-Oui.

Astrid était de plus en plus nerveuse. Elle ne se rappelait plus de ce qu'elle avait fait entre le moment où elle avait quitté Harold et maintenant, où elle se trouvait dans la salle d'opération, un masque respiratoire lui couvrant la bouche et le nez.

-J'imagine qu'on vous a déjà dit comment cela allait se passer, mais je vais quand même vous refaire un récapitulatif, dit le médecin. Nous allons remplacer vos cristallins par des implants. Vous allez d'abord voir plutôt flou et si tout se passe bien, vous y verrez bien d'ici quelques jours. Il faudra revenir demain pour un examen de contrôle. D'accord ?

Astrid acquiesça de nouveau. Elle avait eu besoin de ce récapitulatif. Pas pour lui rappeler comment cela allait se passer. Mais pour lui rappeler qu'elle allait voir. Que l'opération qui avait coûté trop chère jusqu'à maintenant, était à portée de main, que dans quelques jours, elle serait capable de voir. Elle ne serait plus prisonnière de son écran noir, elle n'aurait plus besoin de sa canne pour se déplacer, elle allait pouvoir apprendre à conduire, à lire, à écrire. Elle se sentait soudain beaucoup mieux.

-Ok, Mme Hofferson, je vais vous endormir. Comptez jusqu'à trois dans votre tête, ne vous occupez pas du reste.

Astrid ne parvint pas à deux.

•••

Les contours étaient encore très flous, les couleurs très grises et similaires. Après une semaine ainsi, Astrid était plutôt déçue. Etait-ce à cela que ressemblait le monde ? Ce n'était pas ainsi qu'elle se l'était imaginée. Cela ne changeait pas vraiment de ce qu'elle avait toujours connu. Mais Harold lui répétait qu'elle devait être patiente. Que cela allait s'améliorer. Elle n'en pouvait plus d'attendre. Elle voulait voir le monde et bien le voir ! Elle voulait que sa vue s'adapte plus rapidement, que tous ces contours inexistants se solidifie, que les couleurs prennent des couleurs.

Astrid ne savait pas vraiment ce qui l'avait causé. Si les dieux avaient entendu sa prière, si c'était simplement ainsi que la progression devait se faire. Mais le lendemain, sa vision se mit à s'améliorer, de plus en plus vite, de plus en plus précise. Cela restait encore flou et quelque peu fade, et elle tenait à rester chez elle jusqu'à voir parfaitement, avant de sortir. Elle ne savait pas vraiment pourquoi elle faisait cela, si elle voulait se faire une surprise. Comme lorsqu'on cachait une barre de chocolat dans son sac en sachant qu'on serait surpris et heureux de la retrouver quelques jours plus tard, après avoir oublié son existence. C'était le même genre de sentiment qui habitait Astrid. Elle voulait être émerveillée.

-Tes yeux, ça va ? interrogea Harold à côté d'elle.

Elle avait souvent mal à la tête le soir, après une journée entière à ne voir que des contours imprécis et des couleurs décolorées.

-Mieux qu'hier, assura-t-elle, les paupières serrées.

-Tu penses pouvoir passer le contrôle de vue demain ?

-Oui, je pense.

Malgré son opération, elle devait passer un test, qui évaluerait sa vue. L'ophtalmologiste pourrait alors lui faire une ordonnance pour des lunettes, qui, grâce aux circonstances spéciales, lui seraient fabriquées en un temps record. Elle avait déjà choisi le modèle, faisant entièrement confiance à Harold quand il disait qu'elles lui allaient bien. Elle ne savait pas vraiment si elles allaient lui plaire ou non, mais elle était déjà suffisamment reconnaissante de pouvoir voir en premier lieu. Dire qu'elle allait passer d'un écran noir à pouvoir distinguer tous les petits détails du monde, en quelques semaines seulement...

•••

Comme prévu, elle passa l'examen et trois jours plus tard, elle allait récupérer ses lunettes au magasin. Elle avait une furieuse envie de les mettre, ici et maintenant, de voir à quoi pouvait bien ressembler ce magasin quand il n'était pas complétement flou. Elle voyait mieux les couleurs mais avait beaucoup de mal à les apprécier considérant qu'elle n'avait pas de formes auxquelles les associer. Mais Harold la retint et lui assura qu'il avait une meilleure idée.

Where No One GoesWhere stories live. Discover now