Chapitre XXIII

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                                                           Les séquelles du temps

Mon front touchait la fine couverture du lit ; tête inclinée je présentais pour la toute première fois des excuses à quelqu'un d'autre que mes parents. N'ayant qu'un simple silence en guise de réponse, j'ignorais si je devais me relever.

- " C'est bon, je te l'ai dis... Pff si quelqu'un m'aurait dit un jour que tu ferais ça, je lui aurais ri au nez... Tu m'épates, Eulet." balbutia Lash après un long moment d'hésitation.

Quand je levais finalement le visage, je vis celui de mon professeur. Il m'amusait tellement ; une fine pellicule rosée éclairait ses joues, détournant le regard il semblait comme un petit enfant gêné. Je sentis mes lèvres s'allonger en un grand sourire en l'entendant prononcer pour la première fois mon nom.

Il ne devait pas être habitué à des remerciements ; depuis que je suis à la guilde j'ai bien remarqué que tous le monde était intimidé par sa force. Il n'a pas la gentillesse apparente du Maître, pour voir ses qualités il faut le connaître. Moi-même je les ignore encore.

Toutefois, voir mon tuteur si vulnérable, si innocent me rappelait tant de choses...

Les souvenirs de mon départ me revenaient en tête. Je ressassais encore parfaitement l'espoir qui m'avait envahi quand je suis montée dans la diligence. Cependant, la réalité m'avait si vite rattrapé, le premier choc de notre voiture et les cris incessants des premiers succombants des gobelins ; ils imprégnaient encore mes rêves.

- " Ah la la... Décidément, j'ai vécu plus de choses en quelques semaines qu'en une dizaine d'années d'existence... La maison, la diligence, les gobelins, la Virace, les pauvres femmes, l'Ange... Toutes ces aventures en si peu de temps..." soupirais-je en contemplant l'ombre de la fenêtre s'étirer sur le vieux parquet.

Je ne parvenais pas à savoir si j'avais fait le bon choix, fallait-il mieux ignorer la dureté de la réalité et vivre dans l'ignorance et l'oisiveté ou était-il préférable de connaître son propre monde, celui dans lequel on naît pour mourir ?

Seul la barbichette de Père et le magnifique chignon de Mère me revenait en mémoire, répondant à mes songes. Je me demandais ce qu'ils pensaient, m'ont-ils abandonné ? Cherche-t-il à me revoir ? Seraient-ils de mon avis, penseraient-ils qu'un oiseau doit un jour s'envoler dans le ciel ou refusaient-ils de le voir quitter les barreaux de sa cage dorée ?

Me sortant de ma mélancolie, j'entendis un vague bruit sourd s'échapper de la bouche de mon aîné. Comprenant que je m'étais perdue dans mes pensées, je m'excusais en riant amer, ne voulant pas l'inquiéter plus longtemps :

- " Aaah ! J'en ai vécu des choses en si peu de temps ! Et tout ça, c'est grâce à toi ! Merci encore pour toutes les fois où tu m'as sauvé ! Comme dirait le Maître ; Je t'en dois une !" affirmais-je en souriant de plus belle.

Lash lui-même grimaçait un petit sourire, toujours peu enclin à extérioriser ses émotions. L'ambiance s'était étrangement détendue ; ne disant rien, seul le léger bruit du vent filant entre les arbres lointains se propageait dans l'air. Le brouhaha des aventuriers harassés semblait même évanouit dans le calme de cette nuit.

Je sentais encore la chaleur de son étreinte la nuit précédente. Avec cette rixe contre les fameux gardes de la capitale, j'en avais presque oublié la chaleur de nos corps si proches, son souffle haletant contre ma nuque, les battements désunis de nos cœurs, l'odeur du cuir de son manteau et l'humidité de notre peau qui se frôlait par endroit. Mon palpitant s'accélérait et ma poitrine semblait se consumer en repensant à cela. Je savais bien que cela était stupide surtout en sachant la raison de notre posture mais c'était la première fois que j'étais aussi proche d'un homme, même Père ne m'avait jamais enlacée. Je ne saurais même pas me souvenir de sa main sur mon épaule, ignorant si cela fut déjà arrivé ne serait-ce qu'une fois.

Soudain, les traits de Lash se durcirent. Je sentis la couverture se froisser sous sa poigne dissimulée dans son dos.

- " Lash ? Tu as de la fièvre ? Attends, je vais chercher Sasha !" me précipitais-je en voyant son visage de plus en plus souffrant. Je ne réfléchissais plus, je savais bien que je n'avais aucun moyen de l'aider contrairement à Sasha ; je ne pouvais prendre soin de lui comme le ferait une femme aussi honorable que mon aînée. Je serais toujours redevable de cet homme, ne pouvant pas l'aider comme elle pourrait le faire.

J'allais me lever de son lit pour prévenir mon hôte quand je sentis une main s'agripper fermement à mon bras.  Je ne parvins pas à dire un mot ; la douleur que je ressentais me faisais tressaillir.

D'une main ferme, Lash me retenait. Je ne comprenais pas, il ne disait rien et les mèches trempées de sueur de ses cheveux masquait ses yeux. Puis, d'un geste violent il me tira vers la fenêtre.

Mes jambes heurtèrent le lit et me firent tomber sur le matelas. Je voulais lui demander de me lâcher mais, une sorte de peur et d'angoisse similaire à celle que l'on ressent devant un monstre m'empêchait de dire un mot.

Affalée sur le couchage, je ne comprenais pas ce qu'il se passait ; à peine je fus retombée que mon tuteur s'était précipité au dessus de moi. Me retenant au niveau des bras grâce à la force de sa poigne et bloquant mes jambes à cause de ses genoux contre ma robe, je ne pouvais plus bouger. De toute façon, même si je le pouvais je n'aurais rien su faire tant il paraissait effrayant à cet instant.

Ses lèvres toujours closes en une expression indéchiffrable, il me toisait sans que je ne voie ses yeux. Le souffle court, j'attendais apeurée qu'il ne daigne dire un mot.

Lui aussi soufflait douloureusement, à cet instant je songeais plus à la probabilité que ses plaies se rouvrent qu'à sa façon de me retenir contre son lit.

Toutefois, c'était loin d'être sa première préoccupation à ce moment.

FlügelWhere stories live. Discover now