Interlude II

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                                                           Monument

Quelques membres de la guilde et moi buvions tranquillement au bar depuis le départ de Lash et de mon invitée. J'étais un peu anxieuse à l'idée que Lash ne la supportes pas et la blesse mais sa peur d'être viré me rassurait.

- " Dites-moi, Yvan, pourquoi avoir donné cette requête à la nouvelle ?" s'enquit le barman en train de me servir une choppe d'alcool.

- " Cela lui servira de test. Nous n'avons pas besoin de personnes incapables de répondre à ce genre de demande." débita posément le Vice-Maître qui avait enfin quitté son bureau.

- " Il n'y a pas que ça, si elle peut supporter ce genre de choses alors elle peut être un bon élément." avais-je renchéris.

Le Maître ria de manière amère avant d'ajouter que si elle le "supportait" alors elle pourrait passer Maître car lui-même n'y parvenait pas, comme nous tous. Je pouvais encore voir les images nettes des premières femmes que j'avais tué ; atroce. Parfois, la nuit j'entendais encore les cris de douleurs et les supplices de la mission. Il arrivait même que des enfants se ruent sur leurs mères ou sœurs, pensant qu'elles allaient se réveiller en secouant leur corps inerte. Occire des personnes qui n'étaient au final que des victimes et voir leur famille hurler à en perdre la voix était déchirant mais nous n'avions pas d'autres choix.

Bien sûr, Keith faisait aussi allusion à ce qu'il s'était passé ce jour-là mais, au grand jamais nous ne nous en remettrions... et ce n'était pas le moment de ressasser ce genre d'événement.

- " Sinon, elle était plus assurée aujourd'hui, vous ne trouvez pas ?" commenta brusquement Sorret, constatant que l'ambiance était devenue lourde.

J'avalais de travers avant de lui répondre de manière un peu trop directe, sans doute à cause de l'ivresse naissante.

- " Elle était bien trop coincée, hier ! Si je ne faisais rien elle n'allait jamais pouvoir s'intégrer ni même répondre à Lash alors... J'ai mis un petit peu d'alcool dans son petit-déjeuner." affirmais-je en débitant rapidement mon acte.

A cet instant, tous les regards furent braqués sur moi. Sorret me regardait d'un air déconcerté, presque outré. Certes, cela pouvait paraître surprenant mais si je n'avais pas vider ma dernière bouteille dans son repas, je pouvais être sûre qu'elle n'aurait jamais pu tenir tête à Lash ni même être un minimum décoincée devant les autres membres de la guilde, tous d'origine modeste. Après tout, elle n'est pas spécialement timide, juste un peu trop "bien élevée" pour cet endroit malfamé.

- " Si vous l'aviez vu hier, au dîner, vous ne me regarderiez pas de cette manière. Elle est plus coincée qu'une porte de prison. Vous le savez mieux que quiconque, une femme doit s'affirmer ici, entourée de poivrots comme vous." me justifiais-je, une lueur de défi dans le regard.

Après quelques choppes de plus, lorsque Seth, notre général, fut rentré, Keith ; le Maître se leva. Il nous arrêta. Bien qu'il ne fusse pas le dernier à faire la fête, il savait toujours interrompre sa beuverie pour ce moment, ou alors, peut-être qu'il ne parvenait pas à la continuer. Qui sait ?

- " Cela serait indigne d'y aller ivres morts, non ?" avait-il déclaré d'une voix blanche avant de se diriger vers le fond de la salle.

A ces mots, nous nous sommes tous levés, sans émettre un mot, abandonnant ainsi Sorret à son travail. Lui nous couvait d'un regard inquiet et une pointe de nostalgie persistait dans ses pupilles.

Nous nous étions dirigés vers une porte, tout au fond de la guilde, dissimulée derrière les escaliers. Bien qu'elle se situe dans un coin du bâtiment, à l'abri des regards, la porte ne grinçait pas lorsqu'on l'ouvrait., peut être à cause son utilisation excessive. Elle menait à l'extérieur.

Balayé par une légère brise, les plis de ma robe ondulaient, soulevant ainsi une vague de poussière et mon chignon se défit mais je ne m'en souciais plus lorsque je contemplai le paysage. Il semblait figé dans le temps.

