Malgré moi ( Eve )

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21 avril 1943, Saint Nazaire de Ladarez, Hérault, Languedoc-Roussillon, France.

Je ne sais pas ce que je dois faire avec le colonel Leyers. Cet homme est tellement imprévisible, dans ses gestes, ses paroles, tout me surprend. C'est peut-être la première fois que je suis comme ça avec un homme. Je ne me serai jamais douté que cet homme serait un allemand. Qu'il serait tout ce que je déteste. Tout ce que Roboris déteste. J'ai tellement peur de m'attacher à Hans, surtout depuis le baiser fabuleux qu'on a eu. Je sais qu'entre nous deux, dès l'instant où il s'est réveillé sur mon sofa après son accident, qu'il y aurait toujours quelque chose de fort entre nous malgré moi.

Depuis hier, je rayonne. Je rayonne car j'ai l'impression que malgré les temps obscurs, la guerre qui fait rage... J'arrive à garder un peu de normalité.
Je vais faire mes commissions à l'épicerie, je passe du temps avec mon grand-père, j'essaie de reconstruire le réseau de Résistance Roboris sans résultat, j'arrive à vivre maintenant. Je rayonne car hier après-midi, je me suis vraiment sentie désirée, je me suis sentie regardée comme une femme magnifique alors que je me trouve immonde. Je suis l'incarnation banale même pour un Fritz.

Mes cheveux boisés ondulés sont ternes, plats, sans aucune forme. J'ai un visage blanc, creux, mes traits sont marqués par la fatigue, une bouche fine pas attirante. Seuls mes yeux bleus valent le coup d'être regardés.
Mon corps est ratatiné, petit et large, je suis loin de la silhouette de mannequin que je voulais avoir étant enfant.

Alors je reconnais que d'avoir vu Hans me regarder comme il l'a fait, ses yeux verts brûlaient face à moi. Cela m'a touché.
Mais je suis heureuse de savoir que Maxence a trouvé la paix, peu importe où il soit et avec qui. Après tout ce qu'il a subi je lui souhaite le meilleur, je sais que l'on se retrouvera après la guerre. Une vraie amitié ne connaît jamais d'adieu.

19h.

《 Papi, est-ce que tu as faim ?
- Absolument pas.
- Veux-tu que je reste manger avec toi ?
- Non, j'ai besoin de te savoir loin de moi des fois Eve tu le sais hein. Allez file en bas manger avec le colonel. 》

J'ai embrassé le front de mon grand-père avant de descendre pour manger.
Hans est déjà tranquillement installé à table, il pose une attention particulière sur une petite photo. C'est dingue ce qu'il peut être attirant, même concentré. Ses mains veineuses sont serrées, le colonel a son visage posé dans le creux de sa main gauche. Je peux voir sa mâchoire carrée se comprimer, une mèche de cheveux rebelles tombent sur son front.
Je souris avec des chatouilles dans le ventre quand il lève les yeux vers moi.

《 Vous avez faim ?
- Assez oui. Avez-vous mangé Monsieur Leyers ?
- Non. Je vous attendais.
- C'est gentil.
- Installez vous, j'arrive, me dit-il en partant chercher l'assiette. 》

Il est revenu et a posé l'assiette face à moi avec l'allure d'un serveur italien. J'ai souri en lui souhaitant un bon appétit. Je l'observe manger avec envie, ses yeux n'osent pas se poser dans les miens ; alors que j'en ai terriblement envie. Je ne sais pas pour quelle raison mais j'aime quand Hans me regarde.
Le repas s'est déroulé dans un silence accablant. J'aimerais tellement ne pas avoir de gêne, une gêne psychologique qui m'empêche d'aller vers lui.
J'ai décidé d'engager la conversation.

《 Je ne vous savais pas excellent cuisinier. C'est très bon.
- Merci beaucoup, me dit-il avec un ton très sérieux. 》

Nous nous sommes longuement regardés dans le blanc des yeux. J'ai senti des mouvements étranges remuer dans mon ventre, voyant mes joues rougir, le colonel a souri.
Je ne me reconnais pas à ses côtés, je ne voulais tellement point être attirée par un nazi. Ma volonté était bien trop forte comparé à ma raison, j'ai craqué il faut le dire. J'ai failli à ma promesse lorsque je le cherchais dans la maison en rentrant et que j'ai commencé à apprécier de le voir installé sur le sofa en train d'écrire. 
Est-ce que je devrai vivre et profiter de chaque instant de désir que j'ai avec Monsieur Leyers ? Je me souviens de la lettre de Maxence... des belles leçons de morale de Papi... Tous deux m'ont dit de vivre et d'être heureuse, qu'il fallait que je profite de ces années qui sont censées être les plus belles de ma vie. Alors m'égarer avec le seul allemand du village qui a l'air bien respectable, n'est pas vraiment une erreur si ?

Programmés pour tuerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant