Chapitre I

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Gobelins sauvages

Je rentrais en marchant sous la pluie battante. Nous venions de terminer notre chasse et nous allions enfin pouvoir boire de tout notre saoul avec l'argent de la récompense. Cela tombait bien parce que j'étais crevé, c'est que ça faisait une trotte pour aller jusqu'à leur trou paumé...

 — Lash ! Regarde, m'interpella un de mes camarades en désignant le ciel.

— Quoi ? C'est qu'un éclair, répondis-je en fixant la foudre s'abattre sur un arbre plus loin.

— Non, là ! Y'a un de nos piafs, cria-t-il pour couvrir le bruit du tonnerre, toujours en désignant un point dans le ciel.

L'oiseau en question se posa doucement sur le bras de mon camarade qui retira un papier de sa patte. Visiblement nous avions un message de la guilde. C'était bien ma veine...

 — Il dit que la diligence de Ladsen a été attaquée, on doit aller voir.

Je soupirais de lassitude ; on dirait que je n'allais vraiment pas pouvoir boire ce soir, songeais-je avant de faire demi-tour. Je retournais sur mes pas en pestant de devoir travailler sous ce temps pluvieux ou, plus sincèrement, de crotte.

A l'allure où nous allions, il nous fallut une bonne demi-heure avant d'arriver sur le lieu où la diligence a été stoppée.

Les auteurs du carnage n'étaient autres que de simples gobelins, enfin simples est un grand mot. En général, ils ne font pas dans la dentelle et cela se confirma lorsqu'une tête décapitée valsa jusqu'à nous. Aucun des combattants à mes côtés ne fut surpris. Il ne s'agissait là de rien de plus qu'un spectacle courant, ces temps-ci.

Les premières caravanes n'étaient plus sur leurs roues, des flammes provenant des torches grandissaient malgré la pluie torrentielle et la horde de monstres ne détournait pas son attention de ce qu'ils pillaient et des victimes, soit mortes ou vivantes, qu'ils dévoraient à pleines dents.

— Lash ! L'escorte est décimée, m'annonça un des membres de l'escouade, ne parvenant pas à trouver de meilleurs mots.

— Rangs, le coupai-je sans quitter les monstres du regard.

— Plaques de bois...

Un rictus nerveux naquit sur mes lèvres. Cela ne me surprenait pas, souvent les personnes accompagnant les diligences étaient des débutants qui croyaient à tort qu'un gobelin n'était que du menu fretin. Et, bien entendu, les guildes acceptaient sans ciller.  Ils ne devraient pas confier leurs livraisons à des abrutis mêmes pas capables de se protéger eux-mêmes.

Les monstres continuaient de piller les charrettes alors nous commencions à sortir nos armes et attaquions sans plus de discussion.

— Et de un, soupirai-je en tranchant le corps de ma première victime, et de deux, trois puis cinq, sept, onze, continuais-je au rythme de mes proies.

 — Treize, dis-je en assénant machinalement un coup dans le dos d'un membre d'un groupe de gobelins qui traînassaient autour de quelque chose.

J'observais par curiosité. On ne sait jamais, il aurait pu s'agir d'une arme ou d'une quelconque innovation de Ladsen. Malheureusement, ce fut une femme apeurée.

Elle devait être leur prochaine victime.

Par pure professionnalisme, je vérifiais qu'il n'y avait pas d'autres bestioles autour d'elle avant de poursuivre mon chemin vers les autres caravanes, la laissant à mes camarades qui s'occuperaient d'elle.

Quelques heures plus tard, la centaine de gobelins fut éradiquée. Ne subsistaient plus que des flammes et les restes de la cargaison qui n'étaient plus utilisables. Nous finîmes par éteindre l'incendie avant de préparer notre retour.

Nous marchions désormais en compagnie des victimes vers la ville.

— Il m'énervent, pestais-je une nouvelle fois en entendant les reniflements et les pleurs désagréables des gens que nous raccompagnions.

