Chapitre XXIV

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                                                      Cœur meurtri

Retenue contre le lit de Lash, je voyais les muscles saillants de ce dernier appuyer sur ses bandages. Soudain, les dernières mèches couvrant son regard tombèrent à l'unisson, dévoilant ainsi ses yeux.

Éclairés par la faible lueur de la lune, je ne distinguais pas très bien leur aspect avant, de pouvoir mieux les observer quand il approcha davantage son visage du mien ; nos souffles se mêlant d'eux-mêmes. Je crus recracher mon repas en voyant son regard.

Ses iris avaient perdues toute leur couleur. Le liquide habituellement blanchâtre autour des pupilles avaient pris une teinte grisâtre dans laquelle disparaissaient ses prunelles ; ils étaient vide. On aurait cru qu'il s'était réveillé d'entre les morts.

- " ... L-Lash ?" l'appelais-je d'une voix hésitante et apeurée.

Pas de réponse. Se contentant de me toiser de ses globes oculaires dépourvus de pupilles. Soudain, Lash ferma ses paupières et son front se tordit en dévoilant la forme de ses veines ressortissante. Il sembla souffrir pendant un instant avant de voir de nouveau.

Un sourire carnassier déforma ses lèvres et sa respiration était bruyante, pareille à celle d'un animal prêt à dévorer sa proie. Ses globes s'étaient cette fois assombris, ils ne ressemblaient plus qu'à des billes couvertes d'encre noires encore liquide.

Dans un geste d'une lenteur angoissante, il détacha sa main de mon bras droit et le fit lentement glisser le long de ce dernier. Caressant ma clavicule, il alla ensuite poser, avec bien plus de violence, sa poigne contre ma gorge brusquement.

Elles entouraient mon cou et se resserraient dangereusement, leur propriétaire se contentant de m'observer patiemment de ses deux orbites sombres et visqueuses.

- " T-Tu me fais mal..." murmurais-je tant bien que mal devant cette créature effrayante.

Que lui arrives-t-il ? Pourquoi ? Il y avait encore quelques minutes nous discutions tranquillement, pourquoi te retrouves-tu ainsi, dans cet état maintenant ? Tu ressembles à un monstre, songeais-je durement.

Sa dentition ressortaient tels les crocs d'une bête affamée, non ; assoiffée de sang. Toujours inerte, il ne bougea pas d'un pouce après avoir refermer sa main contre ma gorge. Je pensais qu'il voulait faire durer la sentence mais, en observant ses veines se tendre sur ses poignets et le long de sa main, on pouvait croire qu'il se retenait de lui-même.

Je scrutais le moindre changement sur son expression, il m'a même dit que la face d'un monstre s'il en possède une indique souvent ses prochains actes. Gardant en tête cette leçon, je remarquais un détail.

Son sourire narquois s'était effacé, laissant place à une moue de douleur et de souffrance étrange, comme si ce blessé faisait face à un effort surhumain. Un bruit rauque, comme un cri d'animal s'échappa d'entre ses lèvres pincées.

- " Dé-Dégages !" grommela-t-il entre ses dents.

Je crus qu'il m'enfonçait un poignard à cet instant, comme si mes entrailles se déchiraient sous ses paroles. J'ignorais pourquoi cela me faisait si mal mais, être chasser de la sorte fit remonter une profonde nausée dans mon estomac. Mes intestins me donnaient l'impression qu'ils s'adonnaient à une lutte acharnée pour savoir lequel m'étranglerait de l'intérieur le premier. C'était une sensation qui m'était totalement inconnue et qui était bien plus difficile à recevoir que mes ressentiments envers Sasha.

Remarquant que je ne bougeais pas malgré sa poigne plus souple et suffisante pour le repousser, il continua :

- " Fous le camp !" cracha-t-il d'un ton haineux et colérique, bien que son volume restait proche du murmure.

Nouveau coup. Bien plus direct, cette fois. Comme si ses mains encerclaient mon cœur et l'écrasaient, je sentais ma poitrine qui se compressait davantage. Je n'arrivais plus à articuler un mot.

Mes yeux commencèrent à s'embuer progressivement, puis devenant de plus en plus humides, ils se noyèrent dans des larmes restant coincées ; qui refusaient de dévaler mes joues.

Qu'est-ce que cela signifie ? Pourquoi ? Pourquoi ?! Qu'ai-je donc fait ?! me demandais-je intérieurement, ma tristesse s'exprimait dans une colère sourde, qui n'était dirigé que vers moi-même.

Je détaillais sans vraiment les voir les membres de Lash s'agiter de soubresauts. Il s'animait de mouvements saccadés puis, comme s'il n'en pouvait plus finit par porter ses mains à son cou. Presque en s'étranglant, mon professeur souffrait de martyr, sa douleur se ressentait sur son visage déformé. Il ne me retenait plus, on aurait cru qu'il se retenait lui-même, c'était un spectacle troublant qui ne parvenait pas à me faire réagir.

Je voulais l'aider au moment où je vis un liquide carmin s'étendre sur ses bandages mais mes mains refusaient de bouger. Elles s'étaient arrêtées à mi-chemin, ne voulant pas approcher plus de celui qui les avait chassé.

Après un long moment d'hésitation, je finis par me tirer hors de son lit. Dans la précipitation, je tombais au sol dans un bruit sourd en retirant ma robe de sous ses genoux, emportant avec moi la fine couverture ainsi qu'un autre objet qui atterrit sur mon crâne.

J'étais curieuse, malgré la panique je pris le temps d'observer longuement la couverture du livre que j'avais dérangé ; assez ancienne et poussiéreuse, seule le titre, qui m'était inconnu, était visible : " La complainte d'une étoile".

- " Pars." souffla froidement mon tuteur sans m'accorder un regard, toujours en entourant sa gorge de sa poigne.

Ce fut le coup de grâce. Il m'arracha du livre d'images avec ses paroles acerbes et cruelles.

Je n'étais rien, rien du tout pour lui. Il m'a vu pleurer, verser d'innombrables larmes sous ses yeux mais cela ne lui faisait rien. Me blesser ne lui faisait ni chaud ni froid.

Je me relevais, silencieuse. Mes pleurs s'étaient séchées toutes seules. M'éloignant de son lit sous la faible lueur de la nuit, la porte s'ouvrit dans un grincement avant que je ne la referme. Je le laissais enfin tranquille.

Alors, satisfait ? ironisais-je.

Constatant que j'étais la seule à en souffrir et à m'accorder de l'importance, j'explosais en sanglots. M'effondrant au milieu du couloir, profitant du chahut des fêtards au rez-de-chaussée je laissais éclater ma tristesse en des larmes et des cris enfantins.

Je ne suis rien ; même l'éducation de Père et Mère a disparue. Où est donc passé le contrôle de soi et la fierté que j'avais acquis durant toutes ces années, ont-ils seulement existé ? Ne suis-je rien de plus qu'une banale petite chose ; un brin d'herbe que l'on écrase sans pitié en épargnant les fleurs ?

FlügelWhere stories live. Discover now