Chapitre III

61 10 38
                                    

" Quand une chose n'a plus de nom, elle disparaît."

- Pierre Turgeon, homme de Lavanie

La lame de mon épée s'abattait frénétiquement contre le tronc du grand arbre qui surplombait la clairière.

J'y mettais toute ma force, toute ma colère, toute ma frustration et pourtant, seules quelques entailles marquaient le tronc qui avait déjà connu des attaques bien plus impétueuses dans toute sa longue existence.

Le visage de ce fameux tueur se superposait à l'écorce noire et mes poings se resserraient autour de la garde. J'accélérais la cadence, frappais de plus en plus fort jusqu'à ce que l'épée finisse par s'encastrer dedans.

Autant mes coups se révélaient inutiles, autant me défouler face à ce vénérable végétal ne suffisait pas à calmer la tempête qui faisait rage dans mon esprit.

Je voulais sincèrement l'abattre, abattre ce gigantesque chêne qui m'avait abrité, le temps d'une nuit, dans les bras de ce monstre. Ce même arbre sous lequel je reposais après que être tombée dans la rivière. Je savais bien que cela ne changerait rien au passé mais, j'avais tellement besoin de le voir mourir, en substitut de celui que je ne pouvais pas tuer.

Par ailleurs, le ciel paraissait aussi tendu que moi et se recouvrait d'épais nuages gris, comme ce jour-là où la pluie a déferlé. Enfin, je retirais mon arme et cognais à nouveau le chêne en déployant toutes mes cordes vocales pour chasser d'un cri les souvenirs de cette créature inhumaine lors de cette nuit-là.

Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Cette question hantait mon esprit où trônait fièrement le criminel. Mais, au final, je ne savais pas si je souhaitais réellement entendre une réponse, son attitude démontrait qu'il ne s'agissait pour lui que d'une fantaisie ; un simple caprice d'enfant.

Cependant, mes pensées oscillaient de son visage à cette véritable provocation du monde.

************ Quelques heures plus tôt ************

- " Ouais, j'lai buté." résonnait en boucle dans les esprits présents dans la salle.

Le ton monocorde avait lequel il avait été prononcé exposait clairement la réalité ; il avait tué Klaus Hênnes et, n'avait nullement envie d'y trouver une raison et de se défendre. Bien que cela ne soit pas l'effet escompté, tout le monde vit ses propos comme une provocation cependant, ce fut Keith le plus atteint.

La frustration dessinait ses traits d'ordinaire si enjoués, en éternel optimiste, on pouvait ressentir tout son désir d'innocenter son subordonné. Ses mains frémissantes ne faisaient qu'afficher son obstination de croire celui qu'il voyait comme un fils. Ses yeux reluisaient d'émotions, on aurait cru que des larmes allaient rouler sur les joues de ce géant guerrier sans qu'il ne tente de les arrêter.

Puis, après avoir bruyamment ravaler sa salive, il jeta lourdement l'homme. Brutalement propulsé au sol, il se releva et dépoussiéra son manteau. La culpabilité ne l'accablait aucunement, que cela soit d'avoir tué un homme comme blessé la personne qui croyait le plus en lui.

- " Fous le camp. T'as plus ta place ici." souffla le Maître.

Sa voix était brisée, au moins autant que son propriétaire était anéanti. Il tournait désormais le dos à l'accusé. Cela s'apparentait presque à une demande, comme si le Maître l'implorait de l'achever maintenant, afin qu'il ne le déçoive pas davantage. Mais, ce n'était pas une simple tristesse, on entendait bien au fond de sa gorge chevrotante cette violente colère qu'il retenait.

- " Crétin" pensais-je avoir entendu Keith pester.

Après avoir demandé aux gardes de prendre ce qu'il étaient venus chercher, il s'en alla d'un pas lent dans son bureau, emportant sur son passage une bouteille d'alcool posée sur une table.

J'avais mal, ma poitrine était douloureuse. J'avais l'impression qu'elle imploserait d'une seconde à l'autre ou, au contraire, s'arrêterait de battre d'un seul coup. Comment la situation avait-elle pu finir ainsi ? Cet homme qui avait accueilli le retour de son employé dans un festin digne d'un roi lui tournait les talons, ne croisait même plus son regard, ignorait son existence et souhaitait qu'elle prenne fin ici-même.

Le criminel, lui, se laissa faire. Les soldats l'attachèrent sous mille chaînes sans que celui-ci ne s'en plaigne ou ne s'y intéresse. La seule chose qu'il fit, ce fut de me lancer une brève œillade, susurrant qu'il n'aurait pas à supporter la faiblesse de sa mauvaise élève.

Comme une détonation, comme l'éclair qui m'avait poussé à l'arroser lors de notre première mission, je lui jetais une choppe de verre au visage, laissant sur son sillage un arc d'alcool. Il s'écarta légèrement de sorte à ce qu'elle éclate sur son épaule sans faire le moindre dégât.

La surprise n'avait même pas traversé son visage, prouvant qu'il s'attendait à ma réaction et, après m'avoir souhaité un bon courage pour la suite empli de sarcasme, il rentra dans la charrette des gardes sans accorder un regard à la guilde qui l'avait accueilli durant des années sans doute.

On s'attendait maintenant à ce que les soldats s'en aille mais, le capitaine nous interpella avant son départ :

- " Tenez, on nous a demandé de vous remettre ceci." nous transmit le subalterne en nous tendant une lettre cacheté d'un emblème religieux.

Personne ne voulut la lire mais, piquée au vif, Sasha qui n'avait rien dit durant toute l'interpellation s'en occupa.

- " Il s'agit d'une invitation. Diane, tu es priée de participer au grand tournoi de la capitale. Nous allons écrire un message la déclinant, il s'agit sûrement d'un piège. Ne t'en fais pas, ce n'est rien. La seule chose étrange, c'est qu'il t'est demandé toi, bien que ces invitations soient nécessairement nominative, la logique aurait été de le proposer à un combattant plus ''reconnu'', si j'ose dire."

- " Que gagne le vainqueur ?"

Je l'avais demandé d'une voix blanche, sans réfléchir. Agissant de manière impulsive, cette question n'était pas sincère, je l'avais demandé pour comprendre. Après tout, me convier juste après avoir arrêté mon professeur n'était pas sans raison, n'est-ce-pas Matriarche ?

Sasha, comme tous les autres, furent pris de court, surpris qu'une personne comme moi envisage réellement de participer à une compétition de combat mais, elle répondit de manière quelque peu hésitante, tout de même :

- " Et bien, il a le choix entre un gain de quelques milliers de pièces d'or et une demande d'audience auprès du roi, de la reine, des héritiers ou de la Matriarche et ses ministres mais, tu n'es pas sérieuse Diane ? Tu ne participeras pas, hein ?"

- " J'accepte. Je combattrai, gagnerai et réglerai mes comptes avec cette vieille peau de religieuse." affirmais-je d'une voix sans appel.

Je comptais bien discuter avec cette cheffe, je veux qu'elle libère mon ancien professeur. Après ça, je pourrai lui faire subir toutes les tortures qu'il s'est permis de faire à Klaus Hênnes. Ce dernier n'était peut être pas blanc comme neige mais, lui aussi, avait ses propres raisons d'agir bien qu'elles ne soient pas les bonnes.

Lash, dorénavant, tu n'es plus rien. Tu n'as plus de nom. Ton existence est réduite à néant et ce, par tes propres actes.

Je jure de te le faire payer.

FlügelWhere stories live. Discover now