Interlude

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Que ton âme repose en paix

Mon épée manqua de peu le corps de mon adversaire, laissant le métal trancher l'air dans un sifflement assourdissant.

Mes mains se cramponnèrent davantage au pommeau de l'arme. Je les sentais se crisper mais j'étais incapable de m'arrêter. Mes muscles se contractaient alors que la sueur ruisselait sur eux.

Mes yeux brûlaient. Le sable encore présent les rongeait avec voracité et attisait la rage qui faisait feu en moi. J'avais beau les ouvrir grands, mes pupilles dilatées ne parvenaient plus à voir avec distinction ce qui m'entourait. Les veines qui pullulaient dans mes globes oculaires finirent par éclater. Le blanc de mes yeux se teinta d'un liquide écarlate qui recouvrit mes iris.

Je ne voyais plus rien. C'était comme être enfermé dans un monde noir et étouffant ou de multiples drapées sanguins se ploient.

Pour la toute première fois de ma vie depuis que j'avais rejoint la glorieuse équipe des Paladins, mon corps tout entier tremblait d'effroi.

La bile remontait mon œsophage en dessinant un sillage dévorant sur son passage. Dans un réflexe, mon avant-bras se porta aussitôt à mes lèvres pour m'empêcher de la laisser ressortir. Serrant les dents, je déglutis finalement tout ce fluide répugnant. Seul un lourd bruit d'avalement témoigna du dégoût qui commençait à bouillir dans ma gorge.

Ma tête allait exploser tant le flux d'émotions qui m'assaillait dépassait l'entendement. J'expirais de plus en plus vite, mon cœur battait à une cadence telle qu'il aurait pu cesser de fonctionner d'un instant à l'autre. Les cris de la foule bourdonnait dans un affreux écho lointain dans mon esprit surchargé. Mon pouls, mon souffle, le bruit, l'air ; j'avais l'impression que le monde entier s'emballait à la même manière que mon corps le faisait en ce moment même.

Soudain, toute la folie et la démence qui croissait en mon âme depuis le début de la joute envahit mon corps et se déchaîna en un hurlement d'aberration :

- " T'es loin d'être sortie d'affaire, Eulet !" vibrèrent mes cordes vocales.

Dans un élan d'adrénaline et de dopamine, mes pieds balayèrent le sol et me propulsèrent au loin. En quelques enjambées, ma progression et ma vitesse surhumaine me conduisirent à moins d'un mètre de l'adversaire qui m'avait mise dans cet état. Tout du moins, bien que je ne pus rien voir, je pouvais encore sentir l'odeur de peur et de désespoir qui émanait de chaque être en tête à tête avec la mort ; confirmant mes pensées.

Je rabattais soudainement mes pieds, jonglant mes appuis de la voûte à l'os avant, pour finalement bondir à une vitesse effrénée droit sur ma cible. Arme brandie en estoc, je ressemblais à une bête sauvage se jetant sur sa proie acculée contre le mur du Colisée mais qu'importe, je voulais juste en finir, éliminer celle qui m'avait mis dans ce piètre état.

Malheureusement, le peu de mon esprit encore intact songeait avec dépit de ne plus pouvoir discerner la terreur qui devait plomber les si jolis traits de cette bourge insipide. Un hurlement vrombit l'air pour chasser mes songes inutiles lors d'une joute.

Et puis, tout se joua en ce bref instant.

Toutes les articulations de mon armure furent comme gelées. Impossible, même avec toute la force du monde de les remuer ne serait-ce que d'un millimètre, seul un grincement strident résultait de mes innombrables tentatives.

Un petit soupir apaisé me parvint brutalement :

- " Ouf... Juste à temps..." sourit Eulet, l'épouvante persistant encore dans sa voix.

Quoi ?! Je n'y comprends rien, comment ?! Pourquoi ?! Qu'est-ce qu'il m'arrive ?! m'interrogeais-je sans répit.

Je ressassais instinctivement tout le déroulement des évènement dans mon esprit affolé. Tout d'abord, je l'ai jaugée avant de l'écraser sans difficulté... Après, elle a fait ses jérémiades... Oui, oui... réfléchissais-je avec une rapidité déconcertante, ma position fermement ancrée ayant pour cause ce que je recherchais vainement.

