OS75 Point de non-retour

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Affirmation scientifique : la dégradation de la planète est maintenant irréversible.

C'était ce qu'annonçant les grosses lettres blanches. Harold fixa la télé un instant, avec l'intention d'écouter les explications du journaliste. Mais il abandonna bien vite en se rendant compte qu'il ne percevait qu'un brouhaha incohérent, derrière le sifflement de ses oreilles. Il éteint donc la télé et s'empara de son téléphone pour faire ses recherches lui-même. Les informations n'étaient pas bien cachées. Tout internet ne parlait plus que de cela.

Les prévisions pour les années restantes n'étaient pas optimistes. Loin de là. Harold n'arrivait pas à y croire. Il avait cru, avait sincèrement espéré, que l'humanité réagisse, que quelque chose soit fait. Il avait essayé lui-aussi. Il avait réduit sa consommation de viande, n'en mangeait presque plus, bien que cela ne plaise pas à la montagne qui lui servait de père. Il ne prenait pas le bus, allait au lycée en vélo. Il recyclait comme il le pouvait, évitait d'acheter trop de plastique. Il tentait de réduire le temps passé sur internet, même s'il devait bien avouer que cela n'avait pas été d'un grand succès. Il avait participé à des manifestations, avait aidé à nettoyer des plages et des forêts. Et même si beaucoup de monde trouvait cela ridicule parce que « stupide écolo », Harold faisait de son mieux pour faire une différence, rien que dans sa propre vie, parce que, par tous les dieux, cela le concernait directement. Ceux qui râlait, ceux qui refusait d'agir, ceux qui niait l'évidence, ceux-là, pour la plupart, avait vécu. Avait réussi leur vie. Pouvait s'endormir tranquille en se disant, que même s'ils leur arrivaient quelque chose, ils n'auraient pas de regrets parce qu'ils auraient eu le temps de vivre.

Sa vie, à lui, avait beau avoir commencé il y a dix-sept ans de cela, elle ne commençait pas réellement tant qu'il n'était pas indépendant, tant qu'il ne pouvait pas décider ce qu'il allait faire le soir-même sans avoir besoin de demander la permission à son père parce qu'il vivait encore sous son toit. Et maintenant...maintenant, il n'y avait plus de temps.

La porte qui claqua le fit violemment sursauter.

-Bonjour Harold, fit la voix de son père. Wow, tu as tout blanc, qu'est-ce qui se passe ?

Harold lui jeta un regard abasourdi.

-Tu n'as pas vu les infos ?!

-Oh..., répondit Stoick, soudain moins enthousiaste, posant son sac sur le sol. Si. Mais t'en fais pas, fils, tout va s'arranger.

Harold ne sut même pas quoi répondre. Il ne savait même pas ce qu'il ressentait maintenant. Son père, qui dirigeait une des entreprises les plus polluantes de la région, lui assurait que tout allait s'arranger ? Depuis quand avait-il le diplôme requis pour affirmer cela ?! Une violente colère s'empara soudain de lui. C'était exactement à cause de réflexion de ce genre de gens qui pensaient qui tout irait bien d'un claquement de doigts, qu'on en était rendu là aujourd'hui. Il se leva, pointant un doigt accusateur en direction de Stoick.

-Non, ça ne va pas s'arranger, cracha-t-il. On avait des années pour arranger les choses, le réchauffement climatique a été détecté avant même 2000 ! On avait du temps, de la marge, on pouvait faire une différence et éviter tout ça ! Et pourtant, on a rien fait et aujourd'hui, c'est trop tard !

-Enfin, fils...

-On est pas dans un Disney Papa ! La princesse Terre ne va pas se faire sauver par le prince Miracle, au dernier moment ! Tout ne va pas finir bien ! Le prince Miracle n'existe pas et on avait des années pour sauver nous-même la princesse Terre ! Maintenant, c'est trop tard, e-et, toi, tu t'en fous, parce que tu as de l'argent, et que tu as réussi ta vie, et tu es patron d'une entreprise ! Mais j'ai même pas mon BAC, et je me dis, à quoi bon, on va tous mourir de toute façon ! J'avais des trucs prévus, je voulais pouvoir avoir un boulot, pouvoir aller à Disney avec mes potes, trouver une copine, e-et même acheter un appart', avoir un chien, je ne sais pas ! Mais c'est impossible, parce qu'on va bientôt être à court de ressources, parce que personne a été foutu de sauver quelques abeilles, parce que des gens comme toi, pensent d'abord à se faire du fric plutôt qu'à sauver notre planète !

A bout de souffle, Harold détourna le regard et alla s'enfermer dans sa chambre, prenant soin de claquer la porte. Peut-être avait-il été un peu dur, peut-être que Stoick avait fait des efforts lui-aussi, mais qu'on lui dise que « tout allait bien se passer », alors que tous les spécialistes s'accordaient à dire qu'il n'y avait plus rien à faire... Cela le mettait hors de lui. Il avait des projets, avait promis à son meilleur pote qu'il l'emmènerait à un concert de son groupe préféré, même si Harold n'appréciait pas tellement la musique qu'ils faisaient. Il aurait voulu pouvoir faire des études, avoir un métier, travailler, gagner de l'argent et faire sa vie. Il aurait voulu trouver le courage de parler à la belle Astrid Hofferson, il aurait voulu trouver le courage de confronter son père sur sa bisexualité, il aurait voulu trouver le courage de passer ses examens et d'obtenir une bonne note, pour que Stoick soit fier de lui. Mais à présent, tout cela lui paraissait futile. A quoi bon ?

Il y a quelques années, la cathédrale Notre Dame de Paris avait brûlé. Tout le monde en avait parlé, dans tous les pays. C'était une catastrophe. La cathédrale, un des symboles, et également un des points les plus touristiques, de la ville, effondrée. Et même si Harold n'était pas croyant, il avait été attristé de voir qu'un tel monument partait en partie en fumée ainsi. Il pouvait comprendre l'envie de beaucoup de personnes de la voir reconstruite. Evidemment, cette cathédrale était non seulement un lieu important pour les personnes croyantes, mais également une énorme attraction à touristes. Elle rapportait de l'argent. Et pour toutes ces raisons, Harold pouvait comprendre qu'on veuille la reconstruire. Mais ce qu'il ne comprenait pas, c'était pourquoi elle avait été reconstruite. Pourquoi, alors que des milliers d'autres problèmes plus importants parcouraient la planète, des milliers d'euros avaient été soulevé pour reconstruire le monument. Un monument, qui pouvait très bien attendre un peu. Ce n'était pas comme si le reste de la cathédrale allait s'envoler. Mais elle avait été reconstruite quand même. Et la première chose qu'Harold s'était dite, c'était que si tout le monde mettait autant d'énergie à réparer le passé, qu'à préserver le futur, alors la planète serait sauvée. Mais ce n'avait pas été le cas. Pas suffisamment du moins. Et aujourd'hui, les choix du passé, du capitalisme et de la cupidité, détruisait son futur à lui.

Partout, on disait qu'il fallait laisser aller son imagination, avoir des rêves et des espoirs. Ce soir-là, Harold pleura la mort des siens.


Dernier OS pour l'instant, mais je vous donne rendez-vous samedi pour le prochain chapitre de Le Sanctuaire ! 😉

Where No One GoesWhere stories live. Discover now