Chapitre XXII

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Un pas de plus vers le paradis

Je resserrais machinalement le lacet qui maintenait la natte dans mes cheveux une nouvelle fois avant de regarder mon reflet dans le miroir.

Est-ce correct de rencontrer la Matriarche, la plus haute instance de la religion, avec une épée comme celle-ci ? Enfin, je ne vais pas me rendre chez celle qui a ruiné ma vie sans prendre mes précautions, tout de même... songeais-je en détaillant mon arme sous toutes ses coutures.

- " Mademoiselle, êtes-vous enfin prête ?" m'apostropha soudainement un cocher, me sortant net de mes pensées.

L'homme à l'allure squelettique accoudé contre l'encadrement de la porte, tapotait nerveusement ses doigts contre son autre main, attendant que je daigne enfin le rejoindre. J'ignorais pourquoi mais il inspirait encore plus la méfiance que ses compères. Peut être est-ce ses cernes gigantesques qui surplombaient ses joues pâles et creusées ou bien sa calvitie naissante sur le dessus de son front strié de rides mais, en tout cas, ce petit homme patibulaire ne devait augurer en aucune façon un bel avenir pour ses croyants.

J'acquiesçais d'un ton qui aurait pu glacer le sang de n'importe quel Samayō yuki de Forböm, ne le laissant geindre ou même protester.

- " B-Bien... Alors, nous partons pour la Cathédrale blanche ! J-Je vous ramènerais à cette auberge dès la fin de voter entretien, b-bien entendu !"

Sans lui répondre, je prenais place dans la calèche de fortune qui devait me guider à la Matriarche. A travers la vitre, je distinguais les silhouettes inquiètes de mes camarades.

Qu'ils sont bêtes, songeais-je en tournant les yeux vers l'avant.

Je ne voulais certainement pas avoir un incident avec ce cocher de pacotille, ma première sortie dans ce genre de véhicule de location me laissant un mauvais souvenir, il était hors de question de quitter une seule fois le regard de mon chauffeur.

Quand il commença à lancer les chevaux en marche, mon corps sursauta sous le choc. Loin de faire dans la délicatesse, les destriers, à l'origine de trait, marchaient lourdement et faisaient tanguer la caravane à chaque fois qu'un caillou passait sous les roues bancales du char.

Et bien, pourquoi doit-on m'escorter déjà, m'interrogeais-je avec dépit, fermement accroché à ma banquette de fortune.

En traversant la gigantesque ville de part en part, on pouvait constater les différences de richesse de manière flagrante. Si pendant la fête, tout le monde mordait au moins dans un quignon de pain frais ou crouton tombé par terre sors de l'agitation, là, la plupart des misérables gens était soutenu par les vieux murets des maisons tant leur corps décharné ne pouvait plus les supporter. Et puis, les quelques personnes ayant les moyens de porter dans leur panier un peu de viande qui n'était pas avariée ne pouvaient se permettre de faire l'aumône, risquant de succomber à la famine et la pauvreté errantes.

Parfois, on tombait sur des spécimens parmi la ville ; des hommes-races issus des pays étrangers, captifs de Himmel, qui étaient emmenés jusqu'au Pavillon d'adamante aussi appelé "cirque des bêtes" par ses opposants. Enchaînés au cou et à toutes les articulations, la marche était difficile mais au moindre ralentissement, un coup de fouet était là pour faire avancer les troupes épuisées. A côté, les passants jugeaient bon de baisser la tête, trop effrayés par les crocs acérés et l'épaisse fourrure des bêtes humaines qui se traînaient lourdement.

Le monde est beau, pas vrai, ironisais-je en observant ce spectacle se répéter dans toutes les rues traversées par ma calèche.

Après une bonne demi-heure de chemin, le véhicule arrêta enfin sa course chancelante. Je sortais de la cabine, sans attendre que le cocher ouvre la porte. J faillis perdre l'équilibre à ma descente en levant les yeux vers notre destination finale.

