Chapitre X

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Quand les regards se croisent

En tête à tête avec mes pensées, en confrontation directe avec les questions qui taraudent mon esprit et le hantent, je me contente d'avancer. Les heures passent, les passants se raréfient et petit à petit, même le son de la fête disparaît en même temps que j'entre dans les bas-quartiers de la ville.

Là, les seuls gosses qui foulent le sol le font pieds nus, des tuniques bien trop larges dévoilent leur peau à même les os, brûlée par le soleil. Les gens crasseux et pervertis par la pauvreté qui les ronge se contentent de se faufiler entre les ruelles toujours plus petites et désolantes.

En temps normal, je ne me serais sûrement pas rendue ici, dans ce dédale miséreux, ce labyrinthe de poussière et de désillusions mais, je dois bien l'avouer, la notion de "normal" n'a plus grand sens pour moi, désormais. 

Et puis, de toute façon, si je me fais attaquer ici c'est que je n'étais tout simplement pas assez forte pour remporter ce fichu tournoi. Je me fiche de ce qu'il peut bien arriver maintenant, le monde peut bien mourir que je resterais concentrée et irais parler à cette foutue Matriarche ! Je dois régler nos comptes, je dois comprendre pourquoi elle joue aux oiseaux de malheurs !

Enfin, c'est ce que je pensais...

- " Alors, ... vous êtes longue à la détente, c'est ennuyeux. C'est un truc de pseudo héroïne que de prendre vingt ans pour réfléchir ?" répéta la voix, dissimulée dans la nuit obscure.

Son ombre, immense, cachée derrière la façade de pierre d'un bâtiment se dévoila devant moi. Auréolé sous la lueur immaculée, sa silhouette se dressa majestueusement au centre de la ruelle déserte, bien qu'elle fut beaucoup plus petite que ceux à quoi je m'attendais.

La proposition qui venait de s'élever dans les airs provenait d'une enfant d'à peine un mètre cinquante. Vêtue en religieuse, elle n'avait pas l'air bien dangereuse mais, ses paroles et son timbre laissaient entrevoir le contraire.

Une toge blanche recouvrait la fillette de la tête aux pieds, ne dévoilant que son visage parfaitement dessiné. Ses joues rebondies s'étiraient pour nous laisser admirer son plus joli sourire et son regard cristallin était si innocent que l'on aurait cru qu'il lisait en nous ; deux prunelles azurées où se reflétaient tel un miroir les milliers de pensées qui devaient la traverser.

Laissant sa frange mal coupée retomber sur ses yeux, elle réitéra ses propos mais, rien à faire, je n'arrivais pas à la prendre au sérieux...

- " Ils embauchent des gosses à l'Église, maintenant ? Elle joue à quoi au juste, la mioche ?" songeais-je à voix haute.

- " ... Pour ta gouverne, oui, même les enfants peuvent se dévouer corps et âme à notre Dieu... Enfin, passons, tu viens et puis c'est tout." affirma-t-elle, catégorique.

Qu'est-ce-que je peux bien penser d'une gosse de 7 printemps, à peine, qui vient à moitié m'enlever pour que je parle à une ordure ?

A première vue, la question ne se pose pas mais... Lui parler...

Mes mains s'ouvraient et se refermaient nerveusement et ma mâchoire devait se contracter pour me laisser le temps de la réflexion, sans quoi je l'aurai déjà suivi.

- " Pourquoi devrais-je te faire confiance ? Tu n'es qu'une gamine et tu me parles d'un type en prison, avoue que c'est illogique, non..."

La "gamine" sembla froissée dans son ego car, aussitôt, elle rétorqua, la mine boudeuse au visage :

- " Ch'uis une religieuse ! J'apporte la parole de Dieu donc, oui, tu dois me faire confiance ! Et, au passage, après avoir vu des boules de feu s'envoler dans le ciel et exploser en un feu d'artifice, me parler de logique n'a pas plus de sens..."

Elle m'énerve, songeais-je en observant son minois enfantin proférer des paroles ayant le mérite d'être convaincantes.

Finalement, tiraillée entre raison et caprice, j'acceptais de suivre cet enfant sorti de nulle part.

Elle avançait, le regard serein, assuré de son chemin. C'est étrange, quand je la vois, je ne peux m'empêcher d'être fascinée par ses yeux cristallins, ciselés de faisceaux plus ou moins bleutés. Une enfant aussi frêle ne peut pas être aussi intrigant, si ?

Non, affirmais-je en mon for intérieur. Cette gosse n'est pas inintéressante, elle est même tout à fait banale. Non, ce qui est vraiment fascinant c'est comment L'Église inculque aux enfants une foi aussi abominable. Ce ne sont pas ses propos qui m'ont convaincus, non, c'était la façon avec laquelle ses iris dégageaient une croyance absolue envers ses propres dires.

- " Tu sais, si tu me trouves mimi, tu peux me le dire au lieu de m'admirer en silence. Les trajets silencieux sont toujours un peu trop ennuyeux à mon goût... Au fait, je m'appelle Eusthiya Hona Viraguel !"

Ce fut la dernière chose qu'elle fit avant que je ne tombe dans l'inconscience, seulement assommée au milieu de cette ruelle sombre.

***

Le brouillard. Une pellicule blanche se dissipait peu à peu, au fur et à mesure que je  m'éveillais. Là, les visages de la mioche et d'un type effrayant se révélèrent dans mon champ de vision obstrué par le sommeil. Je reconnaissais Eusthiya Hona mais l'autre personne qui l'accompagnait m'était inconnu ; tout ce que je pouvais dire c'est qu'il s'agissait de mon agresseur.

- " Et bah ! C'est pas trop early ! You are vraiment a marmot, you ! Enfin, bon, maintenant on va pouvoir la conduire à notre little prisoner !" s'écria le type étrange, la voix portée par un écho.

J'ignorais où j'étais mais, le sol constitué de pierres humides n'était pas très confortable alors je m'empressais de me lever, profitant de la surprise de l'homme pour voir ses yeux à travers son épaisse frange. En vain, dans un mouvement de recul il détourna le visage mais, ne relevant pas cela il me tira vers les cellules.

Alors même que j'apercevais celle de mon fantôme que mes deux accompagnateurs avaient disparus je ne sais où.

Son regard croisa le mien.

Lash.

FlügelWhere stories live. Discover now