— Enfin Lash, soupira un des hommes pris de compassion.

— C'est bon, bordel ! C'est fini, ça sert à rien de chialer pour un ami qui a crevé ou un petit bobo de rien du tout maintenant ! Ça changera rien pour eux, tonnais-je arrivant enfin dans ma ville.

— Lash ! Ça suffit, m'ordonna soudainement une voix familière.

Sasha nous attendait à l'entrée du village, abritée sous un parapluie. Elle nous rejoignit en courant puis nous demanda un bref résumé des évènements avant le véritable rapport.

— Une tribu d'au moins cent-vingt gobelins, sans doute nés des rescapés d'anciennes tribus décimées, aux vues de leurs compétences. Les aliments sont fichus à cause de la pluie, les machines sont rouillées, idem pour chaque véhicule. L'escorte a claqué et une trentaine de passagers sont morts pour environ huit survivants qui ne font que chialer. Aussi, il y a peut être plus de victimes, les gobelins avaient déjà commencé à en bouffer plusieurs alors c'est difficile de faire le compte, débitais-je sans aucune once de peine pour ceux qui me cassaient les pieds alors qu'on les avait sauvés.

Elle se contenta de me fusiller du regard  avant d'ordonner à des hommes d'aller chercher le médecin tandis que j'abandonnais ma troupe pour boire un verre à la guilde.

 — Ha ha ha ha ! Lash ! Alors, ça gaze ?, hurla un ivrogne qui ne savait même plus où était sa place ni même son nom.

Je l'ignorai pour retourner vers le bar où l'on me servit une choppe d'alcool avec ma récompense. Je comptais chaque pièce d'or avant de regarder le barman d'un air interrogateur.

 — Je viens de marcher des heures sous la flotte, à galérer à cause de la boue, à tuer une quarantaine de gobelins et j'ai ensuite dû subir les plaintes et gémissements d'abrutis pour pas une pièce de plus, c'est bien ça, l'idée ?

— Désolé mais ce n'est pas à moi que tu dois te plaindre, si tu as des réclamations c'est auprès du vice-maître ou au guichet, s'excusa le barman en riant, gêné de ne rien pouvoir faire.

Quelle journée pourrie, songeai-je en repensant à la pluie qui nous avaient tous pris par surprise. Nous allions devoir faire entretenir nos armes chez un forgeron pour qu'elles ne se brisent pas sous l'effet de la rouille et en plus, je suis payé une misère pour avoir sauvé un village des  griffes d'un monstre, enfin de ses sabots serait plus juste.

— Et bah ? T'en fais une tête.

La voix qui parvint à mes oreilles était celle du maître, il s'était assis au bar à côté de moi et, s'était visiblement mêlé à la fête, comme d'habitude.

— Tu pues la bière, pestais-je sans lui accorder un regard.

— Hya hya hya ! J'aime bien m'en enfiler une de temps en temps !

Tous les soirs et pas qu'une, ouais... pensai-je en le regardant rire comme un idiot sous les yeux d'hommes dans le même état que lui.

Il devait bientôt être une heure du matin et les seuls encore sobres étaient le barman, les hommes qui m'avaient accompagnés et probablement le vice-maître, cloîtré dans son bureau. Rien d'inhabituel, en somme.

  — Allons, détends-toi un peu Lash, ça te fera pas de mal, proposa gentiment le chauve qui nettoyait les choppes vides.

— J'aimerais bien mais... Ce n'est pas avec ces soulots que je vais y arriver, soufflais-je en désignant du regard le maître et les autres qui faisaient le pitre autour.

Même ceux qui venaient de tuer les gobelins étaient déjà sous l'emprise de l'alcool. Sasha, qui venait d'arriver annonça que les survivants de l'attaque étaient logés dans l'église et repartit à l'étage sans prendre parts aux beuveries des hommes. 

Je bus un dernier verre puis m'en allai. Cette journée m'avait déjà était assez insupportable, je n'avais sûrement pas besoin de l'allonger.



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