Partition 9

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Lorsque j'entre dans la chambre, mes yeux n'en reviennent pas. Un cortège de petites flammes dansent sur le haut des meubles et le lit est recouvert de confettis. Je jette un regard interloqué à Julian qui guette ma réaction.

Ne sachant quoi dire – hormis « Mon Dieu ! Quelle horreur ! » –, je m'avance jusqu'au lit pour l'inspecter de plus près. Ce ne sont pas de simples confettis. Ils ont la forme de papillons. Lorsque j'en soulève un, ma stupéfaction atteint son apogée. Les bords ne sont pas parfaits. On dirait que ce papillon a été découpé à la main.

– Ne me dis pas que tu as découpé tous ces confettis toi-même ? C'est...

Tordu. Cinglé. Kitchissime.

– Si, mais c'était pour le mariage de ma tante il y a trois ans, m'explique-t-il. Elle avait choisi le thème papillon, puis elle a changé d'avis et a préféré le thème cabaret. Du coup, ces papillons étaient enfermés dans une boîte, totalement inutiles.

– Alors tu t'es dit que ce serait plus utile de les éparpiller sur ton lit puis de devoir passer l'aspirateur pendant une semaine ?

– Je n'ai pas pensé à ça. J'ai juste voulu créer une ambiance agréable.

J'éclate de rire. Agréable n'est pas le mot que j'aurais choisi. Je m'approche de lui et pose mes deux mains sur son torse :

– Si ça avait été n'importe qui d'autre que toi, je me serais déjà enfuie en courant.

Je me hisse sur la pointe des pieds et dépose le papillon dans ses cheveux.

– Mais merci quand même...

Soudain il m'attrape le visage et m'offre un baiser. Sur la bouche. Je frissonne de surprise et d'émerveillement. Ça c'est agréable...

– Tu n'as encore rien vu ! me lance-t-il avec un regard malicieux. J'ai mieux que les papillons !

– C'est sûr que tu ne peux pas faire pire. Mon degré de tolérance au romantisme a des limites, je te préviens.

– Allonge-toi sur le ventre ! m'ordonne-t-il brusquement.

Tous mes muscles se crispent. Je ne veux pas que ce soit trop fleur bleue, mais je ne veux pas non plus qu'on me traite comme un animal. Je ne comprends pas. Ça ne coïncide pas avec les bougies, les papillons et cette chanson de Bryan Adams qu'il vient d'enclencher.

Je m'assieds parmi l'armée de papillons. Mes genoux se mettent à trembler. Une petite voix me murmure : Tu ne vas pas y arriver. Tu ne vas pas y arriver. Je la chasse en m'intimant : Enlève ton tee-shirt ! Mais je n'arrive pas à bouger le petit doigt. Je crois qu'il ne se rend pas compte à quel point c'est difficile pour moi. Je pensais qu'on était sur la bonne voie, mais il a suffi qu'il emploie ce ton autoritaire pour que je sois à nouveau pétrifiée.

Je m'apprête à lui dire qu'on va en rester là, définitivement. Je préfère garder mon blocage. Le sexe n'est pas indispensable à la vie d'un être humain, après tout. Je peux me passer de relation amoureuse. De toute façon, je crois que je suis devenue frigide, je suis un cas perdu.

– Alors ? Qu'est-ce que t'attends ? Tu ne veux pas ton massage ?

Il me taquine le genou avec sa jambe.

– Un massage ? je balbutie, sentant toute la pression retomber.

Il soulève la couette, faisant s'envoler les papillons.

– Tu veux de l'huile à la mandarine ? J'ai volé un échantillon à ma mère. Il paraît que ça a des vertus relaxantes.

J'acquiesce en me débarrassant de mon tee-shirt. Cette fois, mes doigts ont été plus rapides que mon cerveau. C'est à cause du mot « massage ». C'est mon point faible, il le sait bien. Il suffit qu'il le prononce pour que tout mon dos fourmille d'impatience.

Maintenant j'ai hâte d'accueillir ses mains sur ma peau. J'ai accumulé tellement de stress au cours de ces dernières semaines que j'en ai bien besoin.

Je pose ma tête sur l'oreiller. Quand il débouche la bouteille d'huile, la pièce se remplit d'un parfum gourmand. J'ai l'impression d'être au spa. Je le laisse s'installer à califourchon et dégrafer mon soutien-gorge en pensant que, peut-être, ce sera comme la ballade à la mer. Peut-être qu'il veut juste me mettre en confiance. J'ai l'impression que les deux possibilités sont ouvertes – coucher ensemble ou ne rien faire. J'ai l'impression d'avoir le choix et cela change tout.

Lorsqu'il pose ses pouces sur mes épaules, les premières pressions sont un peu douloureuses, mais très vite les tensions s'évaporent. Ses mains sont comme des gommes magiques qui absorbent tout mon stress. Il alterne les mouvements, entre simples caresses et massage plus appuyé. Ses doigts vagabondent le long de ma colonne vertébrale, me pincent légèrement la peau, m'insufflent un réel plaisir. À un moment, il s'amuse à déposer de petits papillons dans mon dos puis à souffler dessus. Je dissimule mon sourire dans l'oreiller.

Au bout d'un temps qui me paraît trop court, il plaque ses paumes sur mes omoplates et prononce la phrase fatidique :

– Voilà c'est fini !

Je proteste par un grognement et lui demande de continuer. Il m'embrasse l'épaule en rattachant mon soutien-gorge et me murmure à l'oreille :

– Toutes les bonnes choses ont une fin. Si je t'écoutais, on resterait trois ans dans cette position.

Il a raison. J'essaie tout de même de grappiller quelques minutes supplémentaires, mais son corps quitte le mien pour se glisser sous la couette. Tout à coup, l'ambiance bascule et devient saturée de non-dits. Je tourne la tête vers lui. Son regard tire un peu plus sur le vert que d'ordinaire. Il pose une main sur ma hanche et commence à la caresser doucement. Les battements de mon cœur s'accélèrent, mais je me sens relativement détendue comparé à notre première tentative. Je ne sais pas si c'est grâce au massage, mais la Nuit ne s'immisce pas entre nous. Et j'espère qu'elle ne trouvera pas le moyen de nous déranger.

– Et si on restaurait la journée câlin ? me propose-t-il avec un regard espiègle.

J'ai attendu que cette phrase sorte de sa bouche depuis tellement longtemps que je ne peux rien faire d'autre qu'acquiescer.

– J'attends, m'intime-t-il d'une voix douce.

Il s'allonge sur le dos et ferme les yeux, un sourire en suspens sur ses lèvres.

Je me penche au-dessus de lui, hésite un instant, puis dépose un baiser sur son front, à la naissance de ses cheveux. Je sais que ce n'est pas très audacieux, mais c'est tout ce qui me vient à l'esprit. Je repose ma tête sur l'oreiller en espérant qu'il n'est pas trop déçu.

– À ton tour, je souffle.

Il ouvre les yeux et me rétorque avec un sourire mutin :

– Je ne peux pas l'atteindre avec ton pantalon. Cela enfreindrait la règle numéro trois.

Forget the Night - Autumn & JulianOù les histoires vivent. Découvrez maintenant