Chapitre XVIII

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                                                           Alecto la belliqueuse

La silhouette de mon tuteur était apparue dans le dos du soldat. Il était couvert de bandages poussiéreux, des tâches de sang souillaient les pansements. Il semblait toujours fatigué, sa voix ne laissait rien paraître mais le voir suffisait à comprendre l'étendue des dégâts.

Il tendait son épée contre la colonne vertébrale du soldat, son air menaçant suffisait à envenimer la tension déjà présente. Les autres, membres de la guilde et soldats, s'étaient rapprochés de l'entrée pour voir la scène mais reculèrent presque aussitôt.

Le soldat qui commençait à se moquer de Lash et de son état fut projeté hors du cabinet. Mon camarade avait attrapé l'encolure de son chandail, soulevant le garde avec une facilité déconcertante malgré ses blessures et l'avait lancé comme un vulgaire sac.

Les homologues de l'homme à terre se mirent en garde de concert.

- " Tu vas payer !" tonna l'un des hommes avant de se ruer sur le criminel.

Lash sortit aussi de la bâtisse, les deux armes se rencontrèrent dans un fracas métallique. Aucun ne parvenait à prendre l'avantage, il était évident que les soldats de la capitale n'étaient pas de simples pantins vêtus d'un uniforme mais cela restait impressionnant.

Tout le monde retint son souffle en chœur. Nous restions cois devant la joute des deux hommes. Comment une personne pouvait-elle bien tenir avec des blessures aussi sévères ? Il fallut un long moment avant que nous puissions réagir. 

Les autres soldats poussaient un cri avant de rejoindre leur camarade. Mes compagnons et moi tentions tant bien que mal de repousser la mêlée qui se formait.

Nous entendions les bandages craquer, ils commençaient à se déchirer sous les mouvements du blessé. Si ses blessures se rouvraient il ne survivrais pas, n'importe qui pouvait le deviner. Soudain un rire aiguë et sadique retentit.

- " Kya kya kya kya ! Tiens donc, si ce n'est pas notre petit hors-la-loi chéri ?" résonna dans l'air.

Celle qui avait pris la parole était une femme sortant de la calèche de la capitale. Elle s'avançait lentement, sa démarche chancelante faisait osciller ses hanches assez large pour sa fine taille de gauche à droite.

A ses mots, les cris d'encouragement de la garde s'évanouirent, seul le bruit des talons de la femme résonnait dans la tension installée. Même le combat s'arrêta au grand soulagement de notre camarade.

Elle paraissait très forte. Ne portant qu'une légère armure constituée d'un plastron de plomb, de gantelets métalliques couvrant ses bras et d'un bas similaire, sa taille et ses jambes se dévoilaient à la vue de tous. Ses muscles saillaient à chacun de ses mouvements, on aurait pu croire que sa peau allait se déchirer tant ces derniers poussaient sur la chair.

Malgré l'éclat perdu du matériau, il allait sans dire qu'il devait être d'une robustesse exceptionnelle. Même un simple paysan aurait pu se douter du coût onéreux de l'armure.

Jouant avec l'une des mèches de ses cheveux, ses longues boucles platinées, voire même grisâtres, ondoyaient sur ses épaules, cascadant jusqu'à ses reins. Ils recouraient en partie la longue cape terne de leur propriétaire, balayant le sol et sa poussière. Sur ses cuisses se balançait un fouet enroulé et deux fourreaux assez petits sous le mouvement de pendule de ses hanches.

Je me raidis immédiatement en croisant son regard. Elle inspirait une peur sans nom, ses prunelles foncées toisaient chaque personne ici présente sans aucune vergogne. Elle étira soudainement ses lèvres perlées en un sourire inquiétant, déformant ainsi son beau visage. Son rictus semblait s'étirait davantage en observant les plaies de Lash qui se rouvrait. Elle semblait effroyablement belle, profitant de chaque douleur extérieur et s'en délectant. Ses traits féminins et délicats se changèrent en une moue mi-dégoûtée mi- provocatrice, enlaidissant la splendeur noble qui se dégageait d'elle :

- " Et bien et bien ! Si ce n'était pas lui en train de se battre, je me demanderais bien pourquoi j'attends qu'il soit soigné, n'est-ce pas ?" nargua-t-elle, son timbre grinçant cinglait dans mes oreilles.

