58: préparation d'avenir

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En regardant l'heure sur l'horloge de la chambre, je me rends compte qu'il me reste seulement dix minutes pour prendre mon petit déjeuner. N'ayant pas envie de jeûner, je range mes affaires en quatrième vitesse. Je cherche rapidement une place pour ma feuille dans ma valise, sans la plier ni l'abîmer. Puis, bien trop fière de moi et le sourire aux lèvres, je descends les escaliers en courant.

Certes, je n'ai pas fait ma routine aujourd'hui, mais j'ai fait beaucoup mieux.

Lorsque j'arrive devant la cafétéria, en jogging et en énorme sweat gris - puisque je n'ai pas eu le temps de me changer, je m'empresse d'ouvrir les portes-fenêtres. Rapidement, je prends un plateau, me sers une pomme, des céréales et un verre de jus d'orange. Tout ça en quelques secondes. À la fin du chemin se trouve Éléonore avec panier en bois dans les mains. Il me faut quelques secondes avant de me rendre compte qu'il s'agit de nos téléphones et qu'elle nous les rend.

- Tu peux le récupérer, me dit-elle, puisque c'est le dernier jour de colonie.

Je cherche, et en peu de temps, j'aperçois le mien : noir, grand, bien trop étranger. On dirait qu'il ne m'appartient pas. Pendant un instant, je me demande même si c'est réellement mon téléphone. Je le regarde, le prend et l'installe immédiatement dans la poche de mon haut. Finalement, il ne m'a pas manqué, celui-là. En levant la tête, je m'attends à voir tous ces adolescents, les yeux rivés sur leur portable, tels des zombies, parce qu'ils sont en manque de technologie depuis treize jours. Pourtant, ils mangent sagement, discutent, le téléphone dans la poche ou sur la table.

Je vois Abel au loin, dans un coin et seul, alors je décide de le rejoindre.

- Salut, dis-je en posant mon plateau en face de lui.

- Salut, Danaé.

On se met à discuter comme si on oubliait le fait que ce serait probablement l'une de nos dernières discussions. Mais moi, cette idée me hante, elle me consume. Je ne veux pas que tout s'arrête. Je souhaite simplement arrêter le temps. Est-ce trop demander ? Je ne veux pas les perdre, tous ces gens que j'aime. Laissez-moi un peu de temps.

Malheureusement, on ne peut pas jouer avec le temps. On ne peut ni aller dans le futur, ni dans le présent. Ce qui est fait est fait, ce qui va arriver arrivera. Parfois, j'aimerais être dans un film de science-fiction, juste pour changer ça.

Le peu que je peux faire, c'est tenter de rester en contact. Alors je demande à Abel s'il a un compte Instagram. Il me montre le sien et j'observe un peu ses photos. Étonnement, elles ne sont pas comme celles qu'un adolescent basique de dix-sept posterait sur son compte. On peut voir qu'elles ont été prises avec un appareil photo qui coûte certainement la peau des fesses.

Tout est beau, terriblement beau, si bien que j'en perds mes mots. Autant les photos de personnes que celles de la nature qui l'entoure. Émerveillée devant son travail, je continue de scroller et le même visage d'un garçon de l'âge d'Abel revient sans cesse. J'aime l'une d'entre elle avec mon compte. Et je regarde alors la date de la publication : il y a plus d'un an.

Alors, je remonte, pour comparer les anciennes et les nouvelles. Avec étonnement, je réalise que sa photographie la plus récente date d'il y a un an. Rien n'est nouveau ici, tout s'est stoppé d'un coup.

- T'as arrêté ?

- On peut dire que oui. J'ai enfermé cet appareil photo dans mon placard. Le regarder me faisait beaucoup trop de peine. Mais bon, je sais qu'il me manque puisque je l'ai emmené ici, en espérant l'utiliser et me débloquer. J'ai toujours du mal.

Il se penche sur mon téléphone et fait défiler les publications, probablement pour me montrer une photographie en particulier. Quand il ne s'agit pas d'animaux, de fleurs ou de couchés de soleil, le même humain est présent sur chacune d'entre elles. Et je comprends bien tristement pourquoi tout s'est arrêté aussi brutalement.

