Round 23

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Degré d'oxygénation : 5 sur 10

Tandis que Julian part acheter le test au supermarché près de chez lui, je fouille dans la boîte à gants où je déniche un CD de The Smaching Pumpkins. Je mets la musique à fond pour faire le vide dans ma tête. Au bout d'un temps qui me paraît interminable, Julian revient et dépose un sachet sur le tableau de bord sans dire un mot.

– Qu'est-ce que c'est que cette tête ? je lui demande.

Il tire sur le col de sa veste.

– J'ai eu un peu de mal à choisir. Il y avait trois modèles différents.

Puis il ajoute en soupirant :

– La mère de Carly est venue prendre un paquet de coton-tige alors que j'avais les trois boîtes dans les mains.

Je plaque une main sur ma bouche.

– Oh, mince ! Elle t'a fait une remarque ?

– Non. Elle m'a pris chaleureusement dans ses bras pendant que j'essayais de cacher les boîtes avec mes pouces. Puis elle a commencé à me parler, mais j'ai vu son regard dévier vers mes mains. Je suis à peu près sûr qu'elle va le raconter à Carly. Elles sont très proches. Je ferais mieux de téléphoner à Carly pour tout lui expliquer.

Il sort son téléphone de sa poche. Je l'agrippe par le bras, complètement affolée.

– Non ! Tu ne peux pas faire ça ! Elle est dans mon lycée. Je ne tiens pas à ce que toute l'école croie que je suis enceinte.

– Elle ne dira rien.

Il est tellement naïf.

– Elle est amie avec Saskya qui me hait. Je suis sûre que Carly le dira à sa copine qui le répétera à la Terre entière. C'est ma vie privée, ne fais pas ça, s'il te plaît.

– Mais si je ne dis rien, Carly va croire que j'ai couché avec toi.

– Tu as couché avec moi, je lui fais remarquer en amorçant un sourire face à son air innocent.

– Oui, mais bon, ça n'a rien à voir avec ce test de grossesse.

– Si Carly l'apprend, tu lui diras que c'était pour ta mère, je suggère.

– Ma mère a quarante-quatre ans.

– On peut encore avoir des enfants à cet âge, j'argumente. Marcia Cross a eu ses jumelles à quarante-cinq ans.

Il soupire et met le contact :

– La prochaine fois, préviens-moi à l'avance pour que je puisse le commander sur Internet.

– J'espère qu'il n'y aura pas de prochaine fois.

– Moi non plus.

***

Une fois chez moi, je lis les instructions dans ma chambre, puis je m'enferme dans la salle de bains et déballe le test sur fond de Black Sabbath. Je sais que le fond sonore ne changera rien au résultat, mais j'aurais préféré une petite musique d'attente soporifique, style Vivaldi.

La voix du déni est toujours prépondérante dans ma tête. Elle hurle : Ça ne peut pas t'arriver à toi. Mais une minuscule autre petite voix fait son apparition au moment où je referme le capuchon pour attendre le résultat. Cette petite voix me dit : Et si jamais ça t'arrivait ? Qu'est-ce que tu ferais ?

Je ne pourrais pas le dire à ma mère, c'est certain. Elle avalerait encore plus de médicaments, encore plus d'alcool et s'écroulerait par terre. À quoi cela me servirait-il ? Je ne sais pas combien coûte un avortement. Les parents de Julian pourraient m'aider, mais je ne sais pas si je pourrais supporter leur jugement. Tout compte fait, cette musique hardcore est tout à fait propice à la situation.

Il faut patienter trois minutes avant de pouvoir lire le résultat. Je décide d'aller me réfugier dans ma chambre. Au moment où j'ouvre la porte, je vois ma mère monter les escaliers. Je comprends à son regard qu'elle attend quelque chose de moi.

– Il me manque des médicaments. Tiens, me dit-elle d'un air morne en arrivant sur le palier.

Elle me tend une ordonnance et de l'argent. Je m'empresse de cacher mon test sous mon tee-shirt.

– Ça peut attendre une heure ?

Son regard se charge d'angoisse comme si je venais de lui demander de se passer d'eau et de nourriture pendant trois jours.

– Non ! s'exclame-t-elle avec un soupçon d'agressivité. J'en ai besoin tout de suite sinon je vais faire une crise de nerfs.

– OK, je vais me changer et j'y vais.

Elle me scrute de la tête aux pieds.

– Tu n'as pas besoin de te changer.

– J'ai une tâche sur mon tee-shirt.

– Personne ne s'en rendra compte.

J'ai envie de hurler : « Laisse-moi tranquille, bordel ! » Au-delà de dix minutes, le test ne sera plus fiable et Julian s'est donné suffisamment de mal pour aller me le chercher.

Je regarde ma mère droit dans les yeux et je lui assène :

– Je ne suis pas ton chien. Si c'est tellement urgent, tu n'as qu'à y aller toi-même.

Je me rue vers ma chambre tandis que je l'entends protester derrière moi qu'elle n'en est pas capable, que je le sais très bien et qu'elle va mourir si elle n'a pas ses médicaments. Autumn, s'il te plaît ! Sa voix se fond dans celle de Black Sabbath lorsque je claque la porte.

J'imagine que les trois minutes sont écoulées. Je retire le tube sans le regarder comme si j'avais encore la capacité, par la force de mes pensées, de modifier le résultat. Après une dernière petite prière aux dieux de la Justice, je baisse les yeux.

Une barre traverse l'écran.

Mes épaules se relâchent. Je me rue sur mon portable pour téléphoner à Julian.

– Il n'y a qu'une seule barre rose ! je hurle.

Un gros silence s'installe. Puis il balbutie d'un ton vacillant :

– Ça veut dire que c'est une fille ?

– Mais non ! je m'esclaffe. Ça veut dire que je ne suis pas enceinte. Si je l'étais, il y aurait deux barres.

– Tu ne pouvais pas le dire tout de suite ! me reproche-t-il d'un ton où pointe le soulagement. Enfin, c'est une bonne nouvelle. Tant mieux.

Je m'assure qu'il n'a pas téléphoné à Carly. Il me répond d'un ton dépité :

– Non. Et j'espère que sa mère ne lui dira rien, sinon elle va se faire des films.

__________________

Je n'ai pas pu vous laisser dans le doute plus longtemps.

C'est parfois un peu difficile de déterminer le degré d'oxygénation car dans certains chapitres comme celui-ci il fluctue beaucoup entre le début et la fin. Pour des raisons de suspense, j'ai préféré refléter son état initial que le soulagement à la fin.

Forget the Night - Autumn & JulianOù les histoires vivent. Découvrez maintenant