- " N-Nous sommes arrivés, Mademoiselle ! Vous voilà devant la plus grande Cathédrale d'Himmel ! J'ai nommé la Cathédrale blanche !" annonça fièrement le squelette vivant, le torse gonflé d'orgueil.

Une immense tour surplombait la masse nuageuse qui s'accumulait autour d'elle. Absolument dépourvue de la moindre trace d'imperfections, on ne distinguait pas les joints entre les briques blanches qui avaient du servir à la construction de cet édifice. Pas même de faibles interstices servant de fenêtres n'étaient présentes, rien ne perçait la muraille blanche qui s'élevait jusqu'au paradis, sans doute.

Avec sa taille au moins vingt fois supérieure à celle du château royale, il était difficile de croire qu'il s'agisse de l'œuvre d'humains. Des siècles entiers durent être consacrés à la fabrication de cette endroit pourtant si sobre d'apparence, dépourvu de fioritures contrairement à la Cathédrale secondaire.

C'est peut être ça, l'ouvrage d'un Dieu ?

Et pourtant, à l'endroit le plus haut que l'on puisse voir avant que la tour ne soit engloutie par les nuages, une quantité inimaginable de cendre noire laissait entrevoir les traces de gigantesques explosions à cet endroit, une fumée odorante s'échappant en permanence du rayon carbonisé. L'apparence donnait l'impression que les coups étaient surpuissants cependant, la tour n'était nullement ébranlé par cette quelconque attaque.

A la vue de ma surprise incontrôlable, le cocher squelettique invita l'évêque, venu à notre rencontre, éclairer ma lanterne :

- " Cela n'a rien de surprenant, vous savez ? Pour nous autres, cela relève presque du commun. En fait, cette partie de la Cathédrale est couverte d'un alliage de métaux et, sert de para-tonnerre à notre belle capitale. Ainsi, à chaque orage, la foudre est immédiatement attirée vers cet endroit et épargne la ville, telle la protection divine. Bien entendu, il est évident que cela laisse quelques traces mais, si ce faible sacrifice permet d'épargner la vie de nos croyants alors, cela est bien peu onéreux. Nous suivons juste le souhait de notre Matriarche, la clémence céleste incarnée. "

Je n'y comprenais plus rien... Comment la personne capable de faire tuer un de ses pions pouvait-elle protéger, au péril de sa résidence, la population des catastrophes naturelles ? Je sais bien que la foudre est dangereuse, un simple orage se révélait sans cesse comme un désastre incommensurable à Ladsen, la ville d'acier mais... Ces actes sont tous si contradictoires !

Coupant court à ma réflexion, le religieux, bien plus sympathique que son collègue, m'entraîna vers une plateforme circulaire située devant l'entrée de la Cathédrale, soigneusement gardée par un homme en bure blanche extrêmement paré, sans doute plus haut dans la hiérarchie que tous les autres prêtres que j'eus rencontré avant .

- " Bonjour, je vais vous escorter jusqu'à notre Matriarche. En temps normal, nous utilisons les portails à l'intérieur du bâtiment mais les étrangers ne sont malheureusement pas autorisés dans l'enceinte de cette terre sacrée. De fait, je vais vous emmener, en soulevant cette plateforme, jusqu'au sommet de l'endroit, là où se trouve la Matriarche puis, j'ouvrirais une brèche temporaire dans le mur où vous pourrez passer."

Et ainsi, conformément à ces surprenantes explications, il réalisa exactement ce qu'il avait annoncé. De ma nature plutôt effrayé par la magie qui m'est totalement nouvelle, je m'étais contentée de fermer les yeux à son utilisation mais, quand je les eus à nouveau ouvert, la seule chose qui hypnotisa mon regard fut la fameuse Matriarche, postée à l'endroit où la brèche fut béante...

Est-ce que je rêve, m'interrogeais-je en mon for intérieur, incapable d'émettre la moindre réaction face à la personne figurant devant moi.

FlügelWhere stories live. Discover now