Interlude II

59 10 16
                                    

Et ainsi sonne le glas

                   " Cœur inerte et sang croupissant dans les veines,

                   La mort les emporte mais ton nom demeure en nos rangs et nos peines.

                   C'est l'envers du décor,

                   Immaculé, presque parfait.

                   Tous ignorent,

                  La marre rouge qui leur déplait.

                  Et placuit Deo facta, hoc est, ubi te iter finem.

                  Himmel caelo non sit unus.

                  Non auferetur tibi usque adeo ut si cadere in lacrimis, in albis spectat nubibus.

                 Tes actes ont honoré nos noms.

                  Ton corps n'est peut-être plus mais,

                  Les coups que tu as portés,

                  Eux, ont nourri nos ambitions.

                   Ton destin sera le mien, alors,

                   Juste le temps de les atteindre,

                  Avant de voir le soleil s'éteindre,

                  Laisse moi vivre jusqu'à ma mort."



Le vent sifflait dans nos oreilles une fois que nous ayons fini d'entonner "l'hymne à la mort" de Himmel.

Pour la première fois depuis le début du festival, les cortèges, les musiciens et les fêtards s'étaient tus, laissant un bruit inhabituel s'engouffrer dans la capitale d'ordinaire grouillante de bruits ; le silence.

Tous les Paladins et membres de la guilde de la capitale, sans exception, étaient réunis dans le jardin colossale de la Cathédrale secondaire de Dämonenblut, une brume mystérieuse sombrant dans l'atmosphère funéraire.

Répartis entre les chemins de pierres serpentant les parcelles d'herbe verte, nous observions, durant une minute de silence, l'immense monument de pierre blanche qui trônait désormais en ces lieux.

Il était gigantesque, d'à peu près huit mètres de hauteurs pour trois de large. Il s'agissait d'une simple colonne rectangulaire cependant, il reluisait d'un éclat propre à certains lieux que l'on peut qualifier de mystique. L'oiseau, à l'image d'un rapace aux ailes d'anges qui enveloppe de ses ailes majestueuses le sommet où il repose rappelait celui représentés sur le blason de la capitale mais, à contrario de cette dernière, un autre symbole est incrusté dans le monument et symbolise la garde des Paladins. Là, dans le grand bec de l'animal, une pomme d'un rang sanglant s'oppose au blanc immaculé de la statue. Aucun nom n'est prôné dessus, il honore humblement tous les Paladins morts au combat, de vieillesse, de maladie et de toutes les autres raisons pouvant mettre un terme à leur vie, rien de plus.

- " Retournez à vos postes !" clama soudainement Celian, la minute achevée.

A ces paroles claires et sans une once de miséricorde, la plupart du personnel s'en alla, abandonnant le monument cependant, tous les Paladins et membres de mon Ordre restèrent devant la stèle, sans un bruit.

- " Grand frère..." me murmura Hel, d'une voix bien plus tendre qu'à son habitude, la mine soucieuse.

Je reniflais un grand coup, me mordant la lèvre inférieure avant de tenter de lui octroyer un sourire bienveillant mais, notre commandant lui intima d'un geste de la tête de s'en aller avec les hommes restants.

Une sorte de reconnaissance naquit brièvement dans mon esprit, vite balayé par des larmes que je refusais de laisser sortir. Je devais garder la tête haute, c'était mon devoir.

- " Pleures si l'envie t'en prends, Bobin Etzel Oden. Personne ne t'en tiendra rigueur. Après tout, c'est bien la première fois qu'un de nos membres meure dans le tournoi..."

J'éloignais mes petites lunettes rondes de mon visage et essuyais avec l'un de mes doigts les larmes qui perlaient à mes yeux humides avant de papillonner des paupières pour sécher les nouvelles pleurs qui désiraient couler.

Depuis le début de ses funérailles, je tentais de conserver le sourire calme et détendu que j'affichais en temps normal mais... Ma poitrine me serrait si fort, j'avais la nette impression qu'elle imploserait d'une seconde à l'autre, m'inondant du sang qui grouille dans mon palpitant. Déglutir devenait douloureux, la salive que je tentais d'avaler restait coincée au niveau de ma gorge nouée, incapable d'aligner deux mots sans faillir.

Je ne comprenais pas. Phoebe Lancelot, la sentence solennelle. Elle était promise à un avenir radieux et, même si elle était un peu idiote dans le fond, elle devait reprendre ma place de Paladin de la Colère un jour ou l'autre alors... Pourquoi ? Ou plutôt, comment ?

A l'infirmerie, quand les soigneurs ont ôté pièce par pièce son armure, jouant de difficulté, je dus me tenir fermement à l'encadrement de la porte, tournant de l'œil. Pourtant habitué aux corps abimés par les méthodes sordides de ma Hel, voir un tel spectacle était terrifiant.

L'odeur d'hémoglobine mêlée à la rouille volait dans l'air, le couvrant même d'une sorte de fumée rougeâtre qui s'immisçait dans chaque parcelle de nos poumons, rendant notre respiration difficile et animant nos boyaux d'une envie irréfutable de rendre nos déjeuner.

N'enlever ne serait-ce que l'armure du corps meurtri de Phoebe devenait le calvaire des médecins qui tapotaient, goutte à goutte, les articulations avec une sorte de fluide verdâtre. Et, à chaque morceaux retiré, une nouvelle horreur apparaissait.

Tantôt une peau pullulante de gigantesques pustules brûlés, tantôt la chair calcinée dévoilée à l'air libre. Le produit oxydant n'avait pas seulement agi sur son équipement. En s'infiltrant à travers cette dernière, il avait couvert son épiderme et ses propriétés devaient anéantir son corps. Il y avait même, parmi les parties dénudées de peau, des organes et des muscles enflées et fumant.

Quand bien même nous fûmes habitués, tous, sans exception, durent vomir le peu de nourriture que contenait leur ventre, estomaqués par un résultat si macabre. L'enterrer ainsi relevait même du blasphème et, malgré notre dévotion, nous dûmes nous résigner à l'incinérer dans la journée pour éviter une éventuelle propagation de bactéries. De fait, seules quelques poussières séjournent en dessous de la statue.

- " C'était une vision difficile à supporter. Sans l'adrénaline, sa douleur aurait été insoutenable. C'est d'ailleurs cela qui lui a permis de poursuivre le combat, sans cela, elle se serait écroulée à l'instant même où le produit aurait atteint sa peau." annonça Celian, scrutant la stèle à mes côtés.

J'acquiesçais d'un signe de tête, ne sachant quoi répondre ni si ma voix résisterait aux sanglots qui l'inondaient. 

- " Phoebe Lancelot, la sentence solennelle. Elle qui désirait dévouer sa vie à l'Église pour répondre à l'ambition de ses parents, anciens aspirants rêvant d'intégrer nos rangs, les aura plus honoré. Sa vie fut courte, certes, mais, son ultime combat en a certainement inspiré plus d'un. Désormais, c'est à nous d'être à la hauteur de la mémoire qu'elle nous a légué." poursuivit mon commandant, sans que son timbre ne laisse entrevoir la moindre émotion.

Cependant, cette fois, les mots sonnèrent comme une évidence dans mon esprit :

- " Oui. Nous serons à la hauteur. Je jure de tout faire pour respecter son dévouement. Et puis,un Ange nous espionne peut être depuis son perchoir, aujourd'hui, qui sait ?"


FlügelWhere stories live. Discover now