Chapitre XXVI

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Qu'es-tu ?

Je détestais ce donjon ridiculement sinistre. C'en était grotesque. Le bruit de vos pas sur les pierres noires comble furieusement le silence oppressant du lieu. Les gouttelettes d'eau qui retombent dans le filet occupant les interstices des pavés. Rien de bien original...

Il faudra repenser la décoration, songeais-je en savourant les derniers instants d'insouciance avant de devoir reprendre le sérieux de rigueur.

A mes côtés, la régente de la prison, Hel Calypso Falathar, retenait son inlassable envie de parler. Après tout, elle n'était qu'une Paladin face à l'éminente Matriarche. Hiérarchiquement parlant, cela revenait à un simple soldat escortant la plus haute instance de son royaume, ne pas être angoissé serait relativement insultant.

Je n'accordais pas un regard à la muraille obsidienne qui portait indénombrables torches embrasées, la seule chose méritant mon attention et pouvant se révéler imprévisible se trouvait au fond de ce corridor.

- " Ah ! Votre magistrale et noble sainteté suprême... Nous arrivons à sa cellule, souhaitez-vous que je dispose ?" improvisa avec maladresse mon employé, dandinant dans tous les sens comme une personne ayant des besoins pressants.

D'un signe de tête, je l'incitais à quitter les lieux. Sa présence était loin d'être indispensable, cela coulait de source depuis le départ mais, par souci de garder une certaine qualité de cheffe, je lui avais fait l'honneur de m'accompagner jusqu'ici.

Je reléguais ses pensées au plus bas de mon esprit, me concentrant sur la sombre aura qui brouillassait toujours plus à mesure que l'on avançait dans la prison.

La respiration bruyante d'une véritable bête sauvage ronflait dans l'air obstrué par la cendre consumée en permanence. Là, au fond de cette cavité humide, reposait l'objet de toutes les discussions depuis son arrivée.

Au bout de quelques pas dans cette brume démoniaque, j'aperçus enfin la silhouette de la créature que je venais rencontrer.

Ses bras lacérés de mille stries étaient maintenus par de lourdes chaînes dans un angle difficilement supportable pour une personne normale tandis que ses muscles saillaient perpétuellement pour ne pas être déchirer par la gravité sans doute bien plus douloureuse dans la position où il se trouvait.

Je pourléchais ma lèvre inférieure en découvrant le rictus effroyablement sadique et carnassier qui naissait sur le visage à demi-couvert de mon prisonnier.

- " Tu m'impressionnes... Rester conscient après un mois de jeûne dans cette situation des plus inconfortables. Tu devrais être content, c'en est fini. Ta cellule redeviendra libre dans seulement quelques instants." annonçais-je froidement, jaugeant le moindre de ses gestes, de sa respiration aux battements de son cœur.

Il laissa échapper une moue de surprise avant de sourire de nouveau. Sa chevelure oscilla quelques instants puis il releva la tête et planta son regard dans le mien, susurrant ces mots, toujours le même sourire sur le visage :

- " Oooh... Ça y est, l'heure est venue ? Vous allez m'exécutez ? Je m'attendais à ce que cela soit plus tôt que ça !"

Je claquais la langue involontairement avant d'enfoncer la clé de sa cellule dans la serrure. Un cliquetis métallique retentit avant d'être remplacé par un bruit grinçant de rouille lorsque je poussais la grille de fer servant de porte.

Avant d'entrer à l'intérieur, je fermais les yeux une dernière fois, cherchant dans l'avenir toutes les possibilités pouvant résulter de la libération de ce captif. Cependant, peu importe le nombre de fois où j'inspectais le futur, j'entrevoyais toujours la même issue ; deux rangées de dents blanches se dévoilant à mesurer que le sourire enragée de ce type s'étire dangereusement. Rien d'autre n'est prévisible.

Chassant mes doutes dans un coin de mon esprit, j'avançais finalement d'un pas. Sans prêter attention à ses contestations, ma main s'enfonça dans son épaisse chevelue noire et abaissa son crâne vers le bas.

A l'endroit exacte où je l'avais vu pour la première fois, le même dessin reluisait dans la nuque de Lash qui grimaçait de colère.

- " Bas les pattes, sale gamine ! On t'a jamais dit que t'étais mal élevée ? Parce que c'est le cas !" pesta-t-il.

Je ne relevais pas. Mon regard se portais toujours sur la sorte de rune ou plutôt de sceau gravée dans sa peau. Si l'on devait l'assimiler à des motifs humains, on pourrait dire que cela ressemblait à une plume dans laquelle le rachis se prolonge pour former un cercle qui revient à sa pointe. Toutefois, si ce n'était qu'un tatouage, une lumière pourprée n'émanerait pas des traits mais surtout, un tel pouvoir échappant à ma divination ne serait pas détenu par un simple roturier.

Lâchant sa tête, j'extirpais du pan de ma bure une seringue et la plantais vigoureusement dans l'épaule de Lash. Un voile commença à recouvrir ses yeux à mesure que le somnifère se propageait dans son corps, d'abord tremblotant puis complètement inerte.

J'utilisais la clé pour le libérer de ses chaînes une fois qu'il sombra dans un profond sommeil. Ses bras mous et son front lâché s'affaissèrent et retombèrent sur le sol sans retenu.

Lash était libre.

Il fut traîné par un geôlier jusqu'à l'extérieur du donjon où une calèche fermée l'attendait. Elle l'emmènerait à Rosran, loin de ma capitale et ses habitants.

J'ignorais ce qui était à l'origine de la puissance enfermée en lui. J'avais beau être en possession du plus grand savoir de l'humanité, il m'était impossible d'éclairer ce mystère. Nous l'avons poussé dans ses derniers retranchements et pourtant, le seul résultat que nous avons eu fut qu'il affiche pendant un court laps de temps des globes oculaires noirs.

Qui plus est, il semblerait qu'il entende des voix ou plutôt, qu'il puisse discuter avec un malin. En d'autres termes, cette chose n'est pas humaine cependant, après l'avoir vu se déchiqueter les lèvres pour redevenir lui-même, dire qu'il est un monstre serait peut être trop...

Je ne savais pas, je ne parvenais pas à donner une quelconque réponse à ce problème... Seule de la frustration pouvait bien ressortir de toutes les expériences que je mènerais sur lui. Quoi qu'il soit, tant qu'il représentera une menace pour Himmel, nous ne devons pas le lâcher, sans mauvais jeu de mots, bien entendu.

FlügelWhere stories live. Discover now