Round 8

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Degré d'oxygénation : 8 sur 10

Je suis réveillée par une musique étrange qui semble tout droit sortie de la quatrième dimension. Un méli-mélo de voix s'élève par-dessus un rythme joyeux et saccadé. C'est un peu comme si des extraterrestres fêtaient la naissance d'un arbre sur Mars. Ils ont l'air en transe et je ne comprends rien à ce qu'ils disent.

– Alors ça te plaît ?

Je soulève le pan de la couette pour le rabattre sur ma tête.

– Qu'est-ce que c'est ? je grogne.

– Des chants tribaux.

J'entends Julian se rapprocher du lit et je devine le sourire sur ses lèvres. Pendant un instant, ce scénario me paraît familier. J'ai l'impression de me réveiller dans le lit de mon meilleur ami comme je l'ai fait tant et tant de fois. J'ai envie de croire qu'hier je me suis endormie dans ce même lit, que jamais une seule parcelle de ma peau n'a touché d'autres draps. Pendant quelques secondes, je me laisse bercer par cette illusion. Tout paraît normal. Tous les éléments que j'ai souhaité trouver hier soir lorsque j'ai claqué la porte de chez moi sont là, m'entourant comme un cocon. À part la musique. Et encore... Ces chants tribaux ont quelque chose de réjouissant qui me donnerait presqu'envie de sourire moi aussi.

Je m'extrais de la couette. Julian tient en main une assiette débordant de cookies. C'est la première fois qu'il m'apporte le petit déjeuner au lit. Étrangement, c'est cette petite attention, malgré toute la tendresse qu'il y a mise, qui éventre mon cocon. Ce n'est pas un réveil comme un autre. Parce que ce n'était pas une nuit comme les autres.

Il pose l'assiette sur le lit.

– Où est-ce que tu as trouvé ça ?

– Dans le placard, répond-il en jetant un œil aux cookies.

– Non, ça !

Je désigne la stéréo du menton.

– Ah ça. Mon père l'a offert à ma mère pour Noël.

J'ai du mal à imaginer Evalyne écoutant ce genre de musique. Je la verrais davantage écouter du jazz. Elle est très raffinée.

– Ta mère aime les chants tribaux ?

– Pas du tout. Mais mon père ne sait plus ce que ma mère aime ou alors il l'a fait exprès.

Le père de Julian est avocat en droit des affaires. Il n'a jamais été très présent, à cause de son travail, mais il a toujours été là pour émettre un jugement lorsqu'il désapprouvait les choix de son fils. J'éprouve des sentiments ambivalents concernant cet homme. D'un côté, je l'aime bien, car il m'a toujours traitée de façon tendre et attentionnée, comme s'il cherchait à remplacer le père que je n'ai pas eu. Mais, d'un autre côté, je me sens coupable de l'aimer parce que c'est déloyal vis-à-vis de Julian qui est en conflit avec son père depuis l'adolescence.

Depuis un an, son père passe en coup de vent, toujours pour se réfugier dans son bureau, mais il ne dort plus ici. Julian est persuadé qu'il a une maîtresse et que sa mère le sait, même si ses parents n'ont jamais évoqué l'idée de divorcer. Pour les fêtes, ils jouent au couple uni devant les autres membres de la famille.

– J'aurais aimé voir la tête de ta mère quand elle a déballé son cadeau.

– Oh, tu sais, elle a fait comme à toutes les fêtes, « Merci, chéri, c'est une si jolie attention ». Mais ses yeux disaient plutôt « Pourquoi tu ne m'as pas acheté un collier ? »

– Merci.

– De quoi ?

– De ne pas me poser de questions.

Forget the Night - Autumn & JulianOù les histoires vivent. Découvrez maintenant