La fin ( Marinus )

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7 mai 1945, Berlin, Brandenburg, Allemagne.

Je doute. Je doute et je doute encore depuis qu'il est parti. Je doute de ma capacité à tenir le coup, je doute du fait que je pourrai à nouveau respirer sans sentir mes poumons brûler à chaque inspiration, sans entendre mon ventre faire des bruits surhumain, sans sentir chaque organe de mon corps me faisant souffrir.
Je le vois encore contre moi, hurlant de douleur, s'accrochant à mon corps, suppliant Dieu de le laisser se remettre. J'étais impuissant, faible et impuissant face à la mort de la personne que j'ai le plus aimé. Je n'ai rien pu faire. Leyers est mort, son cadavre est je ne sais où, sur le retour à Berlin. Et s'il est mort, c'est seulement et uniquement ma faute.

Le temps se rallonge depuis la dernière offensive des Soviétiques, l'unité Strauss-Kahn a été ravagée, tous les hommes allemands sont sauvagement mutilés, on n'en peut plus. C'est un supplice de se lever chaque jour sur le sol de l'URSS, attendant désespérément la venue des deux généraux russes. Il va y avoir une entrevue, Klaus et moi du côté allemand, et les généraux Andreïev et Volkov du côté ennemi. Ils le font exprès, de nous laisser sans provisions le plus longtemps possible au milieu de la neige, seuls et affaiblis.

《 Général Strauss-Kahn comment allez-vous ? me demande un capitaine d'une quarantaine d'année.
- Je vais bien et vous Capitaine ?
- Ça va. L'Oberfürher Leyers manque vous ne trouvez pas ?
- Je... ai-je bégayé me sentant faiblir. Il manque oui beaucoup.
- Lorsque vous avez remis l'unité à son commandement, c'est regrettable que vous n'avez pas vu à quel point il a été fort.
- C'est vrai ? ai-je souri, essayant de me réjouir de ces nouvelles.
- Oh oui !!! Ce petit est votre réincarnation ! Il avait toujours les bons mots pour nous convaincre, il avait votre assurance et votre prestance, il a toujours su comment se débrouiller, il n'a jamais cessé de parler de vous je vous jure que c'est vrai. Ce Leyers, vous l'avez bien formé mon Général. Ce petit a gagné le respect et l'admiration de toute l'unité.
- Je savais que je pouvais lui faire confiance aveugle, ai-je souri les yeux vers le ciel noirâtre la gorge serrée.
- Il avait le sourire aux lèvres, en quelconque situations, il arrivait à réanimer nos âmes quand on avait plus la force de rien. 》

C'est trop, trop pour moi maintenant. Je me suis excusé auprès du Capitaine et je me suis enfui loin de ces lourdes paroles, les souvenirs me liant à Leyers. Nos premiers entraînements, notre rapprochement, les premières confidences, les premiers fous rires, les premiers tout...
La boule à l'estomac, me retenant de hurler et de pleurer sans m'arrêter, j'ai marché au milieu des quelques soldats allemands encore debout, enjambant les blessés. Je veux partir de là. M'enfuir à tout jamais de ces lieux qui m'ont tout arraché.

Sur ma route, j'ai croisé Nikolaus qui m'a attrapé avec poigne par le bras. Avec agressivité à mon tour, me sentant à nouveau offensé et humilié, j'ai feulé.

《 Que veux-tu ?!
- C'est l'heure d'aller au point de rendez-vous.
- Et c'est où ?
- À 500 mètres d'ici. Vous venez ?
- Oui. Ça me fera le plaisir de voir la sale gueule des russes.
- Vous savez que j'ai la moitié de mon être qui est russe.
- Toi ce n'est pas pareil. 》

Je suis repassé au milieu de tout le monde accompagné par Nikolaus, marchant d'un pas vif et assuré dans la neige encore très épaisse. Je l'ai suivi jusqu'à ce qu'il s'arrête sur une grande plaine légèrement recouverte de gel, totalement à découvert. Ils sont vraiment intelligents ces russes... Nikolaus aurait dû m'en parler. Comme cela, perchés comme deux idiots au milieu d'une terre qui n'est pas la nôtre, ils prendront deux secondes à nous enfoncer une balle dans la gorge.

《 Guten Tag Herren. 》

Nous nous sommes tous les deux tournés vers la droite, les généraux sont là. Le Général Andreïev toujours impeccablement coiffé, avec ce même rictus d'arrogance, légèrement ridé mais élégant. Tandis que le Général Volkov est l'incarnation de la vulgarité avec sa démarche nonchalante, les yeux écarquillés et rougis par l'alcool, le ventre à la limite de déchirer son uniforme.

Programmés pour tuerWhere stories live. Discover now