Tout comme les plaines Raves, d'immenses pâtures vertes s'étendaient à perte de vue et, à l'horizon nous pouvions distinguer une immense chaîne de montagnes qui tentait d'atteindre le ciel. La neige qui les surmontait se confondait dans l'immensité de la voûte bleutée où même les nuages n'osaient perturber la beauté du panorama. Au pieds des hauteurs neigeuses s'épanouissait une épaisse forêt. Sa couleur d'un bleu-vert assez sombre contrastait avec la clarté des sommets conférant une atmosphère enchanteresse au lieu. Une beauté intemporelle et puissante se dessinait devant nous.

Cependant, quand nous dirigions notre vue vers les éléments les plus proches, l'admiration laissait place à de profonds sentiments indescriptibles. Un cercle de prairie s'était formé où de nombreuses fleurs colorées poussaient à même la terre. Un simple petit banc de bois décorait son extrémité. En son centre trônait un immense monument de pierre où était gravé quelques lignes résumant l'existence éphémère d'un être parmi tant d'autres. Nous nous laissions emporter dans sa contemplation.

Personne ne disait mot. Le silence n'était pas pesant, bien au contraire. Nous avions besoin de ce temps, seul avec nos pensées, nos souvenirs.

"J'espère que tu vas bien, là où tu es. Je ne saurais te présenter suffisamment d'excuses pour implorer ton pardon. Je m'en veux tellement. Je voudrais tellement que je sois à ta place. J'aurais préféré mourir mille fois plutôt que de devoir vivre sans toi. Tu était ma raison de vivre. Tu me manques tellement. Samael... Je t'aime, tu sais ?"

Je lui chuchotais des bribes de phrases en mon for intérieur, persuadée qu'il les entendrait. J'espérais qu'il m'écoute depuis le ciel. Je serrais ma poitrine, à l'endroit où les battements de mon cœur se faisaient de plus en plus rapide et de plus en plus fort. Ma gorge se nouait et si je tentais de prendre la parole ma voix trahirait mon était. Des larmes auraient pu couler mais ils n'en firent rien, bloquées à l'endroit d'où elles devaient s'échapper.

Nous ressentions tous la même chose cependant, aucun de nous ne versa ne serait-ce qu'un pleur. Cela aurait été une injure envers lui et les autres personnes ici présentes. Nous gardions tête haute et nous contentions d'un tête à tête spirituel où seul le bruit du vent résonnait dans l'infini silence de l'endroit.

La guilde, même dans les moments de fête, respectait toujours ce moment de receuil et buvait en silence. Lorsque le ciel ne se teintait pas encore d'une lueur orangée mais que le soleil terminait son ascension pour retourner derrière les montagnes du côté des plaines de Raves. C'était presque un rituel pour chacun de nous.

Je pouvais encore me souvenir de ce moment comme s'il c'était produit il n'y a que quelques heures. Chaque trait de son visage, chaque mouvement de ses lèvres, chaque son émit par ta bouche, chaque mot que tu as dit, chaque ondoiement de l'herbe verte, chaque effluve de sang frais, chaque bruissement de feuilles, chaque caresse du vent, chaque larme versée, chaque détail s'était imprégné dans mon esprit, comme gravé à même mon âme. Cela été encore plus vrai quand- J'étais sûre qu'il en allait de même pour les autres personnes qui étaient avec moi devant la stèle funéraire.

Mon estomac se resserrait et mes mains devenaient moites mais nous continuons, nous aurions pu rester ainsi durant une éternité s'il fallait que nous lui disions tout ce que nous souhaitions.

Mis à part nous, personne ne se rendait ici dans la guilde, c'était comme un sanctuaire réservé à ses fondateurs. Un lieu où nous nous rendions quotidiennement, seul ou ensemble mais nous y allions. Les seuls moments où nous n'y allions pas étaient lors de nos déplacements, raison pour laquelle nous en faisions le moins possible et déléguions le plus possible les tâches qui le nécessitait.

Ce moment de deuil avait lieu chaque jour. Nous ne déposions aucune fleur, n'effleurions même pas la surface froide de la pierre éternelle mais n'en ressentions pas moins d'émotions et de douleur. Nous ne faisions qu'écouter sa volonté et n'osions pas toucher celui que nous avions tué. Samael.

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