Elle avançait toujours d'un pas langoureux et, arrivant seulement quelques mètres de lui, elle s'arrêta. Une sorte de splendeur résultait de son apparence prompt au désir. Étrangement, les soldats s'éloignèrent du condamné et, en une fraction de seconde la femme disparut.

Il ne lui fallut que quelques secondes. Quelques secondes pour bondir sur le blessé. Dans sa course, elle avait dégainé deux épées courtes qui furent bloquées par la lame nue de mon camarade. Nous étions tous déconcertés, les gardes n'avaient pas l'air heureux, ils semblaient même apeurés devant la puissance écrasante de leur alliée qui savourait sa supériorité.

Les armes de la nouvelle venue repoussaient toujours plus le blessé. On aurait dit qu'elle prenait plaisir devant la souffrance de sa victime.  Inquiète, j'intervenais pour la première fois. Sortant mon épée dans un cliquetis métallique, j'affirmais dans le dos de l'ennemie:

- " Je vous interdis de vous en prendre à lui ! Si vous voulez vous battre, venez me voir !" criais-je, la peur me trahissant.

Elle jeta un regard vers moi et émit un petit rire qui s'accentua progressivement. Puis, criant comme un écho elle se remit à enchaîner coup et blessures à mon camarade, ignorant ma menace. En un instant, il fut à raz de la terre. Je voulais l'aider mais, la différence de technique était un gouffre. Impossible pour une néophyte telle que moi de rivaliser avec la maîtrise parfaite de l'assaillante. Je soupirais doucement, ayant presque peur  de voir Lash mourir si je respirais.

Toutefois, alors qu'elle croyait avoir gagné et se retourna victorieuse, Lash se releva et brandit sa lame.

Elle s'abattit à une vitesse prodigieuse mais la femme, avait interrompit le coup avec son gantelet. Un choc strident retentit dans l'air. Toisant d'une œillade son assaillant, elle arbora une mine aigrie avant de rire aux éclats :

- " Kya kya kya kya ! C'est tout ? C'est que ça, la force du type qu'on voulait ? Vous comptiez vraiment sur un faiblard pareil pour partir au front ? Si ce minable nous fait gagner la guerre, je bouffe un casque !" s'envenima la demoiselle, perdant toute trace de bonne conduite dans ses propos.

Elle riait comme une passe, se rapprochant plus du caquètement d'un oiseau que du rire délicat et gracieux que l'on attendrait d'une femme aussi belle. Elle remuait ses bras dans de grands gestes théâtraux, exagérant son attitude.

- " Kya kya kya kya ! Vous valez pas un clou, pauvres tâches ! J'ai honte de m'être déplacée pour une guilde aussi pourrie que la vôtre !" renchérit-elle entre deux éclats de rire.

Soudain, la voix de Sasha s'éleva dans l'air, stoppant tout rire de sa part :

- " Je vous interdis de critiquer la guilde que nous avons érigée avec Samael !" ordonna-t-elle froidement.

Son timbre était devenu plus grave. Elle provoquait la puissante garde d'un regard  sévère. On aurait cru que le temps lui-même s'était figé ; le silence installé pesait sur les épaules de chacun, seul le vent osant obstruer la tension présente. La femme prit un air faussement étonné avant de répondre à celle qui avait prit la parole :

- " Alors comme ça, le célèbre Samael a créé cette guilde ? Pfff, j'ai honte pour lui. Dire qu'un type comme lui a crevé pour un ramassis de déchets comme vous me donne la nausée." pouffa-t-elle, le ton sérieusement cruel et hautain.

Je ne saisissais pas leurs propos, je n'avais jamais entendu ce nom depuis mon arrivée et pourtant il résonnait jusqu'à la capitale ?

Célèbre, mort, ramassis de déchets ? Cela sonnait comme l'histoire d'un étranger ; je ne comprenais pas ce que tous cela signifiait. Surtout en sachant qu'une femme aussi élégante et polie réagisse de la sorte en entendant cette provocation, même le Maître n'avait rien dit, se contentant de serrer son gourdin de bois comme s'il se contenait.

FlügelWhere stories live. Discover now