Puis, comme si toute l'obscurité qui s'était emparé de mon cerveau s'évanouissait après un éclair, je compris ce qu'il s'était passé en songeant à nouveau à ce moment.

Quand elle m'a frôlé, juste après qu'elle m'eût frappé dans le dos avec le plat de sa lame.

Durant cet infime laps de temps, elle avait profité de la confusion pour arroser mon armure d'un produit de type "hydroxyde" en grande quantité pour enrayer mes mouvements sans même savoir si cela aurait une chance sur un milliard de fonctionner. C'était un plan suicide, une tentative vouée à l'échec et pourtant... Son pari était une réussite...

Le métal qui composait mon équipement était d'une noblesse exceptionnelle, en temps normal, une telle chose aurait été insensée mais, c'était sans compter sur mon état.

J'ignore si tout cela était calculé ou si une chance débordante auréole cette gamine mais, toutes les veines qui ont succombé à la pression exorbitante de mon palpitant et explosé ont pour la plupart fait céder ma peau et laisser une abondance de sang noyer mon armement. Toute l'eau contenue dans ce dernier et son produit étrange s'entraidèrent pour m'enliser petit à petit sans que je ne m'en aperçoive à cause de la folie qui proliférait dans mon âme à cet instant. Les effluves sanguines couvraient l'odeur du produit alchimique et me persuadaient de contrôler cette situation hallucinante.

Jouant de malchance, ma course s'était arrêtée là, à moins d'un mètre de mon adversaire qui pointait désormais son épée sous ma gorge devant les yeux, sans doute ahuris, du public qui retenait son souffle comme un homme.

- " La victoire revient à Diane Eulet de la guilde de Rosran !" déclara enfin la sœur qui, elle-même, n'en croyait pas ses orbites.

Ça y est, c'est fini, songeais-je fébrilement... La sentence était tombée tout comme mon corps qui ne pouvait plus se porter avec cette profusion de blessures en tout genres.

Mon regard aveugle se tourna sans qu'aucune pensée ne puisse l'atteindre vers le soleil qui le baignait de ses rayons.

J'ai perdu ? Pourquoi... ma colère semble avoir disparue ? J'ai pourtant faillit, je risque de subir une nouvelle fois le courroux de cette timbrée de Hel, voire pire... Peut être une mort longue et douloureuse comme elle sait si bien le faire ? Alors... Pourquoi ?

Je ne ressentais rien. Même les acclamations, d'ordinaire dérangeantes, n'auraient pu me déloger de cette bulle de paix et de sérénité qui m'enveloppaient délicatement. Un faible sourire nait sur mes lèvres et les flots d'hémoglobine sur mon visage ruisselaient désormais avec tranquillité.

Peu de temps après l'annonce des résultats, une ombre se dressa et empêcha la chaleur du rayonnement solaire de m'atteindre :

- " Alors, maintenant, peux-tu répondre à  mes questions ?" demanda doucement mon adversaire qui semblait avoir perdu toute envie de se battre.

Je réfrénais un léger rire :

- Ouais... J'imagine que là, tu es en position de me les extorquer... La Matriarche... Je sais... pas ce qu'elle fout, elle est tellement... Supérieure à nos faibles esprits d'humains... J'ignore ce qu'elle cherche, j'obéis à ses ordres, c'est tout. Mais... pour le masque,... c'est un simple masque qui a été enchanté par la Colère pour tromper l'ennemi... N'importe qui l'aurait deviné... Tout le monde sait ce qu'il peut faire, c'est même lui qui... a envoûté l'arme de la Paresse... Franchement... Comment as-tu pu me berner comme ça alors que... T'es pas fichu de deviner un truc pareil ?" haletais-je à ma concurrente, mon sourire s'étirant davantage sur mes lèvres éclatées.

Eulet sembla surprise d'après le petit bruit qui s'échappa de sa bouche mais elle n'en dit rien, se contentant de rejoindre les loges alors que des médecins se bousculèrent à mon chevet.

Cette fille, c'est du n'importe quoi, riais-je en mon for intérieur dans un dernier souffle avant que mon corps ne s'effondre au sol, inanimé.

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