Round 9

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Degré d'oxygénation : 7 sur 10

Je préviens Julian que je vais m'allonger parce que j'ai mal à la tête.

– Tu n'auras qu'à lui dire de monter. Mais laisse-nous toutes les deux. Ce sera plus facile pour établir une complicité.

Il n'a pas l'air très rassuré.

Lorsque je réintègre le lit, j'ai la photo de Carly imprimée sur ma rétine. Même si nous nous croisons de temps à autre dans les couloirs du lycée, c'est son visage sur papier glacé plus que sa silhouette élancée qui s'impose à mon esprit.

La première fois que Julian m'a montré cette photo, j'ai eu environ trois secondes de flottement. Une sorte de trou noir durant lequel je n'aurais su dire si Carly était horriblement belle ou joliment moche. Finalement des mots sont sortis de ma bouche, malgré le manque de connexion totale avec mon cerveau :

– Ah ouais, quand même !

Julian a approuvé, alors que je ne savais pas moi-même ce que j'avais voulu dire. La vérité, c'est qu'elle était juste différente de ce à quoi je m'étais préparée. Quand le trou noir s'est dissipé, j'ai retrouvé davantage de vocabulaire :

– Mais ce n'est pas du tout ton style de fille.

– Je ne savais pas que j'avais un style de fille, a-t-il dit d'un air amusé. Je suis sorti avec plein de filles différentes.

– Mais jamais avec une fille comme ça, ai-je tranché en posant mon index sur la photo.

Je commençais à regretter qu'il m'ait montré cette photo, même si c'est moi qui la lui avais réclamée.

– Une fille comme quoi ? a-t-il demandé et j'ai compris, au ton de sa voix, qu'il commençait à regretter lui aussi.

J'ai essayé de prendre des pincettes pour ne pas le vexer, mais autant demander à un taureau dans l'arène de rester immobile.

– Je ne sais pas. Elle a l'air un peu superficielle, non ?

Je connaissais les goûts de Julian par cœur. Quand on jouait à « Qui épouserais-tu ? », je pouvais désigner n'importe quelle fille dans la rue en disant « Celle-là, oui », « Celle-là, non » sans jamais me tromper. J'étais imbattable à ce jeu parce que, si j'avais été un mec, j'aurais été attiré par les mêmes filles que lui. Du coup, même si ça me contrariait parfois qu'il mette entre parenthèses notre chocamitié, je n'éprouvais jamais de réel ressentiment. Je comprenais. C'était facile de comprendre qu'il ait pu sortir avec Covey Carrington qui avait une voiture et son propre appartement. C'était tout à fait prévisible qu'il ait succombé au charme sulfureux de Melissa Harper. C'était encore plus légitime qu'il ait craqué pour Lily Harris que j'avais moi-même adulé derrière mon écran de télévision. Toutes ces filles avaient un point en commun : elles étaient atypiques et elles avaient du caractère. Je retrouvais en elles un petit soupçon de moi, un brin de rébellion, même si elles l'exprimaient d'une façon tout à fait différente.

Mais Carly... C'était le cliché de la fille qui plaisait aux abrutis de mon école. Blonde aux yeux bleus, toute douce, toute mignonne. Si elle était passée dans la rue, je l'aurais éliminée direct de la liste des potentielles futures épouses de Julian. En la choisissant, il me donnait l'impression de ne plus le connaître vraiment.

– Depuis quand tu juges les gens uniquement d'après leur physique ?

J'ai décidé de ne pas contre-argumenter. Pas par manque d'argument (j'aurais pu déblatérer des heures sur cette fille qui transpirait la confiance en elle, le souci des apparences, le manque d'originalité et sans doute l'absence de problèmes familiaux), mais je me suis mise à la place de Julian. Si les rôles avaient été inversés, tout ce que j'aurais voulu, c'est recevoir son approbation. Alors, en tant qu'amie, j'ai refoulé l'avalanche de préjugés qui me brûlait la gorge.

Forget the Night - Autumn & JulianOù les histoires vivent. Découvrez maintenant