulière, il faut des spécialistes et vous en êtes. Je ne crois pas au hasard, je savais que vous répondriez à notre appel. On vous a mis sur notre route.
- On se calme, on n'est pas votre petit miracle, juste deux travailleurs de la citadelle d'Arkovir. On fera de notre mieux, mais ça ne solutionnera pas tous vos problèmes.
- Nous ne vous demandons qu'à en solutionner un. Nous nous débrouillerons pour le reste.
Les deux acolytes se regardèrent, Klam haussa les épaules l'air dubitatif.
- Je veux voir ce qui permet de retenir et d'enfermer ce demi-esprit. Avança enthousiaste la Traqueuse.
Le guide se gratta la tête et devait bien admettre que trop de choses lui échappait et qu'il devait s'en remettre au talent de sa comparse.
- Oul, on le fait sans blesser personne. Soumit-il.
- Si l'esprit ne se ramène pas, ça devrait être gérable.
Les propos raisonnables de la sorcière amenèrent un vent de tranquillité dans la discussion, elle était sûre d'elle. Ni son compagnon, ni son commanditaire ne remirent en question ses capacités à le faire. Elle avait l'air d'un roc face à la situation pourtant délicate. Toutefois Klam savait bien que les enjeux politiques étaient le dernier des soucis de la grande brune.