Abel lâche mon portable et me montre du doigt une publication où un garçon aux cheveux roses apparaît. Ce dernier est souriant. Ses yeux bleu clair semblent sortis tout droit d'un rêve et ses mains blanches sont posées sur ses joues. Le fond est noir, on ne voit que lui qui illumine nos yeux.

- C'est Clément. Il aimait bien faire le mannequin devant mon appareil.

Il prend une grande inspiration.

- Je n'avais pas beaucoup d'amis. Et ça n'intéressaient pas les autres. Alors c'était notre truc à nous. Parfois, on passait tout notre après-midi dans un coin de notre ville à prendre des photos. Il savait que je voulais devenir photographe, donc il en profitait pour remplir son Instagram de photos « professionnelles » de lui, comme il le disait. Après chaque séance, je croyais un peu plus en mon rêve. Et lui a toujours cru en moi. C'était si bien, j'aimerais tant revivre ça. Puis il a disparu. Et je ne peux pas m'arrêter de penser à lui quand je sors cet appareil poussiéreux. Aujourd'hui, mon compte sert surtout à rendre hommage à Clément. Et puis, je me vois mal faire tout ça sans lui.

J'ai touché une corde sensible, mais je dois le pousser un peu. Je pense qu'il a un réel talent. Et ce serait dommage de tout abandonner.

- Tu devrais vraiment recommencer. Et puis, je pourrai être ton modèle, quitte à faire deux heures de train pour venir te voir.

- Tu penses ? J'ai vraiment laissé tomber cette idée de photographe. C'est puéril.

- Je ne trouve pas ça puéril. Au contraire, c'est génial. Vraiment. J'aime beaucoup ce que tu fais. Tu devrais te lancer. Je suis sûre que Clément serait fier de toi.

- Merci, Danaé...

Je regarde son compte et clique sur le bouton « s'abonner ». Son téléphone sonne. Alors, il le sort de sa poche et observe sa notification. Il me la montre et se met à sourire.

- Tu mérites un abonnement.

- Merci, encore. Mais désolé, je ne m'abonne pas en retour à mes fans.

- Oh, Abel. Tu devrais plutôt t'abonner. Il se trouve que je suis une super star.

Il se met alors à rire, puis il va sur mon compte et m'explique que je ne peux pas rivaliser avec ses deux-cents abonnés. Je suis vaincue. Tant pis.

- C'est dommage, tu n'as aucune photo.

- Visiblement, je n'ai pas beaucoup d'amis.

Ni une, ni deux, il pique mon téléphone de mes mains, se lève et s'installe à côté de moi. Il se met en position pour prendre un selfie avec moi, le sourire aux lèvres, comme s'il attendait que je fasse de même. Alors, je souris. Et c'est loin d'être un de ses faux sourires que j'ai pu faire au cours de ma vie. Cette fois-ci, et comme de nombreuses fois depuis le début de la colonie, il est authentique.

Je poste cette photographie sur mon compte autrefois vide. Abel aux cheveux verts et Danaé aux cernes de panda. C'est un bon duo. Dans le fond, on peut voir la cafétéria de la colo détox, ainsi qu'Éléonore qui fait la tête. L'éclairage n'est pas des meilleurs, mon téléphone non plus. Pourtant, j'aime beaucoup cette photo, parce qu'elle me rend heureuse.

Plus tard dans la journée, j'ai reçu une notification comme quoi le célèbre Abel m'avait finalement suivie. 

Mise en ligne : 22/08/20

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NDA : Qu'avez vous pensé de ce chapitre ?

À votre tour, changez votre vie comme Danaé. Que voulez-vous améliorer chez vous, pourquoi et comment ? (Au moins deux choses !)

Visiblement, Danaé s'est détachée de son téléphone. Et vous, vous êtes plutôt accro ou pas ? Pour ma part, je suis pas très accro à mon portable (j'y vais seulement pour répondre à mes messages et poster des stories) mais c'est sûr qu'il m'est utile quand je m'ennuie !

Que pensez-vous duo Danaé/Abel au fil de l'histoire ?


DÉTOXWhere stories live. Discover now