Chapitre XI

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Agonie

La chute de gouttelettes d'eau sur le sol de pierres noires résonnait en fond. Comme un sablier s'écoulant seconde après seconde, on aurait dit qu'elle comptait le temps qui passait dans cette caverne où les péchés des hommes hurlent leur repentance.

C'est à peine si le bruit de ma respiration s'entendait ; j'ignore ce qu'a cette prison de spéciale mais, toujours est-il que, hormis l'eau, le reste des sons est étouffé. Juste de quoi me rappeler à quel point je suis seul mais surtout, à quel point cette solitude peut se montrer tranchante lorsque l'on a connu un monde où fourmillent des milliers de gens.

Tss, je vais y arriver, je vais vraiment devenir cinglé à force de stagner ici, ironisais-je piteusement. En plus, quand sa voix vient à moi, c'est pour se ficher de mon sort ridicule.

Et puis, rompant le silence presque religieux de ma geôle, une voix stridente s'éleva dans la cavité, me rappelant que je n'étais pas encore arrivé dans les abysses de l'Enfer :

- " Et bah ! C'est pas trop early !"

Alors que je m'attendais à voir un homme débouler dans les parages, une ombre s'approcha avec précaution des cellules. Avec le peu de luminosité, il m'était difficile de distinguer le sexe de cet intrus, sa silhouette autant frêle qu'imposante.

Puis, soudain, je discernais mieux ses traits. Une sorte de tissu noire semblait absorber le corps pâlot de son propriétaire tandis que des sangles de cuir sombre ligotaient solidement chacun de ses avants-bras. De grosses bottes de la même matière consolidaient sa démarche peu assurée pendant qu'un foulard charbonneux étreignait un cou bien trop fin pour être celui d'un homme pendant qu'une grosse natte cascadait sur l'une de ses épaules. Toutefois, contrastant avec son genre, une lourde épée d'acier retombait sans douceur dans le dos de l'arrivant.

Mais, si je ne reconnaissais pas ce regard hébété, je n'aurais pas cru qu'elle était sous mes yeux.

Crevette.

Je ne comprenais pas. Les neurones dans mon cerveau ne devaient plus se toucher tant je divaguais. Je tirais de toute mes forces sur les chaînes en tentant de porter mes mains à mon estomac afin de contenir le fou rire qui montait.

Diane ? Ici ? La bonne blague ! Elle devrait déjà avoir crevé tellement elle est gourde ! Et puis, c'est quoi cet accoutrement ! Depuis quand une bourge qui porte même une robe pour se battre va s'habiller avec des fripes pareilles ?! 'Tain, je délire vraiment ou quoi ? Et puis d'ailleurs, qu'est-ce qu'elle ferait là avec une arme comme celle-là, me tuer peut être ?

Je riais à gorge déployée, n'essayant même plus de garder une once de dignité devant ce spectacle ahurissant, voire hilarant.

- " ...L-Lash ?" murmura une douce voix fébrile, comme remarquant l'homme dans la cellule.

Hein, m'interrogeais-je en me demandant si ces mots provenaient de mon imagination délirante.

- " C-C'est toi, Lash ?" répéta la voix avec plus d'assurance.

Je ne riais plus. Cette histoire n'avait plus rien d'amusant. Je ne rêvais pas, même mon esprit torturé n'aurait pas pu l'imaginer me parler sur ce ton ou encore vêtue ainsi.

Cette fois, c'était moi qui parlait.

- " En chair et os malgré leur repas avarié mais dis-moi, c'est bien toi, Crevette ? La même petite Crevette pas foutue de tuer du bétail ? Et bah... Crevette est devenue Langoustine, dis-moi..."

Un long silence s'écoula. La gosse semblait aussi déconcertée que moi, ne disant mot. Seule sa bouche s'entrouvrait et se refermait machinalement.

Et puis, comme si les cellules de mon cerveau s'activaient, une pensée me transperça en éclair : " Qu'est-ce qu'elle leur a dit ?! Leur a-t-elle fait part de ce qu'il m'est arrivée cette nuit-là ? Sont-ils au courant de cette emprise qui prend possession de mon corps quand je l'entends ?"

J'en avais rien à faire qu'ils le sachent tous, au point où j'en étais... C'était pas ça le problème mais... S'ils cherchaient et retombaient sur ça... Je crois que même la mort ne me suffirait plus...

- " Diane ! Qu'est-ce que tu leur a dit ?! Qu'est-ce que tu sais ?! Parle !" hurlais-je en tentant de me ruer sur elle violemment malgré les chaînes qui m'emprisonnaient.

Elle eut par réflexe un mouvement de recul mais ne sembla pas effrayer. Au contraire, sa mine était décidée et c'est avec cette confiance qu'elle me hurla dessus à son tour :

- "Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il peut bien se passer dans ta foutue caboche de crevure ? Pourquoi as-tu tué Klaus Hênnes ? Qu'est-ce qu'il t'as fait pour mériter ça ? Je pensais que tu avais compris que je n'aime pas tuer les gens, pire encore un homme ! Tu n'avais que le menacer, l'effrayer, négocier mais... tu n'avais pas besoin de le réduire au silence comme ça..." finit-elle dans un murmure, accablée.

Ça n'allait pas. Ce type, qu'elle me le susurre ou non, je l'aurais tué ; je n'aime pas les bourges blondinets qui se permettent de jouer les supérieurs ; quand il a essayé de me faire capturer par la guilde de Ladsen, il a signé son arrêt de mort.

Alors, pourquoi s'obstinait-elle à parler de lui ? Si son sort lui importait tant, elle n'avait qu'à continuer de jouer l'épouse parfaite !

Moi, ce qui m'inquiète c'est ce qu'ils savent, bordel ! Je me fiche de tout, je me fiche de vivre, je me fiche de mourir mais... J'ai déjà assez déçu Keith comme ça, le seul que j'ai eu quand j'ai tout foutu en l'air, je ne veux pas qu'il l'apprenne, je refuse qu'il sache ce que j'ai fait !

Nous hurlions à en rompre les murs. Le silence qui obstruait l'endroit était désormais remplacé par un concert de protestation. Pourquoi ne voulait-elle pas répondre, pourquoi jouait-elle celle qui n'en savait rien ? Tout ça pour un fichu blondinet aux faux yeux !

Puis, n'en pouvant plus, elle s'enfuit, ses larmes roulant jusqu'au sol, me laissant seul avec mes questions.

Je devais sortir de là.

Je devais la revoir.

Je devais savoir.

FlügelWhere stories live. Discover now