Chapitre IV

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Bête de rage

Un grognement étreignit mon estomac creux. Je ne fis que passer une main dessus avant de rengainer mon arme dans son fourreau et de me diriger vers le petit bourg à l'allure triviale pour récupérer. En m'approchant de la palissade, un homme posté à l'entrée me laissa entrer sans discuter.

J'étais de retour à Alabrund cependant, les choses avaient changé depuis ma première venue. Désormais, une immense palissade constituée de poteaux en bois entourait tel un rempart le village en proie aux attaques de gobelins.

Le seul moyen de pénétrer à l'intérieur était le gigantesque portail, presque grotesque pour un petit village comme celui-ci, qui siégeait au sud de leur habitat. De plus, afin d'empêcher toute intrusion en escaladant la muraille circulaire, le sommet des rondins était taillé en une pointe aiguisée comme une lance et des tours de garde se trouvaient à intervalles régulières pour surveiller les alentours et alerter les habitants lors de dangers grâce à de grands gongs reposant dans chaque poste.

Ils avaient véritablement réfléchi à la question de la protection de leur région. Il fallait croire qu'ils avaient retenu la leçon, en compensation de tous les survivants tués par ma guilde, songeai-je en contemplant comme à mon habitude le cimetière grouillant de tombes à l'entrée du bourg.

La raison de ma venue dans cette contrée reculée n'était aucunement lié à du travail ou quoi que ce soit. Au contraire, j'avais pratiquement déserté Rosran et mon travail depuis plusieurs semaines déjà pour me consacrer à mes priorités.

J'avais trois mois ; trois mois pour devenir forte. En effet, au bout de ce délai se déroulerait le grand tournoi où j'aurais l'occasion de parler à la vipère que représente la Matriarche. Si je n'étais pas à la hauteur pour le remporter, y participer perdrait tout son sens.

Pour se faire, j'avais choisi de m'éloigner de toute distraction et vivais dans une petite tente généreusement prêtée par le chef d'Alabrund, reconnaissant d'avoir, soit disant, sauvé le village. Puis, chaque jour, je quittais l'endroit et m'entraînait dans les environs face aux monstres menaçant les troupeaux qu'ils envoyaient paître.  Leur niveau étant supérieur à celui des créatures vivant dans les plaines de Raves, il paraissait naturellement plus efficace de s'entraîner ici.

- " Mademoiselle ! Vous vous dépensez beaucoup trop ! Cela fait déjà une bonne heure que vous auriez du vous alimenter ! Tenez , voici votre repas ! Je vous souhaite un bon appétit." s'exclama Ziege, prise de court, à mon entrée.

Celle-ci me tendit aussitôt un bol de potage qu'elle préparait sur la sorte de foyer central. Je le pris dans mes mains, puis, l'avalait d'une traite sans prendre la peine de m'asseoir ou d'utiliser des couverts afin de pouvoir reposer au plus vite le récipient brûlant.

Sans la saluer, je retournais dans les pâtures, la laissant seule sur le pas de l'entrée de la tente. C'était cruel mais, je ne ressentais aucun sentiment de culpabilité en abandonnant ainsi celle qui m'avait accompagné et qui s'occupait de moi en permanence.

Que je revienne au milieu de la nuit comme quelques jours suivants mon retour ne lui importait pas et pourtant, je la traitait comme un vulgaire objet né pour servir mes caprices. Finalement, je n'avais pas beaucoup changé depuis tout ce temps ; je suis restée la même bourgeoise emplie d'égoïsme qui considérait ses propres désirs, même insignifiants, comme supérieurs aux besoins du reste du monde.

Je n'avais plus l'envie d'être gentille ou courtoise, elle me servait un repas, je le mangeais puis repartais. Mes journées se répétaient inlassablement comme un cycle. Ainsi, mes jambes arpentèrent les pâtures où de l'eau stagnante grouillant en une multitude de flaques originaires de la saison des pluies, habituelle en cette époque.

A la recherche d'adversaire, mes yeux scrutaient l'horizon sans laisser le moindre mouvement échapper à leur vision périphérique. Des bruits caractéristiques d'une clairière parvenaient à mon esprit ; le vent serpentant entre les brins d'herbes, l'écho d'un lointain silence de basse altitude, le battement d'ailes de créatures volant dans le ciel nuageux, la boue s'affaissant sous les talons de mes bottes, le froissement de ma longue cape contre les petites bourrasques apparaissant ça et là ou encore le clapotis de l'eau lorsque des gouttes chutent de leur nuage et s'écrasent dans une flaque déjà formée.

Soudain, un souffle plus rauque que les autres s'échappa de la plaine. Il s'agissait d'un bruit de respiration, à en juger par son volume suffisamment important pour surpasser le vent, son émetteur devait être assez impressionnant.

Aussitôt sur mes gardes, je jetais des coups d'œil répétitifs dans toutes les directions, observant où un quelconque être vivant pourrait se dissimuler. Un rocher ! Je l'avais.

A l'origine, cette excroissance minérale, plus importante que la moyenne de quelques dix mètres de haut sur cinq de large environ, servait de point de repère aux bergers promenant leur troupeaux assez loin mais, visiblement, quelque chose ne s'en servait pas à cet escient et préférait s'y cacher.

Je m'avançais lentement, foulant volontairement l'herbe pour attiser l'ennemi et le faire sortir. Puis, constatant le léger son produit par ce dernier, je constatais qu'il avait mordu sans aucun problème.

Ma cible  écrasa soudainement le rocher avec une brutalité déconcertante, provoquant la destruction du repère. Sa démolition s'accompagna du jaillissement de plusieurs morceaux assez conséquent de la ruine.

D'un geste franc, j'arrachais mon fourreau de sa ceinture et, toujours dans son étui, je me servais de mon épée pour repousser tous les projectiles avant de retirer la lame et de reposer au sol le fourreau.

Celui qui venait de détruire le monument n'était autre qu'un Minotaure des plateaux ; une créature à l'aspect humanoïde mais au corps similaire à celui des bovins. Caractérisé par des antérieurs armés de sabots et de poings aux bras, cette évolution du bétail se déplaçait sur ses pattes arrières et utilisait généralement un gourdin en guise d'arme.

Bien qu'il impressionnait par sa musculature très développée, il se révélait bien moins puissant que son cousin des cavernes ; habitat d'origine des Minotaures. Aussi, contrairement à eux, ils vivent solitaires ou en petites tribus peu organisées, ayant désertés avant leur évolution les souterrains où leurs armées s'établissaient sous le contrôle d'un Vénérable Minotaure ; le bovidé le plus puissant de leur espèce et aussi l'un des monstres que tous les aventuriers rêveraient de vaincre.

En d'autres termes, bien que ce type de bête était puissant, je n'avais rien à craindre de cette réplique vivant à la surface. J'esquivais avec facilité les assauts extrêmement lents de la gigantesque bête et son gourdin puis plantais d'un coup d'estoc mon arme dans sa poitrine.

La lame aiguisée se ficha dans son torse et un filet de sang s'écoula de l'entaille profonde infligée mais, bien qu'il s'effondrât sur place, le Minotaure n'était pas mort. J'avais touché une zone particulière pour ces créatures ; un nerf  permettant la transmission d'informations entre le corps et le cerveau. Le lien rompu, par réflexe de survie, le monstre préférait se plonger dans un coma plutôt court afin d'échapper à la mort.

J'avais gagné. C'était presque trop facile.

Ce n'était pas suffisant ; je devais devenir plus forte !

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